C’est un symptôme inquiétant de l’affaiblissement de la démocratie dans le monde avec le populisme et la montée des inégalités sociale : la transgression de la liberté de la presse et la « haine » des journalistes (le mot vient de Reporters sans frontières). Les assassinats de journalistes et les lois restreignant la liberté de la presse sont longtemps restés inconnus en Europe, volontiers donneuse de leçon au reste du monde. Les démons de la censure et du meurtre semblent revenir en force dans ce « havre de paix et de démocratie ».
La liberté d’expression dans l’UE : une mosaïque de situations
Il ne faut pas non plus dresser un portrait trop sombre de la situation, le pluralisme médiatique et l’intégrité des journalistes sont largement respectés dans de nombreux pays européens. Seulement, la situation dans l’UE s’apparente à une intégration différenciée typique : chaque État est dans une situation différente. Le classement mondial de la liberté de la presse 2018 de Reporters sans frontières le montre très clairement.
Le podium est occupé par les pays scandinaves, comme très souvent : Norvège, Suède et Finlande sont respectivement premier, second et quatrième. L’espace germanophone fait également très bonne figure (la Suisse, l’Autriche et l’Allemagne sont cinquième, onzième et quinzième), tout comme le Benelux (Belgique, Pays-Bas et Luxembourg). A l’opposé, la Bulgarie occupe la cent-onzième place, à peine mieux que l’Ouganda. La Pologne, la Hongrie, la Grèce et Malte sont dans le ventre mou du classement. L’Italie ne fait guère mieux, avec une quarante-sixième place. Quant à la France, elle est, avec sa trente-troisième place, comme d’habitude : ni dans les très bons, ni dans les très mauvais.
Le meurtre de Daphne Caruana Galizia ainsi que de Jan Kuciák ces derniers mois montrent deux choses : que l’assassinat de journalistes reste suffisamment exceptionnel dans l’Union européenne pour susciter une émotion très forte chez nous, mais aussi que ce genre d’évènement n’est et n’a jamais été impossible dans les pays membres. Les grandes manifestations en Slovaquie mettent la lumière sur une société civile de plus en plus exigeante vis-à-vis de ces élites et le ras-le-bol d’une corruption éhontée et séculaire.
Un glissement dangereux
Ces évènements malheureux ne sont que la « partie médiatiquement immergée » d’un mal plus profond : dans une période où la démocratie ne fait plus consensus, les médias sont considérés par l’opinion publique comme corrompus et les journalistes ne sont plus dignes de foi. A l’inverse, une partie des classes politiques formulent des attaques répétées à l’encontre de ces « créateurs et diffuseurs de fake news » et de « ce métier de merde ». En une courte phrase : la liberté de la presse est en danger. En Hongrie et en Pologne surtout, avec des projets de lois liberticides, mais également en Espagne, où la crise catalane est l’occasion pour les réseaux sociaux de lyncher les journalistes.
Aucun pays de l’UE n’est à l’abri d’une remise en cause de la liberté de la presse, d’autant plus que le modèle autoritaire de certains pays comme la Russie, la Turquie ou la Biélorussie est de plus en plus admiré par une partie de l’opinion publique et de la classe politique. Les personnes comme Poutine ou Erdogan utilisent des médias d’État comme Sputnik ou Russia Today ou les diasporas turques pour diffuser leurs conceptions de la société.
Plus que jamais, la liberté de la presse doit être une valeur cardinale de l’Union européenne
Face à tout cela, que doit faire l’UE ? Tous les pays européens sont membres du Conseil de l’Europe et appliquent à ce titre la Convention européenne des droits de l’homme. Son article 10 consacre la liberté de la presse, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme a consolidé au fil des décennies ce droit. Si de nombreux pays de l’UE ont signé en 2009 la charte européenne pour la liberté de la presse, la fédération européenne des journalistes est l’initiative la plus aboutie à l’heure actuelle. L’article 7 du Traité sur l’Union européenne donne les moyens à l’UE de prendre des sanctions contre un de ses membres qui ne respecterait pas les valeurs de l’Union (en interprétant ces valeurs, la liberté d’expression en fait partie). Le vote à l’unanimité empêche de facto des mesures contre la Pologne ou la Hongrie, les cas les plus médiatiques. Prendre des mesures fortes en faveur de la liberté de la presse est une gageure pour l’UE mais c’est fondamental pour montrer son unité et son souci de protéger la société face aux attaques diverses.
1. Le 3 mai 2018 à 14:56, par Thobois En réponse à : Les démons de la censure rattrapent l’Europe
Liberté de la presse oui ...déontologie de la presse en même temps ! Dans l’evolution que vous évoquez, il faut aussi pointer la transformation de la relation entre certains journalistes et le pouvoir ...il y a des journalistes qui s’auto investissent du droit et du rôle de défendeurs de la démocratie - sans autre mandat que leur position de journalistes ! certains le font à juste titre ( argumentant sur des informations contrôlées dans une approche factuelle critique ) ...d’autres le font délibérément à charge en utilisant le fameux pâté d’alouette mélangeant une part de vérité et une posture de soupçons type tous pourris ! L’abus de l’effet loupe, les campagnes à la mode sur un sujet demain oublié... le catastrophisme vendeur .... bref- en concurrence directe avec les réseaux sociaux, certains journalistes ont perdu le sens d’une info critique et validée...ajoutez à cela la recherche du vedettariat ...il y a de la matière pour la critique ! Il n’y a pas de liberté sans le respect de la justesse, de la justice et de la vérité ... trop de journalistes ont abusé de leur position et ont de ce fait dévaluer leur fonction. Ils ont leur part dans ce recul démocratique ...le nier est contre productif pour un retour à une normale indispensable ! !
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