Les banques centrales n’ont jamais été créées pour stabiliser la monnaie

Faut-il revenir aux monnaies nationales ?

, par Ferghane Azihari

Les banques centrales n'ont jamais été créées pour stabiliser la monnaie

En cette période trouble pour la Grèce et la zone euro, nombreux sont ceux qui défilent dans les médias pour affirmer le retour inéluctable des monnaies nationales face à un système financier européen totalement dysfonctionnel. Un tel scénario serait catastrophique mais la monnaie unique n’est pas soutenable pour autant.

Nationalisme monétaire

Les pseudo-intellectuels qui prêchent pour le retour des monnaies nationales ne sont que des imposteurs qui aiment usurper le statut de scientifique ou d’expert pour dissimuler leur nationalisme primaire. Et pour cause, les banquiers centraux nationaux ne sont pas par essence plus compétents, plus sages et moins diaboliques que les banquiers centraux européens. Rappelons d’ailleurs que les premiers décident avec les seconds. Malgré les apparences, la BCE n’est ni plus ni moins qu’une instance intergouvernementale. Il n’y a qu’à lire dans les traités européens le mode de gouvernance de cette institution ainsi que le mode de désignation des individus qui y opèrent pour s’en convaincre. Eh oui, contrairement à ce que laissent entendre les jérémiades nationalistes ou les satisfécits fédéralistes, les élites politiques nationales n’abandonnent pas leur pouvoir aussi facilement. Lorsqu’elles concluent des traités, ce n’est que pour conforter leur pouvoir sur la société et non pour l’affaiblir. Il faut être naïf pour penser le contraire.

Les nationalistes primaires prônent le retour à la pleine compétence monétaire des États-nations également au nom de la diversité des modèles économiques nationaux. Là encore, il s’agit d’un vocabulaire politique dépourvue de réalité scientifique destiné à tromper la société. La « diversité des modèles économiques nationaux » ne veut absolument rien dire. Cette formule n’est que le reflet d’un biais cognitif sans aucun fondement rationnel : le nationalisme méthodologique. L’économie francilienne a bien plus de points communs avec Londres et Francfort qu’avec la Corse et la Réunion. Étrangement, nous n’entendons point les chantres de la diversité plaider pour un franc corse, un franc francilien et un franc réunionnais.

https://soundcloud.com/ferghane-azihari/faut-il-revenir-aux-monnaies-nationales

L’échelle de la politique monétaire est un faux problème

Le problème de la politique monétaire n’a aucun rapport avec son échelle. Le problème de l’outil monétaire tel qu’on le connait aujourd’hui tient à sa situation de monopole. C’est très simple. Aucun organisme, aucune entreprise, aucune institution, aucune autorité n’est en mesure d’être bienveillante lorsqu’elle est en situation de monopole. Toute institution a besoin de contre-pouvoirs pour fonctionner efficacement afin d’éviter de se transformer en outil d’oppression. C’est encore plus vrai pour les autorités monétaires dont le pouvoir est incommensurable. Et le contre-pouvoir le plus puissant qui existe sur cette terre, ce n’est pas un Parlement, un exécutif fort ou un système juridictionnel à l’indépendance relative. C’est la libre-concurrence. C’est la possibilité de dire à un financier : « Ton système est mal fait. Dans ces conditions, moi et d’autres agents économiques allons créer ou rejoindre un système monétaire et financier beaucoup plus sain et je te garantis que si tu ne changes pas tes mauvaises pratiques financières, plus personne n’utilisera ton outil ».

En Europe, comme dans la quasi-totalité des pays de la planète, cette possibilité n’existe pas. Le système monétaire et financier est verrouillé par des monopoles à tous les niveaux. Lorsque la gauche marxiste utilise la formule « dictature de la finance » pour décrire le système actuel, elle n’est en réalité pas loin de la vérité. Sauf que cette dernière est incapable d’identifier correctement le lien de subordination en ce qu’elle estime que les dominés sont les États et qu’il faut par conséquent les renforcer face à l’hégémonie de l’industrie financière privée. Identifier le rapport de domination ne devrait pas être aussi compliqué. Il suffit de se poser la question suivante : qui a déjà vu Mario Draghi ou une banque centrale mendier de l’argent auprès d’une banque commerciale ? Personne. En revanche, voir une banque commerciale mendier du crédit auprès des banques centrales, c’est très courant. Si « dictature de la finance » il y a, les banques commerciales en collusion avec les pouvoirs publics ne sont que les lieutenants tandis que le dictateur est celui qui, à Francfort, a reçu des États-nations le monopole de l’émission monétaire.

Une petite histoire des banques centrales...

Le mythe économique dominant destiné à entretenir un culte inconditionnel vis-à-vis de la bureaucratie dans la régulation des activités économiques et sociales attribue la stabilité monétaire aux banques centrales. Ce serait leur raison d’être. Il s’agit là d’un révisionnisme éhonté. Les banques centrales n’ont jamais été créées pour stabiliser le système monétaire. C’est même tout le contraire !

Lorsque la Banque de France obtient de Napoléon le monopole de l’émission de la monnaie, lui et ses proches sont actionnaires de celle-ci. L’autocrate pouvait donc faire marcher la planche à billets pour remplir son portefeuille et celui de ses proches tout en permettant à l’État français de faire face à ses dépenses de guerre en appauvrissant la population de manière beaucoup plus subtile que la fiscalité. Voir cet excellent récit de l’historien Henri Guillemin sur la Banque de France.

https://www.youtube.com/watch?v=A0oOvDWcxKo

Aux États-Unis, la naissance de la réserve fédérale a été orchestrée par des élites financières qui avaient besoin d’un système pyramidal avec à sa tête une institution monopolistique qui puisse prêter en dernier ressort en créant de l’argent open-bar. Ainsi les principaux établissements financiers pouvaient échapper à toute forme de responsabilité financière en émettant excessivement du crédit – cf le système de réserves fractionnaires – tout en étant assurés de la possibilité de bénéficier de la création monétaire en cas de problème.

Il n’est pas difficile de voir que la BCE s’adonne aux mêmes mécanismes. Les « quantitative easing » sont une nouvelle forme de planche à billets qui permettent aux États-nations corporatistes de financer leurs dépenses sans prendre le risque d’affronter les contribuables en utilisant la voie légale de la fiscalité. Les banques continuent à prêter de l’argent qu’elles n’ont pas et perçoivent des intérêts sur de l’argent créé ex-nihilo. Les indices boursiers européens sont totalement déconnectés de l’économie « réelle » et une bulle semble se former sous le regard hypocrite de son architecte. Enfin le monopole monétaire est un puissant outil de domination financière qui donne au pouvoir politique des dimensions inacceptables comme on le voit actuellement.

La seule alternative viable : le Free Banking

Les déboires de la monnaie unique et les rapports de force délétères qu’elle engendre montrent une fois de plus que l’outil monétaire est bien trop précieux pour être placé entre les mains des politiciens. Peut-être est-il temps de considérer que les peuples doivent se réapproprier l’outil monétaire que les gouvernements ont longtemps confisqué pour satisfaire des intérêts particuliers. Comment ? En permettant aux individus de choisir leur monnaie indépendamment des injonctions des politiciens. Jadis, les métaux précieux constituaient le choix dominant. Mais on peut imaginer d’autres initiatives monétaires spontanées. Les crypto-monnaies décentralisées qui fonctionnent en peer-to-peer font parties des alternatives de plus en plus crédibles pour permettre aux peuples de retrouver de la liberté face aux manœuvres politiciennes. Ainsi de plus en plus de Grecs plébisciteraient le Bitcoin – la crypto-monnaie la plus connue – en lieu et place de l’euro.

Bien évidemment pour ceux qui n’ont aucune confiance en ces monnaies qui fonctionnent sans banque, d’autres systèmes monétaires spontanés sont envisageables. On peut penser au système coopératif ou à la banque libre classique. Du reste, ces monnaies privées correspondent parfaitement aux canons fédéralistes. Elles font fi des frontières nationales et permettent d’établir des liens entre individus indépendamment des querelles politiciennes. Mieux encore, leurs bases sont contractuelles et peuvent donc se targuer d’être réellement « fédérales » au sens étymologique du terme – qui renvoie explicitement au consentement et au contrat – contrairement aux monnaies étatiques qui ne sont que le produit de la violence légale. Pourquoi donc s’acharner à soutenir une bureaucratie monétaire si ce n’est par euro-nationalisme primaire ?

A retrouver sur le blog de Ferghane Azihari.

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