« Salut les jeunes, me voilà ! Bienvenue sur ma chaîne officielle sur TikTok ! ».
Par ces mots, l’ancien président du Conseil Silvio Berlusconi (1994-1996 ; 2001-2006 ; 2008-2011) introduit sa première vidéo postée le 1er septembre dernier sur le réseau social utilisé par plus de 6 millions de jeunes Italiens.
Le « Cavaliere », âgé de 85 ans, dénote par son ton badin, souvent excessif et n’est certainement pas le seul élu transalpin soudainement touché par une « réseauïte aiguë ».
En effet, les électeurs âgés de 18 à 34 ans représentent le taux d’abstention le plus élevé. Leur mobilisation était un enjeu stratégique dans une course électorale qui s’annonçait des plus serrées. Ils se sont finalement abstenus autant que le reste de la population : un électeur sur trois de moins de 35 ans n’est pas allé voter.
Mais cette « stratégie séduction » s’arrête là. La majorité parlementaire et la composition du gouvernement sont loin de refléter les préférences d’une grande partie des plus jeunes électeurs. 29% seulement des 18-34 ans ont voté pour la coalition dite de centre-droit actuellement au pouvoir, contre 49% des 35-49 ans. Quant aux plus jeunes, ils ont davantage soutenu les listes de gauche (32,4%) que la moyenne nationale (25,5%). Enfin, un électeur sur deux de moins de 35 ans a voté en faveur d’une liste ouvertement proeuropéenne, contre moins de 35% des 50-64 ans.
« Il y a un vrai écart entre la politique qui répond aux exigences des plus âgés, et celle qui défend les positions des plus jeunes. » (Gianluca Bonato)
L’enjeu pour les plus jeunes était surtout d’imposer leurs thèmes dans la campagne électorale. Comme le rappelle Gianluca Bonato, « en Italie, la pyramide des âges est de plus en plus en faveur de la partie la plus âgée de la population, et par conséquent les politiciens s’intéressent avant tout à ce que demandent ces personnes-là. Pendant la campagne électorale, on a surtout parlé de retraites… ».
Pourtant, des associations comme la Gioventù Federalista Europea (GFE), le nom officiel des JE – Italie, ont soumis des propositions portées par une partie de la jeunesse aux équipes des principaux candidats :
« nous avons écrit un document [avec d’autres associations apartisanes] qui s’appelle "L’Agenda jeunes" pour porter les revendications des jeunes, et nous en avons écrit la partie sur l’Europe. […] Nous avons envoyé ce document à différents partis présents aux élections. Un représentant de chaque parti a même participé à un débat que nous avons co-organisé le 21 septembre ! ».
Ce débat était l’un des seuls à réunir toutes les tendances politiques italiennes pendant la campagne. Il n’a finalement pas permis d’inscrire durablement les thèmes de la construction européenne, de l’environnement ou de l’éducation dans le débat électoral.
L’appel au vote des jeunes a également mobilisé de nombreux internautes sur les réseaux sociaux, réunis sous le « mot-dièse » #20e30. Cette initiative, lancée par le compte Instagram « Aqtr » (acronyme italien de « nouvelles quotidiennes de la Troisième république »), invite chaque jeune électeur à exposer sa principale revendication à destination des candidats aux élections.
« La GFE a adhéré à cette campagne et a publié des "posts" se positionnant clairement sur les thèmes européens et fédéralistes. »
L’UE, un élément de future division au sein de la coalition au pouvoir en Italie ?
Ce thème européen, justement, a mobilisé une partie de la jeune génération. Chez les plus jeunes, les partis favorables à l’intégration européenne ont remporté une majorité de suffrages : 58% parmi la population étudiante, et jusqu’à 61,4% chez les seuls 18-24 ans.
Dans une étude d’opinion réalisée en octobre, l’institut Ipsos souligne l’importance de cette question pour la « génération Z » en particulier : si 36% des Italiens entre 18 et 26 ans remettent en cause le projet européen, ils sont 47% parmi les 42-57 ans (« génération X »).
Pourtant, une réelle fracture se dessine chez les plus jeunes entre la « génération Z » et la « génération Y » des Millennials, âgée quant à elle de 27 à 41 ans. Ces derniers sont moins favorables à la construction européenne (ils sont 46% à la remettre en question) et votent davantage pour des partis conservateurs (21,2% pour le parti postfasciste « Fratelli d’Italia » de la première ministre Giorgia Meloni).
Pour l’Institut Ipsos, il s’agit des preuves d’une « désillusion » envers la politique et d’une « colère » à l’encontre des institutions de tout ordre.
La question européenne, portée par de nombreux jeunes électeurs, n’a pas réussi à s’imposer comme un thème dominant de la campagne électorale. Deux des principaux partis de l’actuelle coalition au pouvoir, Fratelli d’Italia et la Ligue, sont historiquement hostiles au fédéralisme européen.
La formation de Matteo Salvini estimait que « l’Union européenne [devait] rester attachée aux principes cardinaux de souveraineté et de compétences exclusives des pays membres, parmi lesquels l’Italie […]. »
Le parti de Giorgia Meloni, quant à lui, insistait sur la nécessité de « relancer le système d’intégration européenne, pour une Europe des Patries, fondée sur les intérêts des peuples et capable d’affronter les défis de notre temps.
Gianluca Bonato abonde : « Ces derniers mois, les positions [de Giorgia Meloni] ont évolué, elle ne parle plus de sortie de l’euro, de quitter l’UE… Mais elle ne réclame pas pour autant d’intégration européenne supplémentaire. »
Comme il le souligne également, quelques éléments laissent néanmoins entrapercevoir des divisions internes à la coalition dite « de centre-droit » sur la question européenne :
« Après la Conférence sur le Futur de l’Europe, nous avons travaillé avec le Mouvement européen – Italie […] sur une pétition qui a rassemblé pas mal de signatures. Parmi celles-ci, environ trente ou quarante parlementaires qui ont par la suite été élus. »
Et d’ajouter : « la majorité des signatures vient de l’opposition [de gauche, NDA], mais quelques-unes également de l’actuelle majorité, en particulier de Forza Italia [le parti de Silvio Berlusconi, NDA] censé être plus modéré. »
Cette pétition intitulée « Pour une Italie européenne » a également reçu un soutien de poids en la personne d’Antonio Tajani, actuel ministre italien des Affaires étrangères et ancien président du Parlement européen (2017-2019). Gianluca Bonato précise qu’au cours du débat coorganisé par la GFE, ce dernier « s’est dit en faveur des États-Unis d’Europe ».
L’UE serait-elle un grain de sable dans la mécanique de la coalition italienne de centre-droit ? Cela est possible, d’autant plus dans la perspective des futures discussions autour de l’éventuelle prolongation du plan de relance européen Next Generation EU. « La réalisation d’investissements au niveau européen est importante pour l’Italie […] », affirme Gianluca Bonato, « le pouvoir d’achat à l’échelle de l’UE fait l’objet de beaucoup d’intérêt ici. » Une inconnue demeure : les revendications des citoyens italiens les plus jeunes seront-elles, cette fois-ci, davantage prises en considération ?
Suivre les commentaires : |