Le Rhin, fleuve aux multiples facettes européennes

, par Andreea Camen, Clément Maury, Théo Boucart

Le Rhin, fleuve aux multiples facettes européennes
Le Rhin au niveau de Bâle. Photo : Lucazzitto

GRAND ANGLE. D’une longueur de 1233 kilomètres, traversant ou bordant six pays, le Rhin est un axe de première importance en Europe occidentale. Outre l’aspect purement géographique, le huitième fleuve européen par sa longueur a une influence déterminante sur le développement économique, l’intégration politique, ou encore le dynamisme culturel du Vieux Continent. Des sujets centraux qui seront évoqués lors des prochains Entretiens de Strasbourg du 3 au 5 décembre prochain (voir encadré en bas de l’article).

Rhein, Rein, Rhin, Rijn. Les différentes dénominations officielles du fleuve induisent déjà son caractère transnational. De la région de Surselva dans l’Est de la Suisse jusqu’au delta partagé avec la Meuse en Hollande méridionale, celui-ci traverse des régions diverses mues pourtant par une identité rhénane commune, ainsi que des dynamiques économiques, politiques et historiques comparables.

A l’occasion des 33e Entretiens de Strasbourg qui se dérouleront du 3 au 5 décembre prochain à Strasbourg, ces sujets seront abordés par de multiples intervenants, en français et en allemand. Pour les impatients, ou alors en guise de consolation pour celles et ceux qui ne pourront pas y assister, voici un aperçu des thématiques abordées.

Le Rhin comme substrat historique et culturel majeur de l’Europe

Si le Rhin représente aujourd’hui 188 kilomètres des 451 kilomètres de frontières entre la France et l’Allemagne, cela n’a pas toujours été le cas, dans les faits comme dans les têtes. L’histoire territoriale du royaume de France s’est caractérisée pendant presque un millénaire par une expansion vers l’Est, un grignotage territorial progressif au détriment du Saint-Empire romain germanique. L’Alsace est devenue française pour la première fois en 1648, sous le roi Louis XIV. En 1681, c’est au tour de la ville libre de Strasbourg d’être annexée par le Roi Soleil.

Ces annexions progressives ont alimenté le concept de frontières naturelles de la France, développé sous la Révolution Française et selon lequel le Rhin serait la ligne géographique séparant les mondes français et germanique.

Une théorie qui a attisé le nationalisme des deux côtés et qui a eu des conséquences décisives dans le déclenchement des guerres franco-allemandes des XIXème et XXème siècles. Durant cette période, les discours virulents en France et en Allemagne ont fait du Rhin, “fleuve national”, l’un de leurs principaux chevaux de bataille. Tandis que le monument “Alter Zoll” à Bonn comporte l’inscription en allemand “le Rhin, un fleuve allemand et non une frontière allemande” (formulation inspirée du poète nationaliste Ernst Moritz Arndt), Jacques Peirottes, maire de Strasbourg dans les années 1920, a déclaré en conseil municipal quelques années après la fin de la Grande Guerre “Le Rhin lui-même est français. Cela est expressément stipulé dans le traité de Versailles”.

Une rivalité nationaliste meurtrière qui cacherait presque de nombreux épisode historiques bien plus glorieux d’un Rhin “trait d’union culturel et intellectuel”, notamment durant la Renaissance. Ainsi, Johannes Gutenberg a introduit l’imprimerie en Europe à Mayence au milieu du XVème siècle, tandis que l’Humanisme rhénan (1475-1525) a vu des intellectuels comme Sébastien Brant, Jacques Wimpheling, Jean Geiler, ou encore le très célèbre Erasme se côtoyer et produire un savoir qui allait faire entrer le continent européen dans la modernité telle qu’on l’entend aujourd’hui.

Matrice économique de l’Europe occidentale

Alors que le Rhin a joué, et joue encore, un rôle de premier plan dans les dynamiques culturelles de l’Europe occidentale, l’on ne saurait oublier la puissance économique des régions qui le bordent, et ce de tous temps.

En effet, de nombreuses villes commerciales florissantes se sont développées le long du Rhin, telles que Bâle (première ville d’importance sur le Rhin navigable), Strasbourg (dont l’étymologie germanique, “la fortification sur la route”, montre déjà la vocation commerciale de la ville), Mayence, Cologne, sans compter le développement bien plus tardive des villes industrielles de la vallée de la Ruhr, petite rivière de Westphalie qui se jette dans le Rhin au niveau de Duisburg, l’un des plus grand ports fluviaux du monde.

La puissance économique des villes rhénanes s’est par ailleurs illustrée dans l’histoire politique européenne : parmi les sept princes-électeurs ayant le pouvoir de désigner l’Empereur romain germanique et dont le statut a été défini dans la Bulle d’or de Charles IV au XIVème siècle, quatre venaient des régions rhénanes (Mayence, Trêves, Cologne et Palatinat du Rhin).

Si aujourd’hui l’heure n’est clairement plus à l’élection d’un successeur de l’Empereur Auguste régnant sur le monde chrétien, le Rhin n’a pas pour autant perdu sa puissance économique, et par conséquent politique. Ainsi, la mégalopole européenne (aussi appelée très prosaïquement banane bleue) passe largement par la vallée du Rhin. En Allemagne, le Bundesland de Rhénanie du Nord-Westphalie est le plus riche d’Allemagne (mais aussi le plus peuplé) avec un PIB de 705 milliards d’euros en 2018 (environ 20% du PIB allemand, 5% du PIB de l’Union européenne).

Le Rhin supérieur s’illustre également par une puissance économique manifeste (en particulier avec le creusement du Grand Canal d’Alsace, permettant à la ville de Bâle de devenir un grand port fluvial). Aujourd’hui, la région couverte par la Conférence du Rhin supérieur génère un PIB de 250 milliards d’euros (chiffres de 2018) pour six millions d’habitants.

Intégration politique renforcée sur ses rives

Aujourd’hui, le Rhin est, en France, bel et bien synonyme de frontière nationale avec l’Allemagne. Mais au sein de l’espace transfrontalier dit du “Rhin Supérieur”, la notion de frontière est un concept plus que fluctuant. Pendant des siècles en effet, l’espace transfrontalier a été caractérisé par une certaine unité culturelle, les populations de part et d’autre du fleuve parlant un continuum de dialectes alémaniques (et parfois franciques).

Après la seconde guerre mondiale et le traumatisme intense des guerres franco-allemandes, la coopération transfrontalière rhénane a doucement pu se développer à mesure que la réconciliation franco-allemande s’installait dans l’esprit de la classe politique et des citoyens. Les premiers cadres formels de coopération entre France, RFA et Suisse se sont ainsi formés dès le début des années 1960 avec la création de la Regio Basiliensis helvétique en 1963, l’une des premières à agir dans le domaine transfrontalier trinational.

Les années 1970 ont toutefois représenté un tournant dans l’institutionnalisation de la coopération trinationale. En 1975 a été signé l’accord intergouvernemental menant à la création d’une Commission Intergouvernementale chargée de relayer auprès des gouvernements nationaux les problématiques transfrontalières. La Conférence du Rhin supérieur a été créée en 1991. Son rôle est de suppléer la Commission en tant qu’organe central d’information et de coopération au niveau local. Le début des années 1990 a également été marqué par la mise en place du fonds européen Interreg, véritable catalyseur de projets transfrontaliers concrets.

Outre la Conférence du Rhin supérieur, la région est marquée aussi par l’activité des Eurodistricts, au nombre de quatre tout au long du Rhin. Le rôle de ces agglomérations transfrontalières est de pousser l’intégration au niveau local, comme les transports publics. Depuis 2018, par exemple, la ligne D du tramway de Strasbourg traverse la frontière pour aller jusqu’à la gare de Kehl.

Si les acteurs institutionnels peuvent se gargariser à raison d’appartenir à l’un des espaces de coopération les plus développés de l’Union européenne, les enjeux actuels et futurs sont majeurs. D’un point de vue linguistique, malgré les efforts entrepris notamment sur le versant français, le fossé se creuse avec le déclin rapide et inéluctable de l’alsacien ainsi que le désamour persistant pour l’apprentissage de l’allemand comme du français au profit de l’anglais. Parler la langue du voisin est pourtant nécessaire pour dynamiser les échanges transrhénans, et notamment de travailleurs frontaliers, très nombreux mais dont le nombre a tendance à décliner ces dernières années.

La sempiternelle pandémie de Covid-19 a fortement perturbé l’action institutionnelle et citoyenne de la coopération transfrontalière et il est du devoir de toutes les parties prenantes de s’emparer de la question pour revitaliser cette success story à l’échelle de la France, de l’Allemagne, mais aussi de toute l’Union européenne.

Enjeux environnementaux majeurs

De manière générale, la protection du Rhin a les contours classiques d’une “gestion” environnementale : travail pour réduire les risques à la source, mise en œuvre de dispositifs palliatifs lorsque des pollutions ne peuvent être empêchées et mise en œuvre de protocoles d’actions en cas d’accidents. Lorsqu’on parle de gestion, il est important de relever que l’homme, gestionnaire, applique à son action anthropique sur un milieu naturel un calcul coût-avantages.

Utiliser un milieu naturel pour une activité économique implique nécessairement de veiller à sa bonne préservation. La balance a rapidement penché du côté économique à la fin du XIXème siècle avec la canalisation du Rhin, ayant eu des conséquences néfastes et durables pour les milieux, mais permettant une navigabilité plus fluide et pour toute l’année.

C’est à partir de 1840 que le Rhin perd son caractère de “fleuve sauvage” : offrant une mosaïque d’îles et petits cours d’eau, variant selon les crues et modifiant le chenal, il est devenu une “ligne droite”, avec notamment des problèmes de crues. L’alignement du fleuve a été entrepris par le colonel badois Tulla, posant la première pierre d’une vaste entreprise transnationale et actant la fin des “micro-ecosystèmes” qui pouvaient exister dans les îlots rhénans et accélérant le débit du fleuve et, par là, son érosion.

Une convention franco-allemande du 6 décembre 1982 a été signée, en vue de coordonner les actions des deux pays, notamment pour compenser le coût environnemental causé par cette action de canalisation, essentielle pour la pérennisation du trafic de marchandises sur le Rhin.

En outre, c’est sous l’égide de la Commission Centrale pour la Navigation du Rhin (CCNR) que l’action des pays rhénans en matière de protection environnementale est coordonnée. Des conventions régulent notamment la prévention des risques liés à la navigation (fuites d’hydrocarbures, incendies, accidents…) et pouvant avoir des impacts sur ce qui est considéré comme un “bon potentiel” écologique. Sont également traités les problèmes liés à la réduction des émissions de gaz d’échappement nocifs, des gaz carboniques, et le traitement des déchets survenant à bord des bateaux.

Bien que la CCNR ait pour fonction de mettre tous les États autour de la même table, il ne faut pas omettre que chaque État a la charge de la bonne préservation du milieu que dans la limite de ses frontières et bien que des alliances s’opèrent entre différents ports, il n’en demeure pas moins que celles-ci sont purement économiques pour l’instant, comme l’en atteste la création de l’organisme reliant 7 ports rhénans, l’Upper Rhine Ports.Toutefois, et sous l’influence réglementaire (directive-cadre sur l’eau), de plus en plus d’initiatives croissent, et souvent transnationales, afin de mettre en commun compétences et savoirs, en vue de restaurer les milieux rhénans.

Les Entretiens de Strasbourg en bref

Du 3 au 5 décembre, Les Jeunes Européens - Strasbourg, en collaboration avec les JEF Baden-Württemberg et les Young European Swiss, organisent les 33ème Entretiens de Strasbourg, grand séminaire transfrontalier annuel de conférences et de débats sur des sujets prégnants dans la région du Rhin supérieur et au-delà.

Les Entretiens de cette année auront pour thème “le Rhin, un fleuve européen” et tâcheront de montrer les multiples dimensions environnementales, économiques, sociales, géographiques, ou encore culturelles.

Pour plus d’informations sur les inscriptions, veuillez cliquer sur ce lien.

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