Une déflagration, à moins d’un an et demi des élections européennes de 2024. Début décembre 2022, le ciel s’est brusquement assombri pour le Parlement européen avec le « Qatargate », un vaste scandale impliquant notamment la vice-présidente du Parlement européen, l’eurodéputée socialiste grecque Eva Kaïlí.
Retour sur les principaux faits. En novembre dernier, au moment du lancement de la coupe du monde de football au Qatar, la députée européenne s’est rendue dans l’Emirat du Golfe, à l’invitation du ministre du travail qatari. A son retour, elle a prononcé au Parlement un discours élogieux envers Doha et ses réformes, ponctué d’un dithyrambique « le Qatar est un chef de file en matière de droits du travail », provoquant des remous au sein de la gauche européenne dont elle est issue.
Depuis cette allocution, c’est une véritable tempête qui s’abat sur l’institution européenne. Cette complaisance à l’égard du Qatar s’avère en effet cacher un vaste réseau de corruption d’élus européens, dont la vice-présidente du Parlement européen. Le 10 décembre 2022, Eva Kaïlí a été destituée de ce mandat après que la police belge a retrouvé des fortes sommes d’argent liquide à son domicile. D’autres députés européens sont également impliqués, comme le Belge francophone Marc Tarabella, mais surtout l’Italien Antonio Panzeri, la personne au cœur du scandale, à la tête (selon ses propres aveux) d’une vaste organisation criminelle en lien avec le Qatar et le Maroc, autre pays soucieux d’entretenir une image positive au sein des institutions européennes.
Renforcement de la transparence pour sauver la démocratie européenne
Devant la gravité de cette affaire que le journal français Le Figaro qualifie de « scandale politico-financier » le plus grave qu’ait connu le Parlement européen, les militants fédéralistes européens ne peuvent naturellement qu’être atterrés, mais ne sont a priori pas étonnés, dans la mesure où la transparence au Parlement, bien qu’en progrès depuis le début du XXIème siècle, ne fait toujours pas le poids face aux influences extérieures, catalysées notamment par les activités de lobbying des anciens élus qui ont toujours un accès facilité à l’institution.
Face au « Qatargate », le Parlement souhaite toutefois agir avec détermination. Le 12 janvier, la présidente du Parlement européen Roberta Metsola a annoncé un paquet de 14 mesures pour lutter contre les conflits d’intérêt et l’ingérence de gouvernements de pays tiers, l’une des plus importantes étant l’interdiction aux anciens eurodéputés d’exercer des activités de lobbyisme.
Toutefois, cette politique des « petits pas », tellement révélatrice de la manière de fonctionner de l’UE, frustrent profondément les Fédéralistes européens, partisans d’une transformation radicale de la politique de transparence du Parlement, afin que celle-ci ne se fasse jamais au détriment de la démocratie et des intérêts des citoyens européens.
Plusieurs pistes de réformes ambitieuses concernent un contrôle accru, tel que la mise en place de l’équivalent de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (comme proposé par l’ancienne vice-présidente du Parlement, Sylvie Guillaume), une meilleure protection des lanceurs d’alerte, un élargissement du registre de transparence, ou bien la création d’une justice pénale européenne (dans le prolongement de la mise en place en 2017 du Parquet européen), afin de montrer que l’Union n’est pas un vaste terrain de jeu contrôlé par les Etats membres. La pandémie de Covid-19 a permis des innovations macro-économiques, pourquoi le « Qatargate » ne permettrait-il pas des avancées décisives en faveur d’une justice fédérale plus complète ?
Des mesures drastiques sont nécessaires. Les élections européennes ont lieu en mai 2024 et la campagne va commencer en fin d’année. Le Parlement doit se positionner sur deux aspects : le rétablissement du principe de Spitzenkandidat, éhontément écarté lors du dernier scrutin par les Etats membres, et la construction d’une dynamique électorale basée sur la participation en hausse en 2019, sans pour autant permettre, par ce type de scandale, la constitution d’un boulevard pour l’extrême-droite raciste, anti-démocratique et anti-européenne.
Couper l’herbe sous le pied de l’intergouvernementalisme dans le monde
Toute cette affaire a montré les graves lacunes de la transparence des institutions européennes, vis-à-vis notamment des influences étrangères. Il a aussi montré, par la réaction du Qatar, tous les méfaits de l’intergouvernementalisme. En effet, le 18 décembre 2022, en marge de la finale de la coupe du monde de football, Doha a dénoncé les accusations de l’Union européenne en proférant la menace à peine voilée de « conséquences sur la sécurité énergétique mondiale ».
Cela pose la question du poids des rapports de force dans la diplomatie mondiale. Les Fédéralistes sont fervents partisans de la constitution d’un Etat européen, mais également d’une démocratie mondiale, dans laquelle une instance parlementaire et un gouvernement (basés par exemple sur l’ONU) pourrait permettre la résolution de ce type de conflits sans avoir à entendre de menaces abjectes. Ces instances pourraient aussi empêcher le déclenchement de guerres, comme celle que mène actuellement la Russie à l’Ukraine. Ces propositions sont très hypothétiques pour le moment, mais elles ont le mérite de combler une lacune de gouvernance mondiale et de rééquilibrer la mondialisation quasiment dérégulée.
De la Russie au Qatar, un problème de dépendance énergétique européenne
Il convient de revenir sur la menace du Qatar et d’en évoquer le fond, en plus de la forme évoquée juste au-dessus. Depuis l’agression russe en Ukraine et la guerre qui s’ensuit, le Qatar devient un acteur de premier plan de l’approvisionnement énergétique de l’Union européenne, ce qui lui confère un rapport de force favorable, eu égard à ses réserves considérables de gaz naturel. Il n’y a que trop d’exemples de complaisance à l’égard de pays fournisseurs d’énergie. De plus, l’heure est à la transition énergétique et écologique ambitieuse (voire radicale selon certains). Le développement des énergies renouvelables dans le bouquet électrique doit se faire massivement, grâce à l’apport de la puissance publique européenne et nationale.
L’Europe est encore cheffe de file de nombreuses technologies bas carbone, mais se fait rattraper et dépasser par les Etats-Unis et la Chine. Les Fédéralistes ont été les premiers à soutenir la transition écologique et énergétique, dans la mesure où les effets du dérèglement climatique ne connaissent pas de frontières. L’Union européenne ne doit donc pas s’arrêter à une vague « action énergétique extérieure », mais doit mettre en place une véritable « diplomatie énergétique » en faveur de cette transition bas carbone, tout en luttant contre le chantage énergétique de certains acteurs.
Le « Qatargate » est en train de montrer l’ampleur de la tâche qu’il reste à accomplir, tant dans le domaine de la transparence que ceux de la gouvernance mondiale et de la transition énergétique. Une gageure pour une Union habituée à se retrouver au pied du mur, mais un combat nécessaire, à quinze mois des élections européennes.
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