Les rouleaux de l’océan déferlent sous son avion provenant de Paris qui se pose en douceur sur l’aéroport de Lisbonne. En cette tiède nuit de novembre, son pays, libéré de la Troïka, s’endort devant un match de football et s’apprête même, en coulisses, à rembourser les prêts du Fonds Monétaire International à l’instar de l’Irlande. Les affaires de la faillite d’Espirito Santo, la première banque privée du Portugal recapitalisée par l’État en septembre et de l’altercation entre la justice portugaise et le gouvernement angolais, à la suite du lancement par Lisbonne d’une série d’enquêtes visant des hauts responsables politiques de Luanda, ont été chassé par un vigoureux anticyclone économique. Désormais, le Portugal amorce précautionneusement une nouvelle croissance.
José Socrates sous les verrous
Mais après avoir percé le ciel et roulé sur l’asphalte de Portela, José Socrates ne peut compter sur son nom d’artiste et se voit appréhendé par la police. Le natif des bords du haut Douro, dans le nord du pays, est ainsi soupçonné de fraude fiscale, de blanchiment de capitaux et de corruption. Dans le cadre de la loi de prévention contre le blanchiment d’argent, la justice s’interroge sur des opérations bancaires et de transferts de fonds d’origine inconnue et se penche sur son train de vie démesuré au regard des ressources qu’il déclare. Le « taureau » demeure notamment dans un luxueux appartement des beaux quartiers de Paris, acheté trois millions d’euros, afin de mener une thèse de philosophie à Sciences Po. « J’ai de l’argent, je ne vais pas m’en excuser », s’amuse-t-il.
A l’instar de son savant homonyme vingt-quatre siècles plus tôt, Socrates reste incarcéré aux côtés de grands criminels et la Cour suprême a jugé que sa demande de remise en liberté était « sans fondement légal ». Ironie de l’histoire, l’ancien Premier ministre socialiste entre 2005 et 2011 séjourne dans la maison d’arrêt d’Evora qu’il a lui-même inaugurée. Jamais un si haut dignitaire de l’État n’avait subi les foudres de la police judiciaire lisboète.
Tricheries au sommet de l’État
À l’image de la charmante ville fortifiée du Sud-est, le coq de Barcelos s’est arrêté de chanter et la stupeur inonde maintenant le Portugal. Sa spectaculaire interpellation surmédiatisée a ravivé la tempête qu’un autre scandale de corruption, celui des visas dorés « vistos dorados », venait d’attiser la semaine précédente. Il s’agit cette fois de la mise en examen de plusieurs hauts fonctionnaires soupçonnés d’avoir touché des pots-de-vin en échange de l’octroi d’un passeport portugais et donc d’un laisser-passer Schengen à de riches étrangers.
Si la cession de la citoyenneté européenne aux investisseurs venus acquérir un bien immobilier de plus de 500 000 euros ou remplir un chèque colossal au profit de la République fait déjà couler beaucoup d’ancre, la complicité de ces hauts personnages de l’État a fait déborder le vase des Lusitaniens toujours englués dans la crise. D’autant que la remise de ces passeports se fait dans l’opacité la plus totale et que l’État protège déjà sans le vouloir des criminels ou d’autres condamnés pour escroquerie recherchés dans leur pays. « Le Portugal est à vendre pour un bénéfice nul », dénonce l’eurodéputée socialiste Ana Gomes qui juge le système à la fois « immoral » et dangereux. « Le dispositif encourage les riches étrangers à laver leur fortune au Portugal », ajoute-t-elle.
Les Portugais sous le choc
Dès lors, de Guimarães à Faro, on redoute un orage politique submergeant le fragile équilibre économique et institutionnel de l’État. Le ministre de l’intérieur du Parti social démocrate (centre droit), Miguel Macedo, a déjà démissionné et le candidat du Parti socialiste aux élections législatives du printemps 2015, Antonio Costa, fait profil bas alors qu’il est largement en tête dans les sondages. « Il ne faut pas confondre amitié et solidarité personnelles avec action politique », se défend laborieusement l’ami et l’ancien ministre de Socrates. Les soupçons ne l’atteignent pas, mais dans l’indécision les électeurs s’en méfient.
On entend au loin des bourrasques déchirer le ciel politique. Pour l’instant, les rues restent calmes et les urnes sont garnies de bulletins démocratiques. Mais les sirènes du populisme et de l’extrémisme tonnent et la tornade de l’antisystème risque d’envahir les bureaux de vote, délaissés le 25 mai dernier lors des élections européennes. Le désenchantement politique risque de se transformer en mécontentement, voire en méfiance comme l’éclair draine son tonnerre. L’ouragan politique menace et la campagne électorale qui s’annonce sera sans doute décisive. Les candidats devront s’efforcer d’apaiser et de bercer un pays offensé et résolu à souffler de tempétueux suffrages à destinations des politiques.
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