Le paradoxe nordique : la Scandinavie et la Finlande face au mouvement #MeToo

, par Samuel Touron

Le paradoxe nordique : la Scandinavie et la Finlande face au mouvement #MeToo
Image : Markus Winkler / Pixabay

Célèbre depuis l’affaire Weinstein en 2017, le mouvement #MeToo a mis le sujet des viols et des agressions sexuelles au cœur des débats de société dans le monde occidental. Au sein des pays du nord de l’Europe, discrets un temps sur la question, les débats ont également éclaté au grand jour.

Né en 2007 mais célèbre depuis l’affaire Weinstein en 2017, le mouvement #MeToo a mis le sujet des viols et des agressions sexuelles au cœur des débats de société dans le monde occidental en touchant plus de 80 pays. Si certains Etats ont pris des mesures concrètes face à l’ampleur de ce drame humain, d’autres ont préféré faire la sourde oreille. Les pays nordiques, avancés en matière d’égalité des sexes, ont pourtant des taux élevés de viols et d’agressions sexuelles [1], mais alors, comment expliquer ce paradoxe nordique ?

Le mouvement #Metoo tire sa force de par un constat simple. Il permet de transformer le « je » en « nous » : lorsque j’évoque ma mémoire individuelle, je contribue à construire une mémoire collective. Ainsi, mon vécu, mon histoire devient la cause, le « je » s’additionne à un autre « je » pour former un « nous » qui grossit à mesure que les témoignages s’additionnent. C’est, pour le formuler plus simplement, la somme des petites histoires qui crée la grande. La maîtrise parfaite des réseaux sociaux et la liberté accordée à la parole des femmes dans les sociétés occidentales a permis l’émergence de #MeToo garantissant un espace suffisamment sécurisé pour que la parole puisse s’exprimer. Les sociétés nordiques égalitaires, libres, mondialisées et où l’insécurité est faible réunissaient toutes les conditions pour voir l’expansion d’un tel mouvement.

« #JagOckså » la révolution #MeToo suédoise

Le #Metoo suédois a eu l’effet d’un tremblement de terre, à tel point que la Suède est le pays où le mouvement s’est le plus diffusé après les États-Unis. Tout est parti d’un Français, Jean-Claude Arnault, personnage influent dans l’attribution du Nobel de littérature remis par l’Académie du Nobel basée à Stockholm. L’homme étant accusé de dix-huit agressions sexuelles, ces révélations provoquèrent une vague de démissions et de renvois à l’Académie suédoise entraînant jusqu’à l’annulation pure et simple du prix Nobel de littérature 2018 repoussé à 2019. En tout c’est près de 70 000 femmes de plus de 60 professions différentes [2] qui ont témoigné avoir été ou être victimes d’agressions sexuelles provoquant dans ce calme pays scandinave, le scandale du siècle.

Les licenciements ont été nombreux, entraînant jusqu’au changement de la définition du « viol » dans la loi suédoise. Celle-ci dispose que se rend coupable de viol toute personne qui a une relation sexuelle avec une personne qui n’a pas exprimé son consentement de manière explicite. La victime n’a donc plus a prouver que le viol a eu lieu sous la menace ou la violence. Le simple fait de ne pas être consentant constitue un viol. Résultat, en deux ans, le nombre de condamnation pour viol a augmenté de 75% allant de paire avec la hausse du nombre de plaintes déposées rendue possible par la libération de la parole des victimes. Seul problème, la difficulté pour les juges de statuer sur l’existence d’un consentement ou non, craignant que des jugements arbitraires soient rendus, la signature d’un contrat écrit avant chaque rapport sexuel pourrait être envisagée à l’avenir. Les débats, incisifs, restent ouverts sur ce dernier point.

Le Danemark touché « en direct » par la vague #MeToo

Autre pays où la vague #MeToo a provoqué des effets conséquents : le Danemark. Touché plus tardivement que la Suède, le royaume danois s’est retrouvé confronté à son tour au mouvement et avec quelle force ! En direct des « Zulu Awards », Sophia Linde, présentatrice de la cérémonie, a dénoncé pendant de longues minutes le chantage sexuel et le sexisme dans le monde de l’audiovisuel et plus largement dans la société danoise. Ces déclarations ont eu l’effet d’une bombe au pays du hygge et a donné lieu à des déclarations et à des démissions multiples. Mi-octobre, le maire de Copenhague, Frank Jensen, abandonne son poste après avoir été accusé de gestes inappropriés par deux de ses collaboratrices en 2012 et en 2017 ainsi que d’harcèlement sexuel sur huit personnes par son propre parti politique (Socialdemokratiet).

Le parti social-démocrate a également vu son président démissionner, Morten Østergaard, ancien député et ministre, qui, accusé d’avoir importuné une collègue, a également préféré quitter la direction du parti. Depuis, les dénonciations et les témoignages ont afflué, poussant le gouvernement danois, jusque-là très silencieux, à réagir. La Première ministre sociale-démocrate, Mette Frederiksen, a ainsi déclaré : « Le harcèlement et les atteintes ne peuvent pas être défendus. Ensemble, nous devons créer une culture où cela n’est pas acceptable. Ni en paroles ni en actes » [3].

Le virage des années 1980 : les modèles suédois et danois face à face

Comment expliquer un tel effet du mouvement #MeToo sur les sociétés nordiques ? Les raisons sont multiples et se complètent les unes les autres créant un climat particulièrement favorable à la libération de la parole et à la prise de mesure concrètes contre les violences sexuelles. Tout d’abord, si des divergences subsistent, l’Islande (1er), la Norvège (2ème), la Finlande (3ème) et la Suède (4ème) font partie des pays les plus avancés au monde en matière d’égalité des sexes, seul le Danemark fait moins bien en raison des inégalités de revenus qui persistent et d’une culture féministe qui n’est pas vraiment adoptée dans le pays [4]. En effet, seule une Danoise sur six se déclare féministe, un chiffre largement moindre que chez leurs voisines suédoises où une personne sur deux se revendique comme tel. Alors, pourquoi un tel écart ?

Les années 1980 ont constitué un point de divergence entre la Suède et le Danemark sur l’égalité des sexes. Alors que la Suède voyait se développer un grand nombre de mouvements féministes dont le développement était encouragé par l’Etat et les médias, le Danemark a considéré que l’égalité était désormais acquise. Les médias et le gouvernement ont donc cessé de développer des discours et des moyens importants pour mener des politiques dans ce domaine.

Ainsi, les Danoises ne se sont plus massivement déclarées comme féministes, trouvant l’état actuel du pays en la matière satisfaisant. L’inexistence du mouvement #MeToo dans le pays en 2017 et en 2018 en témoigne. Selon la chercheuse en journalisme à l’Université de Roskilde, Jannie Møller Hartley : « Les femmes qui osaient parler étaient considérées comme des pleurnicheuses et accusées de casser l’ambiance hygge », corroborant ces dires, une étude menée par l’Université d’Aarhus a montré que les journaux danois ont écrit deux fois plus d’articles négatifs que positifs sur le mouvement #MeToo. En Suède, c’est l’exact inverse qui s’est produit.

Le paradoxe nordique : égalité quasi-parfaite et hausse des violences sexuelles

Une question demeure : celle des chiffres, #MeToo a-t-il permis de modifier la prise en compte des violence sexuelles et d’adopter des réponses concrètes politiquement et juridiquement ? Le changement de définition du viol a évidemment fait grimper les chiffres. Alors qu’en France, seul l’acte de pénétration constitue un viol, en Suède, tout acte sexuel non-consenti explicitement est comptabilisé comme tel. Cependant, Amnesty International s’était alarmé du taux impressionnant de viols et d’agressions sexuelles dans les pays nordiques. S’il est vrai que le changement de variable induit des résultats différents, force est de constater que ces taux restent excessivement hauts.

En outre, la Suède possède le taux par habitant le plus élevé de viols et d’agressions sexuelles de toute l’Union européenne avec une hausse de 170% entre 2004 et 2011. Ainsi, 30% des nordiques (Danemark, Suède, Finlande) ont vécu une situation d’agression sexuelle contre une moyenne de l’UE à 22% [5]. L’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne a établi l’existence d’un lien étroit entre le niveau d’égalité d’une société et une plus grande divulgation de la violence sexuelle et physique à l’égard des femmes expliquant de fait ce paradoxe nordique d’une situation d’égalité presque complète et d’un taux de violences sexuelles si élevé. S’il est encore trop tôt pour conclure d’un bénéfice ou non du mouvement #MeToo sur la condamnation et la sensibilisation aux violences sexuelles, une chose est certaine, les pays nordiques semblent avoir bien pris la mesure de cette tragédie, à charge à d’autres de prendre le taureau par les cornes ou de laisser faire…

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Notes

[1« Time for Change : Justice for Rape Survivors in the Nordic Countries », Amnesty International, 3 avril 2019

[2Anne-François HIVERT, « Les excès du #MeToo suédois en débat », Le Monde, 11 juin 2019

[3Anne-François HIVERT, « Le Danemark prend enfin la vague #MeToo », Le Monde, 25 septembre 2020

[4Rupert NEATE, « UK falls six places in gender equality rankings », The Guardian, 16 December 2019

[5« Time for Change : Justice for Rape Survivors in the Nordic Countries », Amnesty International, 3 avril 2019

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