Dans deux mois, nous serons appelés aux urnes pour élire les députés qui nous représenteront au Parlement européen. Malgré la proximité de l’échéance, la campagne patine en France. Le débat pour les Européennes est éclipsé par le grand débat national et la recomposition des partis de la droite et de la gauche. En même temps, on voit la jeunesse, inquiète pour son avenir, descendre dans les rues pour interpeller les décideurs politiques et leur réclamer des actions concrètes afin de lutter contre le dérèglement climatique. “Rien n’est plus puissant qu’une idée dont l’heure est venue”, écrivait Victor Hugo. Et si l’heure du Pacte finance-climat était venue ?
L’Europe, pionnier de la transition écologique et solidaire ?
L’économiste Pierre Larrouturou en est certain : la lutte pour le climat peut redonner goût aux Européennes. Placer la question de la transition écologique et solidaire au cœur du débat des élections de mai peut provoquer un sursaut collectif. A condition de se donner les moyens de son financement. La Cour des comptes européenne chiffre à 1 115 milliards par an le coût de la transition écologique. Face à un tel montant, impossible de faire cavalier seul ! L’Allemagne et les Pays-Bas s’en sont récemment rendu compte, rappelle Pierre Larrouturou, en janvier, lors de son audition devant le Sénat. Faute de financements suffisants, Peter Altmaier, ministre de l’Economie et de l’Energie allemand, a dû envisager de revoir à la baisse son projet de loi sur l’efficacité énergétique. De même, aux Pays-Bas, pourtant condamnés par la justice pour son inaction, le premier ministre Mark Rutte a reconnu ne pas avoir les moyens de financer l’isolation des bâtiments ni la construction de nouvelles digues. La solution est donc nécessairement supra-nationale. Alors que l’Amérique de Trump s’est retirée de l’accord de Paris, l’Europe peut devenir le laboratoire de la transition écologique et solidaire. Même si ses émissions de gaz à effet de serre ne représentent que 10% du total des émissions, l’Europe peut montrer l’exemple et prouver qu’il est économiquement et socialement intéressant d’être audacieux.
“Si la terre était une banque, on l’aurait déjà sauvée”
Pour Pierre Larrouturou, le financement de la transition écologique n’a rien d’insurmontable. “Il n’y a jamais eu autant de liquidités qu’aujourd’hui”, souligne-t-il. “Depuis trois ans, la Banque centrale européenne (BCE) a créé 2 600 milliards d’euros pour relancer l’économie, or seulement 11% de cette manne a été injectée dans l’économie réelle. Le reste est parti dans les marchés financiers, à la spéculation.” Avec le Pacte finance-climat, Pierre Larrouturou et le climatologue Jean Jouzel veulent mettre la création monétaire au service de la lutte contre le dérèglement climatique. “Il faut flécher le quantitative easing vers une économie à forte efficacité énergétique et faible en carbone”, résument-ils.
Le Pacte finance-climat, c’est quoi ?
L’idée d’un pacte pour mettre la finance au service du climat n’est pas nouvelle. Elle a d’abord été proposée en 2012 par le collectif Roosevelt, reprise ensuite par le parti Nouvelle Donne, cofondé par Pierre Larrouturou pour les précédentes élections européennes et réactivé en 2018 pour rassembler le plus largement possible. Le mot d’ordre : interpeller les chefs d’Etat et de gouvernement européens pour négocier le plus rapidement possible un pacte qui assurerait pendant trente ans les financements nécessaires à la transition écologique. Une transition qui se veut solidaire : elle n’affecterait ni le pouvoir d’achat des ménages, ni les acteurs économiques vulnérables et pourrait créer, selon l’Agence pour l’environnement et la maîtrise de l’énergie (Ademe), 800 000 emplois en France et 6 millions en Europe. Pour atteindre cet objectif ambitieux, le Pacte prévoit deux outils : la création d’une Banque européenne du climat et de la biodiversité, et la mise en place d’un Fonds européen du climat et de la biodiversité d’un montant de 100 milliards d’euros par an.
Quelle stratégie pour mettre le Pacte au coeur des européennes ?
“On a mis 95% de notre énergie en France et Belgique”, explique Pierre Larrouturou. Un investissement qui semble porter ses fruits. Un récent sondage indique que 72% des Français se déclarent favorables au Pacte (Ifop, février 2019) et 241 députés français sur 577 l’ont signé. Suite à la manifestation belge du 27 janvier, une résolution cosignée par la quasi-totalité des partis a été déposée au Parlement afin de demander à Charles Michel, Premier ministre belge, de porter le projet du Pacte dans les négociations européennes. “En France et en Belgique, on commence à avoir une masse critique”, se félicite Pierre Larrouturou. L’enthousiasme et la curiosité sont visibles : “A Louvain comme à Lyon, les amphis sont pleins pour débattre du pacte finance-climat”, se réjouit-il sur Twitter. Et dans ces amphis, on aperçoit des femmes et des hommes de tout âge et de tous horizons politiques. Cette diversité se retrouve chez les 600 personnalités venues de douze pays et de toute sensibilité. Citons par exemple Teresa Ribera, Alain Juppé, Sirpa Pietikäinen, Laurent Fabius, Podemos, Pervenche Bérès, Pedro Sanchez, Sandrine Le Feur, Cyril Dion, ou encore Aurore Lalucq, et bien d’autres.
Le collectif du Pacte finance-climat veut désormais organiser des débats en Allemagne et aux Pays-Bas afin de promouvoir le projet dans le reste du continent. “L’objectif est de mobiliser les citoyens partout en Europe pour qu’ils interpellent leurs décideurs”, poursuit Pierre Larrouturou. “Nous menons une stratégie en tenaille”, ajoute-il, “nous sommes dans la rue avec les mouvements citoyens et en même temps nous faisons du plaidoyer auprès des dirigeants.” Face aux soutiens réitérés d’Emmanuel Macron au Pacte finance-climat, Pierre Larrouturou espère que “ce ne sera pas juste un argument électoral” mais un engagement à porter le Pacte devant le Conseil européen les 21 et 22 mars prochains.
Quels enjeux derrières les élections de fin mai ?
“Le Parlement européen aura un rôle primordial pour changer les choses”, insiste Karl Falkenberg : “c’est lui qui désignera le futur président de la Commission, c’est lui qui participera à toutes les procédures législatives qui s’en suivront”. En effet, si le Parlement vote conjointement les lois avec le Conseil de l’Union européenne, c’est la Commission qui est à l’initiative des textes législatifs. La Pacte ne pourra aboutir que par l’élection et la constitution de majorités. C’est pourquoi les promoteurs du Pacte travaillent avec les plateformes électorales des grandes familles politiques représentées au Parlement européen afin qu’elles reprennent le projet dans leur programme électoral. “Cela permettrait une mobilisation de l’électorat en faisant bien comprendre qu’une élection au Parlement européen n’est pas une élection pour sanctionner un gouvernement national ”, explique Karl Falkenberg. “En votant le 26 mai, nous pouvons faire de la transition écologique et solidaire la priorité de l’Union européenne”.
“A long terme, c’est la paix mondiale qui est en jeu”
“Tout le monde a conscience que l’Europe peut mourir si elle n’a pas un nouveau projet”, affirme Pierre Larrouturou. Dans ce contexte, le collectif Pacte finance-climat semble envisager la lutte contre le dérèglement climatique comme une chance à saisir, un mal à combattre ensemble, une occasion de converger vers un même objectif. “Née avec la mise en commun du charbon et de l’acier, l’Europe pourrait renaître avec un traité relatif au climat et l’emploi”, assure avec conviction Pierre Larrouturou.
Si l’UE s’est construite pour proscrire la guerre, elle pourrait se cimenter autour de la cause écologique. “Attention”, prévient Karl Falkenberg, “il ne s’agit pas de substituer le projet de paix par la lutte pour le climat, mais de travailler sur le climat qui nous assurera la paix”. “Si à court terme c’est notre prospérité qui est en jeu, ça va vite devenir la paix mondiale”, renchérit Pierre Larrouturou. Comment pourrions-nous gérer pacifiquement les problèmes croissants de sécurité alimentaire, de santé, de perte de biodiversité, de raréfaction des ressources, des réfugiés climatiques que l’ONU évalue à 150 millions dans les trente ans qui viennent ? “Ce n’est pas un hasard si le GIEC a reçu non pas le prix Nobel de physique et chimie mais celui de la paix en 2007”, insiste Pierre Larrouturou.
La célèbre citation de Robert Schuman prend alors de nouveau tout son sens : “la paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent”.
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