Le Nobel pour l’Union Européenne, à quel prix ?

, par Nicolas Delmas

Le Nobel pour l'Union Européenne, à quel prix ?

Depuis plusieurs années, un candidat divise le comité d’attribution du Prix Nobel de la Paix En effet, certains de ses membres aimeraient que l’Union Européenne soit récompensée pour son combat incessant en faveur de la paix et sa défense répétée des droits de l’homme. Cependant, ce choix requiert l’unanimité des membres, seuil nécessaire pour l’obtention du prix.

Or, le collège du Nobel se doit d’exprimer les diverses tendances politiques du Parlement. Il se trouve que l’extrême-droite, fortement opposée à cette candidature, a désigné une personne qui partage leur idée. Qu’importe ses probabilités de se réaliser, cette hypothèse – pour l’heure – a le mérite de soulever deux questions.

Une question de fond : la portée sur les spécificités de l’UE

Tout d’abord, l’attribution du Prix Nobel contribuerait certes à apporter du prestige à l’Union et à accroître sa visibilité. Toutefois, un tel point de vue, apparemment satisfaisant en tout point, méconnaitrait un aspect primordial de l’Union : son caractère sui generis – une identité propre.

En effet, encore à l’heure actuelle, nul spécialiste ne peut avancer, avec certitude, la nature de la construction européenne. Doté d’une volonté initiale forte – mais depuis, malheureusement instable – et d’une méthode peu conventionnelle, ce processus fait fi de la dichotomie classique juridique « Organisation Internationale »/« État national ».

Or, depuis sa création, aucun État n’a reçu le Prix Nobel de la Paix. Seules des organisations internationales (ONU), des ONG (MSF), des personnes (Barack Obama) peuvent bénéficier de cette récompense. Pourquoi ces différences au niveau du traitement ?

Il est de leur essence même pour les États de faire une politique conforme à leurs seuls intérêts. Comme le disait un européiste convaincu, Charles de Gaulle, « la politique, c’est une action pour un idéal à travers des réalités ».

Les États ne cherchent qu’à satisfaire leurs besoins nécessaires à leur survie. Si leur objectif à atteindre nécessite de passer par une paix mondiale, alors, ce but sera activement recherché. Sinon, d’autres enjeux seront traités en priorité, en prenant en considération les bénéfices à court et moyen terme.

Il ne faut pas oublier qu’il n’appartient pas à un État de décider par lui-même. Cette entité reste une fiction juridique (comme le rappelait avec humour Gaston Jéze sur l’impossibilité de manger en compagnie d’une personne morale, autre fiction juridique). Elle n’existe qu’à travers les personnes qui le dirigent.

La politique française à l’égard de l’Allemagne en est une parfaite illustration. Ainsi, après la première guerre mondiale, la France a mené une politique pour répercuter le coût de la reconstruction sur sa voisine d’outre-Rhin, abandonnant les Allemands à leurs rancoeurs.

A l’inverse, après la seconde guerre mondiale, les dirigeants ont préféré penser à reconstruire ensemble nos pays sans s’acharner sur nos voisins. Les dividendes de cette action s’apprécient très largement aujourd’hui. (1)

D’ailleurs, seules des organisations à vocation mondiale ont été récompensées. Aucune organisation à vocation régionale n’a été distinguée à l’heure actuelle.

Néanmoins, si un tel prix devait être accordé à une organisation régionale, il semblerait ne pouvoir y avoir qu’un seul prétendant : le Conseil de l’Europe. Ce choix s’impose à la fois pour son activisme en faveur des droits de l’homme (la Convention Européenne des Droits de l’Homme) et pour son aide essentielle apportée aux ex-satellites du bloc de l’Est dans leur cheminement vers la démocratie.

Il ne faut pas oublier que malgré son activisme pour la paix, l’Union reste, au mieux, une somme des intérêts des États qui la composent. Un jour, peut-être, l’Union aura sa propre politique. Cependant, celle-ci reflétera alors la réalisation de ses intérêts.

Certes, un prix Nobel de la Paix ne suffirait pas seul à mettre l’Union sur le même plan que toutes les organisations internationales classiques, tant le débat sur la question est complexe.

Pour autant, je crois qu’un tel prix ne serait pas bienvenu, en dépit des bénéfices politiques assurés. Ce n’est pas ce genre de récompense qui rapprochera l’Union de ses citoyens. Au mieux, ils la trouveront désormais sympathiques (un peu comme le sentiment des populations à propos de l’ONU). Au pire, elle leur paraîtra pathétique, tant depuis le début, elle n’arrive pas à faire comprendre sa spécificité.

Dès son origine, elle n’était pas seulement pour la paix. Il fallait faire une « fédération ». Et pour s’en convaincre, il suffit de regarder le rôle de l’UE dans l’OMC pour s’apercevoir que d’ores et déjà, commence à poindre un intérêt commun.

Toutefois, malgré ces freins, il se pourrait qu’un jour, l’Union se retrouve récompensée.

Une question de forme : qui aurait le billet d’avion pour Stockholm ?

Pour une fois, incarner l’Union aux yeux du monde permettrait de revaloriser nombre de postes dont l’importance est actuellement considérée comme moindre. Il se trouve que quatre prétendants se disputeraient la place en jeu.

Tout d’abord, l’évidence appelle à se tourner vers le président de la Commission. En effet, sa fonction le place à la tête de l’institution garante des intérêts de l’Union. De plus, il faut préciser que lorsque les Nations Unies se sont vues récompenser en 2001, c’est le secrétaire général de l’époque, Kofi Annan qui est venu chercher le prix.

Sans faire de parallèle excessif entre les fonctions, ces deux personnes assurent la représentation des organisations, sans les présider pour autant. Par ailleurs, la Commission reste la gardienne des Traités et donc de l’ordre juridique communautaire.

Un concurrent à ne pas négliger reste le Haut Représentant de l’Union pour les Affaires Étrangères – HRUAE, à savoir Lady Catherine Ashton depuis le 1er décembre 2009. Certes, les récents événements (le refus d’assister à la cérémonie du Prix Nobel de la Paix en faveur du dissident chinois) ne la mettent pas dans une position idéale. Mais, ils semblent plus être du à un problème de personne, qu’à une difficulté due à la fonction.

En effet, le HRUAE dispose de deux titres de compétence susceptibles de le préférer au Président de la Commission. D’un point de vue organique, il serait la personne adéquate puisqu’il assure la vice-président de la Commission, garante de l’intérêt commun et qu’il reste le mandataire du Conseil, garant de l’intérêt des États membres. D’autre part, d’un point de vue fonctionnel, il gère la politique extérieure de l’Union.

Néanmoins, son ambivalence fonctionnelle et ce balancement perpétuel entre Commission et Conseil ne le condamne-t-il pas ? De plus, il reste, d’un point de vue hiérarchique, sous le président de la Commission. Si l’on peut souhaiter que ce dernier se déplacerait à Stockholm malgré tout, il vaut mieux que ce soit la personne ayant la plus haute fonction dans l’Union qui s’en charge.

Le président du Conseil Européen peut également prétendre à représenter l’UE à Stockholm puisque l’Union constitue, malgré toutes les évolutions récentes, une addition des souverainetés étatiques. Or, ce collège des Etats dispose désormais d’une institution formellement reconnue, le Conseil Européen et d’un président au mandat stabilisé (2 ans et demi) grâce au Traité de Lisbonne. Pour autant, une telle personne n’est pas appropriée pour aller chercher cette récompense. En effet, cela méconnaîtrait les particularités fortes de l’Union.

L’Union est, dans sa nature, un objet de paix puisqu’il s’agit de cesser la guerre entre les États qui y participent. Si ce sont les États qui ont permis l’existence de l’Union, ce sont des hommes qui sont à son origine. Il faut avant tout saluer ces personnes qui ont su donner l’impulsion nécessaire. Le représentant des États membres n’est pas le mieux placé car l’Union n’a jamais été seulement un groupe d’États. L’Union demeure aussi une réunion de populations.

Enfin, la présidence tournante en exercice pourrait être tentée de vouloir bénéficier de l’écho médiatique offert par le prix et le discours de réception du prix. Néanmoins, elle n’apparaît pas comme une réalité tangible. Aucun chef d’État n’a de titre pour représenter l’Union sur la scène internationale.

De la même manière, personne n’aurait imaginé qu’un pays au prétexte qu’il assurait la présidence mensuelle du Conseil de Sécurité des Nations Unies aille récupérer le Prix des Nations Unies. Il se trouve qu’en fonctionnant encore sous la forme d’une « troïka », il faudrait envoyer les trois chefs de gouvernement assurant l’exercice en cours. Un sacré « triumviril d’ego » en perspective.

De plus, cet archaïsme de l’institutionnalisation de l’UE reste voué à disparaître, car il suffira d’une personnalité forte à la tête du Conseil européen pour que ait totalement disparu cette « présidence à trois ».

Ce prix Nobel aurait certes deux mérites : récompenser les efforts évidents de l’Union Européenne en faveur des droits et libertés et améliorer l’image de la construction européenne.

Néanmoins, il risquerait d’entraîner une banalisation des spécificités qui font de cette Union un être hors norme (en dehors des normes). Elle n’est pas qu’un collège d’États, elle est avant tout une communauté de personnes. Elle n’est pas là pour sauver le monde, elle est seulement là pour protéger les populations qu’elle abrite.

A l’heure des choix, il serait temps de prendre en considération ses particularités...

(1) Alexis Aron, Rapport Mai 1943 « En dehors du châtiment implacable à infliger aux responsables du cataclysme actuel, et de l’expiation de tous les crimes accomplis, le futur règlement de la Paix peut s’inspirer de deux tendances ; imposer aux nations vaincues les conditions d’une extrême rigueur destinée à les placer, pour un long avenir, dans l’impossibilité de déchaîner de nouveaux conflits ; envisager au contraire un traité de conciliation en évitant de répandre parmi les populations des germes trop certain de redoutables réactions. La présente étude suppose exclusivement l’hypothèse de l’adoption de cette deuxième formule. »

Photo : Nobel Medal and Citation

Source : cstmweb

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Vos commentaires
  • Le 25 janvier 2011 à 23:58, par KPM En réponse à : Le Nobel pour l’Union Européenne, à quel prix ?

    Bref, c’est Schuman et Monnet qu’il aurait fallu couronner.

  • Le 26 janvier 2011 à 10:51, par Martina Latina En réponse à : Le Nobel pour l’Union Européenne, à quel prix ?

    Il est grand temps que l’Union Européenne songe sérieusement à ses sources comme à son avenir : elle n’existe que par la circulation, antique et toujours en cours, euro-méditerranéenne. A quand la prise de conscience des urgences politiques impliquées par notre origine et notre vocation, qui toutes deux s’appellent EUR-OPE et nous appellent à prendre enfin, définitivement, la mesure, donc la VASTE-VUE, de la démocratie née de la navigation et du lumineux alphabet phéniciens, donc issue de la même patrie, précisément, qu’EUROPE ?!

  • Le 4 février 2011 à 14:35, par Alith Anar En réponse à : Le Nobel pour l’Union Européenne, à quel prix ?

    Si l’Europe me paie mon sandwich du midi, je suis favorable à ce qu’elle reçoive un prix Nobel. En effet elle aura apaisé mon estomac, et ça c’est bien.

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