Le malheur des uns fait le bonheur des autres : le COVID-19 et la popularité des gouvernements en Europe

En temps de crise, les électeurs veulent de la stabilité, pas de la fantaisie

, par Guillermo Íñiguez, Jakob Weizman, Kristijan Fidanovski, Natan Pawłowski, Théo Boucart, traduit par Jérôme Flury, traduit par Théo Boucart, traduit par Thibault Dutoit

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Le malheur des uns fait le bonheur des autres : le COVID-19 et la popularité des gouvernements en Europe
Le premier ministre, Édouard Philippe. Crédit : Jacques Paquier, via Flickr

Alors que l’épidémie de COVID-19 a contaminé des centaines de milliers de personnes, le mode de vie européen connaît des bouleversements sans précédent. Alors que la plupart des gouvernements européens font comme dans le reste du monde et prennent des mesures d’envergure pour endiguer la pandémie, la politique européenne serait-elle également en train de changer ? Cinq de nos rédacteurs, chacun venant, et habitant dans un pays différent, ont analysé des tendances générales concernant les partis politiques européens face au COVID-19.

Cet article n’a pas pour sujet le virus en lui-même, ou même les réponses politiques face à la pandémie. Il a pour sujet l’impact de ces réponses sur la popularité des partis politiques européens, peu importe quand elles ont été prises et si elles sont allées suffisamment loin. Pour que nos résultats soient plus représentatifs de la situation sur le vieux continent, nous nous sommes focalisés sur des pays aussi divers que la Macédoine du Nord et le Kosovo dans les Balkans, la Pologne en Europe centrale, et la France et le Royaume-Uni en Europe occidentale.

Une précision encore plus importante est à apporter ici pour différencier ces pays : la Pologne et les deux pays balkaniques ont réagi bien plus tôt face à l’urgence de la crise que la France et surtout le Royaume-Uni. Tandis que Londres a perdu de précieuses semaines à tergiverser avec « l’immunité collective », Skopje et Pristina demandent à leurs citoyens de rester chez eux en instaurant un couvre-feu généralisé de 13 heures, de la fin de l’après-midi au petit matin.

Et pourtant, ces pays font face à la même situation : le COVID-19 sert la popularité des gouvernements. Nous laisserons le soin aux universitaires de déterminer la corrélation exacte, ou bien si cet état de grâce est pérenne. En tout cas, les décideurs se frottent les mains pour le moment.

Le Royaume-Uni

C’est une période étrange pour les partis politiques britanniques. La victoire décisive de Boris Johnson lors des élections législatives de 2019 a mis fin à trois années de « Hung Parliament » (une sorte de coalition parlementaire entre les Conservateurs et les Unionistes nord-irlandais du DUP). Le 31 janvier, après 47 années d’adhésion, le Royaume-Uni quittait l’Union européenne. Le fiasco électoral des Travaillistes a sonné le glas pour Jeremy Corbyn à la tête du parti et a plongé ce dernier dans une course sans fin à sa succession, jusqu’à la victoire sans surprise de Keir Starmer. Après des années d’âpres confrontations politiques, Westminster est devenu un lieu étonnamment prévisible.

Même le COVID-19 n’a pas réussi à perturber cette prévisibilité. Dans cette crise, les partis ont joué un rôle de second plan jusqu’à maintenant, surtout en les comparant à ceux d’autres pays. Les guerres intestines au sein du parti travailliste ont fait que la principale opposition s’est retrouvée sans porte-parole audible. Alors que la course était terminée, l’hospitalisation de Boris Johnson a changé la donne : la marge de manœuvre (ainsi que la volonté) de s’engager dans une guerre de sondages est faible. En d’autres termes, une pandémie a semblé nécessaire pour que le consensus revienne régir la politique britannique.

Pour autant, cela ne signifie pas que les désaccords politiques aient disparu. La loi sur le coronavirus, proposée par le gouvernement, est considérée comme la « plus grande extension du pouvoir exécutif jamais vue à l’heure actuelle ». La stratégie d’immunité collective a été largement critiquée. Alors que la pandémie progresse, le gouvernement pourrait n’avoir d’autre choix que d’adopter des mesures plus strictes. Alors que le nombre de Britanniques exigeant de telles mesures ne fait qu’augmenter, elles risquent de ne pas plaire à tout le monde et avec la fermeture du Parlement, on peut se poser la question de la responsabilité de l’exécutif.

Il reste à savoir quel ton adoptera le parti travailliste de Keir Starmer et comment il atteindra le bon équilibre entre une opposition solide et le soutien à l’unité nationale en période de crise. A moins que la situation ne dérape réellement, la majorité conservatrice de 80 sièges au Parlement fait qu’il est improbable que le coronavirus ait des effets durables sur les partis politiques britanniques. Pour le moment, tout est calme sur le front Westminster.

France

La France a été le premier pays en Europe à signaler des cas de coronavirus. On a alors pensé que le virus avait été « importé » par des étrangers qui revenaient de Chine. Depuis lors, le pays est devenu un épicentre de la pandémie, malgré les affirmations répétées du gouvernement, et en particulier de la ministre de la santé d’alors, Agnès Buzyn, ainsi que de la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, qu’une pandémie ne pouvais pas éclater sur le sol français.

C’est pourquoi on est en droit de se demander si la réponse du gouvernement face à la crise n’a pas été timide, voire complètement déconnectée de la réalité. Le premier tour des élections municipales, qui se sont soldées par une défaite relative pour le parti présidentiel, se sont tenues le 16 mars, alors qu’Emmanuel Macron avait annoncé auparavant que les écoles et les universités fermeraient sine die. Finalement, Macron et Edouard Philippe ont décidé un confinement, repoussant pour une durée indéterminée le second tour des élections.

Cependant, ces couacs ne semblent pas avoir beaucoup pénalisé le couple exécutif jusqu’à présent. Début avril, un sondage pour le magazine l’Express annonçait que 46% des sondés approuvaient la présidence d’Emmanuel Macron, soit 13 points de plus que lors du précédent sondage. La popularité d’Edouard Philippe s’élevait à 43%, soit une hausse de 7 points. Le ministre de la santé, Olivier Véran semble être le « grand gagnant » et est désormais l’un des politiciens les plus appréciés. Malgré des hauts et des bas dans les sondages du mois d’avril, les cotes de popularité du couple exécutif sont supérieures à la « normale ». Pourtant, l’action du gouvernement est toujours considérée avec scepticisme. Selon le même sondage, seuls 32% des sondés avaient confiance en la stratégie du gouvernement. Par conséquent, les résultats en termes de capital politique sont mitigés.

Pourtant, les partis populistes n’ont pas profité de l’hésitation du gouvernement. Le Rassemblement National ne gagne pas en popularité, tandis que Marine Le Pen était même en baisse dans les enquêtes d’opinion de début avril. Selon le journal Les Echos, sa rhétorique agressive contre Macron et Philippe ne semble pas payer. Toutefois, les populistes pourrait gagner du terrain si la crise sanitaire débouchait sur une crise économique et sociale aiguë.

Pologne

Voir nos amis Européens, surtout en Italie, mener le combat dans cette lutte désespérée contre la pandémie, a donné au peuple et au gouvernement polonais la volonté d’agir. La Pologne se trouvait dans une situation plus favorable, puisque lorsque les frontières ont été fermées, seulement 100 cas avaient été déclarés dans le pays.

Depuis, le gouvernement a passé le plus clair de son temps à rappeler que sa réponse avait été plus rapide que celle des Italiens, des Allemands, des Espagnols et des Français. Aussi indécent soit ce type de comparaison avec des alliés proches en ce moment terrifiant, c’est très caractéristique du PiS (Droit et Justice), le gouvernement nationaliste d’extrême droite. Durant les premières semaines du confinement, les mesures semblaient appropriées et le gouvernement semblait déterminé à maîtriser la situation. Les problèmes sont apparus lorsque tout le monde s’est rendu compte que les élections présidentielles devaient se dérouler le 10 mai. D’après la loi, les élections peuvent être reportées seulement si une « loi extraordinaire » est votée, comme une loi martiale, une « loi exceptionnelle » ou une loi en cas de catastrophe naturelle.

Ce qui est problématique, c’est que le Président actuel, Andrzej Duda, semble avoir les meilleures chances de l’emporter si l’élection se tient à la date prévue – en plein milieu de pandémie. Dans la politique polonaise, occuper la présidence et la chambre basse du parlement assure le pouvoir, ce qui explique que le PiS veut à tout prix les conserver (d’autant plus après avoir perdu le Sénat – à la surprise générale – à l’automne dernier).

Le 6 avril, un projet de loi a été déposé, dans l’objectif de laisser tout le monde voter par voie postale, suscitant l’indignation et des critiques, notamment adressées au PiS, sur le peu de considération qu’il porte à la vie des postiers. A un moment, la coalition au pouvoir a même failli imploser, lorsque l’un des partenaires a affirmé que conserver la date du 10 mai était impossible. Toutefois, et quand bien même un changement puisse toujours intervenir dans le mois, la Pologne semble maintenir une élection facile à truquer.

Alors que dans d’autres pays, combattre la pandémie est une occasion de renforcer l’unité nationale, celle-ci est vue en Pologne comme une tentative d’accaparer le pouvoir. C’est plus subtil et moins direct qu’en Hongrie, mais personne ne peut être certain de la manière dont cela va se terminer. Avec les procédures de distanciation sociale existantes, il n’y a même pas de possibilité de protester ou d’avoir un débat politique normal – et c’est la raison pour laquelle tout cela est si dangereux. Pendant ce temps, 57 % des Polonais s’opposent à la tenue d’élections pendant l’épidémie de Covid-19. Si le PiS est si fier de sa réponse rapide et solide face à la crise, il serait bien en peine de justifier comment le maintien d’une élection rentre dans ce cadre.

Kosovo

Le gouvernement kosovar a été évincé à la fin du mois de mars, en pleine pandémie après qu’une majorité des parlementaires ont voté en faveur d’une motion de défiance à l’égard du Vetevendosje, le parti du Premier ministre Albin Kurti, créant de l’incertitude politique dans le plus jeune Etat d’Europe

Le renversement a eu lieu après que Kurti a limogé son ministre de l’Intérieur, Agim Veliu, ministre et député du parti politique LDK (Ligue démocratique du Kosovo), qui a lancé une coalition avec Vetevendosje pour former un gouvernement après les élections de l’année dernière, ce qui avait impliqué une série de compromis entre les deux partis. Le limogeage de Veliu vient d’un désaccord entre Kurti et le président du Kosovo, Hashim Thaçi, après que ce dernier a proposé de mettre en place l’état d’urgence. Kurti a expliqué que Veliu avait été remplacé pour avoir « sapé le travail du gouvernement » et causé une « panique inutile » après avoir fait des déclarations aux médias qui contredisaient les positions gouvernementales sur la pandémie.

Le 25 mars, l’assemblée du Kosovo s’est réunie pour voter la motion de défiance proposée par le leader du parti LDK, Isa Mustafa, un vote durant lequel des membres de son parti et du parti de Thaçi, le PDK (Parti démocratique du Kosovo) qui avait formé une coalition avec les autres partis d’opposition, ont voté pour la dissolution du gouvernement de Kurti.

Les citoyens kosovars ont protesté contre l’agitation politique en organisant des manifestations depuis leurs balcons, exprimant chaque soir à 20 heures leur mécontentement face à la gestion de la pandémie par leur gouvernement, qui s’inquiète plus du pouvoir politique que de la santé de la population. Durant les premiers jours d’avril, Vetevendosje a rapporté que plus de 4 000 personnes avaient rejoint le parti, alors que des sondages récents menés par des médias au Kosovo montrent que le parti de Kurti a gagné en popularité après la dissolution de sa coalition gouvernementale.

Macédoine du Nord

À l’instar de la France, le gouvernement de la Macédoine du Nord a fait preuve de bon sens et a confié la gestion de la situation sanitaire à son ministre de la Santé. Devenu le visage de la réponse à la crise et assurant des conférences de presse quotidiennes pour faire était du nombre de cas et des nouvelles mesures mises en place, M. Venko Filipce a vu sa popularité monter en flèche et atteindre 82 %. En fait, la Macédoine du Nord est l’illustration parfaite de la capacité qu’à le covid-19 de changer l’opinion publique : moins d’un mois avant la crise, un sondage désignait M. Filipce comme le deuxième ministre le plus impopulaire du gouvernement.

Il est difficile de détermine si cet élan de popularité est « justifié » ou non. Même si la Macédoine du Nord a très rapidement interdit les rassemblements publics et fermé ses écoles et centres commerciaux, le pays détient le deuxième taux d’infection le plus élevé des Balkans. Ce triste constat est néanmoins, en partie, imputable au fait que le pays est également le deuxième État de la région à proposer le plus de tests de dépistage, ce qui augmente, certes, le nombre total de cas, mais contribue également à freiner l’épidémie.

Quoi qu’il en soit, l’avenir nous dira si le parti actuellement au pouvoir sortira renforcé de cette crise sanitaire. Prévues normalement le 12 avril, les élections législatives ont été reportées à une date indéterminée. Mais si le gouvernement gagne du terrain, ce ne sera peut-être pas grâce au coronavirus. Il y a deux semaines, le pays a en effet reçu une bonne nouvelle : le Conseil européen a donné son feu vert à l’ouverture des négociations d’adhésion à l’UE.

La lumière au bout du tunnel

De Londres à Pristina, les populations se rassemblent de plus en plus autour de leurs dirigeants. Par pitié vis-à-vis de l’état de santé ou des difficultés politiques de ceux-ci (comme au Royaume-Uni ou au Kosovo) ou par simple crainte. Comme le prouve le taux de satisfaction de George W. Bush au lendemain des attentats du 11 septembre (92 %), les gens préfèrent le statu quo quand ils sont inquiets.

Tout cela n’augure rien de bon pour l’opposition. Les temps sont durs pour le Labour : même les critiques les plus constructives à l’encontre de Boris Johnson s’avèrent désormais délicates. La période n’est cependant pas simple non plus pour Marine Le Pen – mais ça, c’est une bonne nouvelle. Les crises nous font aspirer à de la stabilité, mais elles nous incitent également à garder les pieds sur terre, au grand dam des populistes européens (le parti d’extrême droite « Les Démocrates de Suède » est le parti qui a connu le plus grand revers dans les sondages du pays nordique). C’est bien connu : après la pluie, le beau temps. Le coronavirus ne semble pas faire exception à la règle.

Merci à Kristijan Fidanovski pour avoir compilé et rédigé l’introduction et la conclusion de cet article.

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