Herbicide le plus vendu au monde pour ses propriétés totales et systémiques, en plus de son tarif plus qu’abordable (2€ par litre) - de quoi rendre accros les agriculteurs ! - le glyphosate est un thème bouillant, soulignant à la fois des problématiques politiques et économiques au sein du paysage européen. En effet, alors que plus de 800 000 tonnes de glyphosate sont utilisées par an en Europe, représentant un coût avoisinant 1,3 milliard d’euros, cette controverse soulève des interrogations quant aux enjeux liés à la concentration des producteurs de pesticides, avec en ligne de mire l’absorption de la compagnie américaine Monsanto par le géant agrochimique allemand Bayer, par ailleurs impliqué dans le scandale des « Monsanto Papers », ces documents confidentiels révélant que les études concluant à l’innocuité du glyphosate sont de la plume des toxicologues de la firme chimique américaine, puis signées par des scientifiques de renom.
Le débat permet également de mettre en relief le rôle des États membres de l’Union dans le processus décisionnel, intensément divisés sur cette affaire. En Novembre dernier, tandis que quatorze États membres se prononçaient en faveur du prolongement de l’autorisation du glyphosate pour cinq ans, cinq nations ne se prononcèrent pas et neuf s’y opposèrent, dont la France et l’Italie, principalement dû au caractère cancérogène de la molécule.
La réglementation du lobbying en Europe, fer de lance du débat autour du glyphosate
L’idée de la règlementation du lobbying nous vient tout droit du pays de l’Oncle Sam et permet de mieux saisir les contours des enjeux actuels liés au plus célèbre des désherbants et pièce maîtresse du Roundup, herbicide utilisé en masse par les agriculteurs européens.
L’essence même du lobbying n’est pas un fait nouveau, au sens de « représenter un ou des intérêts dans une démocratie libérale ». L’unique levier de changement réside dans les dispositions liées à la réglementation et à l’accès des lobbies. L’Union européenne n’échappe pas à la règle et les groupes d’intérêts, que l’on recense au nombre de 11 500 aujourd’hui, ont depuis 2011 l’obligation de s’inscrire au registre de la transparence afin d’exercer une influence palpable au sein du Parlement Européen, mais ces groupes échappent à cette obligation dès lors qu’ils font du lobbying auprès de la Commission Européenne. L’unique contrainte qui incombe aux commissaires consiste en l’obligation de déclarer chacune des rencontres avec des lobbyistes, recensées sur Corporate Europe Observatory.
La prolifération exponentielle du lobbying, que l’on doit principalement à une hausse des compétences des différentes institutions européennes consécutivement à l’Acte Unique de 1986 et au Traité de Maastricht en 1992, va de pair avec cette tentative d’encadrement. Pourtant, ces impulsions ont subi quelques contrecoups, notamment concernant la réglementation de l’accès des lobbyistes, repoussée par l’entrée de la Suède au sein de l’Union en 1995. C’est finalement à la suite d’intenses et longues discussions que les procédures vont s’accélérer, se traduisant par la mise en circulation du Livre Blanc de la Commission en 2001, intitulé « Stratégie pour la future politique dans le domaine des substances chimiques ».
Toutefois, il faudra attendre une demi décennie supplémentaire pour que le premier registre commun pour la Commission et le Parlement soit établi, avec des moyens humains très maigres (cinq personnes pour gérer le registre de la transparence au niveau européen…). D’autant plus qu’il ne s’agit qu’une relative avancée, étant donné que le caractère obligatoire de la réglementation ne s’applique pas pour le lobbying de manière uniforme au niveau national : ces obligations incombent à seulement six États !
Au regard de la prise de décision, celle-ci s’effectue par le biais du comité d’examen, composé de représentants des 28, nommés par les États eux-mêmes. Dans le but de protéger les consommateurs contre les risques liés aux substances chimiques tout en encourageant l’innovation et la compétitivité des industries, deux objectifs auxquels pourrait-on pourtant attribuer la valeur d’oxymore à première vue, l’Union lança le Règlement REACH, adopté en 2006 et entré en vigueur en 2007. Ce règlement visant à recenser, évaluer, et contrôler les substances chimiques dans l’industrie européenne, a suscité une intense bataille des lobbies, contrebalancée par le lobbying de grandes ONG.
Sous le joug dudit texte législatif, un large éventail d’industries, catégorisées entre « fabricant, importateur ou utilisateur en aval », sera soumis à une obligation de transparence selon le principe du « pas de données, pas de marché ». D’ici fin mai, plus de 30 000 substances chimiques seront enregistrées et leurs risques potentiels établis, même si quelques nombreuses exemptions liées à la transparence demeurent.
De ce fait les agences européennes, l’Agence européenne de la sécurité alimentaire (EFSA) en cheffe de file, se sont appropriées l’expertise, générant un problème majeur puisque leurs différentes allégations remettent en question l’impartialité et l’indépendance de ces centres d’expertise. L’EFSA a en effet la coutume de produire des rapports teintés - parfois mot pour mot ! - d’arguments rédigés par les experts de Monsanto. Par exemple, l’Agence a estimé en 2015 que le lien de causalité entre l’exposition au glyphosate, « loin d’être un perturbateur endocrinien », et le développement de cancer était caduque.
Selon certaines révélations du journal Le Monde, l’EFSA aurait écarté délibérément certaines études attestant du caractère potentiellement cancérogène du pesticide. De son côté, l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) soupèse également les risques liés au glyphosate, niant le caractère cancérogène de la substance. Dans le même temps, le Centre international de recherche sur le cancer, qui dépend de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), proposait une étude classant le glyphosate comme « cancérogène probable pour l’homme », allant dans le sens de nombreux travaux - des preuves accablantes ! - qui démontrent les effets néfastes de l’herbicide pour les consommateurs. Que faire face à ces clivages entre experts scientifiques qui cristallisent la société ?
Principe de précaution, recommandations et perspectives d’avenir : quel futur pour le glyphosate ?
Ce deuxième volet met sous le feu des projecteurs quelques recommandations vis-à-vis de l’usage du glyphosate, qui entre dans la composition de plus de 750 produits. Possibilité envisagée par le nouveau président Français dans le dessein de bannir le glyphosate d’ici trois années, la question du principe de précaution comme outil de rescousse via la prévention est posée. Cette solution proposée par Emmanuel Macron est notamment rendue viable par l’article 191 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) qui prévoit la possibilité d’user de mesures préventives. Le principe de précaution se fonde sur l’analyse, la gestion et la communication autour des risques sous trois conditions : une identification potentiellement négative, une évaluation du risque ainsi qu’une incertitude scientifique. Prenant racines au sein du club de Rome en 1968, le thème du principe de précaution va être développé par des entrepreneurs allemands, lesquels donnent naissance en 1979 au principe de responsabilité, qui voit s’opposer en clair-obscur les notions d’éthique et la technologie, débat mis en relief par le philosophe Jonas. Ce principe sera par la suite instauré au sein de l’Union par le Traité de Maastricht au début des années 1990.
Ces âpres polémiques entre experts scindent les différents décideurs politiques à l’échelle européenne dont les velléités sont le témoin, et met le doigt sur le problème suivant : La question glyphosate est-elle le signal qu’il est désormais temps de modifier le règlement REACH ? Ces débats ne sont pas uniquement le fait des hauts décideurs politiques européens, mais ont également suscités quelques émois parmi les auditeurs de la table ronde. Retour sur un débat mouvementé dont les émanations intellectuelles sont regroupées ci-dessous par thème.
Agriculture et système alimentaire
L’interdiction du glyphosate serait synonyme de refonte totale du système agricole européen voire mondial. Dans son état actuel, l’agriculture européenne est dépendante des pesticides afin de pouvoir subvenir aux besoins de l’ensemble du Vieux Continent. Transformer le système de production agricole serait envisageable à condition de trouver une alternative au glyphosate, que celles-ci soient chimiques, mécaniques ou prennent la forme de systèmes biologiques faisant abstraction de ladite molécule. Écarter intégralement toute utilisation des pesticides aurait un coût important pour les agriculteurs, lesquels se verraient pour la plupart dans l’obligation d’embaucher en masse ou, dans le pire des cas, de mettre la clé sous la porte faute de moyens.
Conséquemment, repenser le système agricole reviendrait à modifier les modes de consommation des citoyens européens. Certaines options sont basées sur la mise en place de systèmes coopératifs afin de produire les denrées alimentaires suffisantes. Une sensibilisation dès le plus jeune âge permettrait à long terme de modifier les comportements.
Recherche et science
Autre pan des complications sujettes au glyphosate, la question de la composition de la molécule déchire le monde scientifique sur les effets que certains adjuvants causeraient sur l’humain et l’environnement. Cette problématique électrise la limite entre principe de précaution et innovation puisque les scientifiques ont besoin d’un financement public afin de développer leurs recherches or, ceux-ci n’étant pas suffisants, ils se tournent également vers des allocations privées. Comment remédier à ce fléau ?
Institutions et démocraties
D’après une étude de cas sur le succès du lobbying, plus l’information est présente dans l’espace public, moins les lobbies économiques exercent une influence notable. Pour palier ces lacunes, une coalition de citoyens entremêlés aux associations et entreprises ajouterait de la substance dans les milieux d’influence. Toutefois, la haute technicité de certaines questions de politiques publiques est perçue comme un frein pour certains citoyens. L’impartialité et l’indépendance de l’EFSA et de l’ECHA sème également le doute parmi les orateurs du jour.
Recours et citoyenneté
Dans le cadre législatif de l’Union, plusieurs possibilités de recours sont mises à disposition de l’État (recours en annulation) ou du citoyen, si celui-ci estime que le glyphosate aurait nui à sa santé. La Cour de Justice de l’UE peut alors intervenir uniquement si elle a été saisie. En sus de ces processus régulés par la loi, il existe d’autres actions citoyennes tel que les pétitions citoyennes, la diffusion de photos, la possibilité de visibilité via les médias etc. Encore une fois, ces thématiques connotent l’idée de déficit démocratique au sein de l’Union et soulèvent une dichotomie intense entre le fait de posséder un avis sur la question et la traduction de cette opinion dans la prise de décisions des élites.
Ce débat faisant l’objet d’une âpre bataille d’experts a donc été le fruit de discussions acharnées et certains fossés idéologiques divisant l’opinion publique au sein des diverses contrées européennes ont été de nouveau traçables dans ces dialogues à échelle réduite du côté du Café du Marais. Tout au long de cette paire d’heures intellectuelles, plusieurs niveaux de réflexion ont été avancés, que ce soit en terme d’agriculture, d’industrie phytosanitaire, de l’accès aux institutions publiques, de recherche, de citoyenneté ou de santé. Ce sujet propice à la dispersion des convictions s’est finalement ouvert sur des propositions de « réformes », parmi lesquelles la création de centres de recherche européens indépendants formés de fonctionnaires sur le modèle du CNRS français ; une résolution sur l’extension des caractéristiques du registre de la transparence pour la Commission européenne ; une résolution sur les ICE et les pétitions européennes ; et une résolution sur l’agriculture et la sécurité alimentaire.
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