Le faux débat du « Polexit »

, par Paul Brachet

Le faux débat du « Polexit »
Source : Pixabay

La décision du Tribunal constitutionnel polonais concernant la place du droit européen dans le pays et les dénonciations du gouvernement polonais « d’ingérence européenne dans les affaires intérieures de la Pologne » ont réveillé un débat qui semblait éteint en Europe : la sortie d’un état-membre de l’Union européenne (UE) sur le modèle du Brexit. En l’occurrence, il s’agirait de la sortie de la Pologne des institutions européennes qualifiée de « Polexit ». Mais est-ce réellement un débat de société alors que la population y est globalement défavorable et que la majorité des partis politiques ne peuvent se résigner à quitter l’UE ? Pourquoi et comment une situation aussi paradoxale a vu le jour ?

Un débat réveillé par le PiS

La Pologne a adhéré à l’Union européenne en 2004. La candidature a été déclarée suite au résultat unanime d’un référendum, 77.6 % de réponses favorables. La Pologne a ensuite suivi et contribué, avec le reste de l’Europe, à l’évolution de l’UE oscillant entre réussites et crises, entre blocages institutionnels et solutions de dernières minutes… La Pologne aurait pu rester un état-membre comme les autres avec ses forces et ses faiblesses propres mais l’Histoire en a voulu autrement. En 2015, le parti gouvernemental libéral et pro-européen de Donald Tusk (PO) essuie une défaite cuisante aux élections générales au profit du parti ultraconservateur Droit et Justice de Jarosław Kaczyński (PiS). Le PiS se lance alors dans une croisade contre le libéralisme politique par la promulgation de lois réduisant les droits fondamentaux, notamment ceux des minorités et des femmes. L’Etat de droit est attaqué par le gouvernement sous couvert du choix démocratique de l’abattre : restriction de la liberté de la presse, effacement de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance de la justice…

Alors que l’Etat de droit et le respect des droits fondamentaux sont le pilier de la construction européenne, la Commission européenne, garante des traités, saisit la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) afin de stopper ses atteintes « disproportionnées et persistantes envers l’Etat de droit et les Droits de l’Homme ». Or c’est là que le bât blesse puisque le gouvernement du PiS considère comme une ingérence étrangère les actions de la Commission et de la CJUE dénoncées, dès lors, comme illégitimes. Partant de ce postulat, les autorités polonaises ont dénoncé une Union « n’étant plus celle que la Pologne avait décidé de rejoindre », laissant alors penser que la Pologne devrait plutôt la quitter pour conserver sa souveraineté.

On ne peut pas douter de la véracité de ces propos, en effet, l’UE a bien changé et a été réformée par de nombreux traités et décisions depuis sa création et surtout depuis 2004. Et heureusement que l’Europe a changé dans un monde en pleine mutation depuis la fin de la guerre froide, mutation qui a permis aux polonais de retrouver la démocratie après 50 ans d’occupation (1939-1989) par la chute du « Bloc de l’Est » ! Mais ces mêmes propos peuvent être largement discutés dans le sens où c’est avec le consentement de la Pologne que l’UE s’est réformée, la signature des traités et les grandes orientations européennes étant adoptées à l’unanimité. La Pologne a approuvé ces changements, du moins depuis 2004, qui ont fait que l’Europe d’aujourd’hui n’est plus celle d’il y a 17 ans.

Mais voilà, le PiS souhaite défendre une souveraineté qui serait exclusivement nationale, et surtout défendre sa place au gouvernement. Pour cela, le parti a besoin de polariser la société et de fracturer l’opposition afin de s’assurer un leadership incontestable. Quoi de mieux que de surenchérir sur les positions anti européennes et nationalistes bafouant souvent l’Etat de droit et les Droits de l’Homme. C’est dans ce contexte que le PiS a fait ressurgir malgré lui le spectre du Polexit. « Malgré lui » car le PiS a tout intérêt à ce que la Pologne reste dans l’UE pour s’assurer des recettes confortables garanties par les fonds européens afin de poursuivre ses réformes et sa mainmise sur les institutions polonaises. Le défi pour le PiS est donc que le débat reste sur cette ligne de crête et ne se précipite pas dans les abîmes d’une sortie de l’UE, d’un Polexit.

Les évolutions possibles d’une enchère devenue incontrôlable

Le PiS étant obligé de se radicaliser au fur et à mesure que les autres partis à sa droite essaient de se faire une place, l’opposition dominée par le PO de Tusk a instrumentalisé le débat, se montrant comme l’unique rempart à un possible Polexit et cela afin de s’attirer les voix d’une population toujours favorable à l’UE (75%) et de saper la crédibilité du gouvernement.

Or aujourd’hui, le risque d’un Polexit est relativement faible, notamment grâce aux facteurs abordés. Mais le risque de cette politique serait une marginalisation de la Pologne au sein de l’UE, les institutions européennes n’étant plus reconnues légitimes le dialogue serait rompu et la démocratie n’aurait plus aucun rempart face à un autoritarisme croissant.

Cette vision pessimiste et extrême n’est pas non plus la voie la plus probable, la Pologne ayant besoin de l’Union. Le plus probable quant à l’évolution de la situation en Pologne serait donc un statu quo. Or le statu quo désavantagerait grandement le PiS qui subirait le revers de ses politiques paradoxales et nuirait à ses résultats aux prochaines élections générales prévues en 2023. L’enjeu est donc de savoir quelles décisions vont être prises par le PiS dans les prochains mois, décisions qui devront éviter le statu quo et la radicalisation.

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