Samedi dernier, la Pologne a célébré sa fête nationale de l’Indépendance. Alors que toute l’Europe associe cette date à l’armistice de 1918, la Pologne célèbre également son retour sur la scène internationale. Le 11 novembre 1918, l’Etat polonais est réapparu sur la carte après 123 ans de partitions. Cette année, cependant, le déroulement des célébrations a été particulièrement mal interprété par les médias internationaux. Pourquoi la fête nationale de samedi a-t-elle suscité autant de critiques à l’étranger ? Pourquoi des journaux comme The New York Times parlent d’une fête dominée par les nationalistes ?
Une fête, douze marches
En principe, la fête nationale est censée unir la nation, créer une ambiance de patriotisme, rappeler aux Polonais l’histoire difficile de leur pays. Toutefois, samedi dernier, la capitale polonaise n’a pas vraiment ressenti cette unité : douze marches ont défilé à Varsovie, dont une qui a soulevé beaucoup d’inquiétude, à savoir la Marche de l’Indépendance organisée par les nationalistes. Selon la préfecture de Police, la Marche de l’Indépendance a compté plus de 60 000 participants samedi dernier. A tire de comparaison, dans les années 2009-2011, quand ce cycle de manifestations ne faisait que commencer, elles ne regroupaient qu’environ 10-20 000 personnes. Depuis trois ans, cette marche initiée par le Camp national-radical (Obóz Narodowo-Radykalny, ONR) et une organisation de jeunesse nationaliste mobilise plus de 50 000 personnes et elle est de plus en plus populaire.
Ce qui est néanmoins plus inquiétant, ce sont les slogans que l’on a pu voir lors de la Marche. Alors même que le président Andrzej Duda, les représentants du gouvernement ou encore Donald Tusk participaient aux commémorations devant la tombe du Soldat Inconnu, les nationalistes préparaient leurs pancartes racistes. On pouvait y lire par exemple « L’Europe blanche », « Tous différents, tous blancs ». Ces slogans ont été immédiatement repris par des journaux comme Le Monde, La Stampa ou The New York Times, souvent accompagnés de commentaires au sujet du « plus grand rassemblement fasciste au monde ». Est-ce ce que veulent les Polonais en tant que patriotes et Européens ? Voulons-nous vraiment que les Polonais soient associés au racisme, au nationalisme et au fascisme ?
Patriotisme et nationalisme
Le 11 novembre est une fête patriotique. Il serait ici pertinent de rappeler la définition du patriotisme : c’est un sentiment d’amour et de fierté pour sa patrie, que l’on peut montrer par le respect de l’histoire et des symboles de son pays. Mais attention, il ne faut pas confondre patriotisme et nationalisme. Ce dernier s’accompagne en effet d’une attitude hostile envers les autres nations, d’une volonté de les humilier. Alors que le patriotisme est un comportement tout à fait positif, le nationalisme est nuisible à l’ordre public.
Malheureusement, ces deux notions ont été confondues exprès par les groupuscules nationalistes. Ils ont transformé la fête nationale en une Marche Nationale, c’est-à-dire une fête de la haine. La Marche de cette année avait pour titre « Nous voulons Dieu » (« My chcemy Boga »), tiré d’un chant religieux. Quel est le rapport entre l’incitation à la haine et les valeurs catholiques ? Par ailleurs, il est dommage et regrettable que le gouvernement de Droit et Justice (Prawo i Sprawiedliwość, PiS) n’ait pas condamné les slogans racistes qui ont défilé dans les rues de Varsovie. Le ministre de l’Intérieur Mariusz Błaszczak a même affirmé que « la fête nationale s’est déroulée dans une très bonne ambiance, en toute sécurité ». Nous n’avons visiblement pas la même perception de la « bonne ambiance » (cf. l’illustration).
La Pologne inquiète l’Union européenne
La fête de l’Indépendance a donc été différemment interprétée cette année, car manipulée par des groupes radicaux. Les commentaires négatifs de l’étranger s’inscrivent également dans un contexte plus large, à savoir une série de changements dans l’environnement politique et judiciaire polonais qui ont fait polémique. Depuis 2015, l’opinion publique internationale est très sensible à ce qui se passe en Pologne : le gouvernement conservateur du parti Droit et Justice a modifié la composition du Tribunal constitutionnel en sa faveur, privé les femmes du droit à l’avortement, limité la liberté des médias, et tenté de réformer le fonctionnement des institutions judiciaires, mais il a été temporairement freiné par un double véto présidentiel. Les images des manifestations de l’opposition et de la société civile ont fait la une des journaux et des sites d’information.
L’attitude anti-européenne des autorités aggrave l’opinion sur la Pologne à l’étranger. Le gouvernement ne fait preuve d’aucune volonté de coopération avec les institutions du Conseil de l’Europe et de l’UE. La violation de l’Etat de droit a attiré l’attention de la Commission de Venise, dont le travail a été boycotté par le parti au pouvoir. En outre, les autorités ont rejeté la politique d’accueil des réfugiés proposée par la Commission européenne, faisant preuve de xénophobie et d’isolationnisme. Sans parler du geste symbolique de supprimer des drapeaux européens des conférences gouvernementales.
Les Polonais veulent l’Union européenne
Tout cela a pour conséquence l’apparition de commentaires banalisés sur la Pologne à l’étranger, qui confondent la politique anti-européenne du gouvernement Droit et Justice avec la société polonaise dans son ensemble. Or, d’après un sondage officiel du mois d’avril, 88% des Polonais sont favorables à l’UE ! Les Polonais veulent donc l’Union européenne, mais nous n’en parlons pas suffisamment pour que l’identité européenne puisse influencer les décisions du gouvernement.
Quelle réponse à un climat nationaliste croissant ?
Une manifestation antifasciste a été organisée en réponse à la Marche de la haine samedi dernier. Tout comme ces deux dernières années, les rues polonaises ont vu naître le KOD (Comité pour la défense de la démocratie), Czarny Protest (« Protestation noire », contre les lois anti-IVG) ou Łańcuch Światła (« Chaîne de Lumière », en référence aux bougies déposées devant les tribunaux, contre la réforme du système judiciaire) en réponse au conservatisme et à la violation de l’Etat de droit. Voilà encore une preuve que tous les Polonais ne pensent pas forcément la même chose que le gouvernement Droit et Justice ou les nationalistes-pyromanes.
En ce qui concerne le développement d’un sentiment européen en Pologne, il faut partir des jeunes – c’est nous qui bénéficions de la plupart des avantages introduits par l’UE : les programmes Erasmus Plus, l’espace Schengen, le permis de conduire européen, la suppression du roaming, le rapprochement des systèmes d’études supérieures européens…
C’est donc aux jeunes Polonais de promouvoir la conscience européenne par des débats sur la politique de l’UE, de réfléchir à l’avenir des institutions européennes – si l’état des choses actuel est satisfaisant ou pas, et sinon comment les changer… Il est impossible de rester enfermé dans sa « bulle » nationale, car la politique, l’économie et la culture d’aujourd’hui dépassent les frontières nationales. Célébrons l’histoire de notre patrie, mais n’oublions pas que celle-ci fait partie d’une communauté plus vaste qu’est l’Europe. Ne permettons pas que l’on parle d’une Pologne « fasciste » à l’étranger.
1. Le 18 novembre 2017 à 15:33, par Patrick Tomas En réponse à : Le 11 novembre – Fête nationale, ou fête des nationalistes ?
Bonjour Maria,
Je viens de lire votre excellent article et du fond du cœur, je vous dis : « Bravo » !!!! Votre analyse de la situation est juste. Polonais d’origine, né en Belgique et vivant à Paris, je me sens profondément européen, riche d’une culture slave, latine et germanique. J’ai été heurté par les commentaires de nombreuses personnes suite aux très mauvais articles du Monde ou du New York Times. Bien entendu, je condamne fermement les agissements du gouvernement actuel polonais mais je reste patriote sans être un nationaliste décérébré....
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