La victoire du terrorisme ou le paradoxe de « l’Etat-valeur »

, par Nathan Delbrassine

La victoire du terrorisme ou le paradoxe de « l'Etat-valeur »
Les Etats membres sont en ébullition et les réformes marquantes, voire historiques, fleurissent. L’Allemagne, pourtant l’un des Etats membres les plus stables politiquement, n’est pas en reste. La chancelière doit faire face, notamment après le scandale des violences sexuelles de Cologne, à la division au sein de son camp sur l’accueil des réfugiés. - Christliches Medienmagazin pro (CC/Flickr).

L’Allemagne durcit le ton sur l’immigration, la France consacre des mesures d’exception dans la constitution assurant la pérennité de la démocratie, la Belgique pense à rallonger les délais de garde à vue, la Hongrie s’oublie et ferme ses frontières et la Pologne se débat avec elle-même. Que reste-t-il du rêve européen de l’Etat de droit ?

Barbares, monstres, fous, illuminés, désaxés, extrémistes, fanatiques, animaux. Voilà quelqu’un des qualificatifs utilisés pour désigner les terroristes de l’organisation Etat islamique ou autres djihadistes. Ces adjectifs, de plus en plus fleuris, à mesure qu’ils posent des bombes, ont vocation à mettre le plus de kilomètres entre « eux » et « nous ». Le « nous » défenseur de l’opprimé contre la barbarie, du bien ultime, de ces contrées où l’on vit en paix, ces lieux où l’homme se serait départi de son animalité pour laisser la place à être mesuré empli de raison. Désormais, les terroristes ont démontré l’hypocrisie de ces « entrepreneurs de morale et de bonne gouvernance ». En effet, les Etats démocratiques ont clamé haut et fort leur légitimité par l’intermédiaire des divers instruments protégeant les libertés individuelles de leurs citoyens. Ils se sont érigés en gardiens du bien commun. Ces démocraties se sont drapées de leurs principes jusqu’au point de les confondre et devenir des « Etats-valeur », en chevalier blanc de l’ordre mondial.

Lorsque des attentats ont frappé ces « Etats-valeur », nous pouvions résolument nous attendre à ce qu’ils réagissent en hommes de droit, en démocrate et répondent par les valeurs, qu’il y a quelques mois encore, ils clamaient à corps et à cris à tous ceux qui entendaient la chose autrement. Pourtant, ce fut, étonnamment, le contraire. A la suite des attentats contre Charlie Hebdo, le chevalier blanc à muer. Les gouvernements se sont précipités aux parlements pour faire voter la fin des droits inaliénables, de consacrer les propos de Carrier assénant à la Convention : « Tout le monde est coupable, jusqu’à la sonnette du président ! » et jeter les Etats de droit dans une guerre qu’ils ont perdue à l’instant même où ils s’y sont engagés.

Par ces actions, les terroristes ont démontré qu’ils pouvaient « nous » changer, changer ce que sont les démocraties occidentales. Les Etats de droit ont prouvé qu’il suffisait de bousculer quelque peu l’équilibre de nos sociétés pour que leurs principes s’écroulent comme un château de cartes. Pire encore, ils ont détruit la seule arme qui aurait réellement permis d’en finir avec ces actes. Les terroristes ont créé un monde à leur image. En effet, en poussant les démocraties dans les retranchements de la violence, les terroristes ont remplacé un monde qu’ils ne comprenaient pas et qui les terrifiait, de par sa conception des rapports sociaux, par un mode de pensée binaire où ils règnent en maître. Les démocraties se détruisent pour se sauver. Malheureusement, il n’y aura bientôt même plus de meubles à sauver.

Les quelques voix qui s’élèvent pour pointer du doigt le paradoxe de ces Etats s’élevant comme des modèles de conduite et s’autodétruisant au moindre grain de sable sont réprouvées et décriées pour leur manque de patriotisme en ses temps « d’unité nationale ». En Belgique, le gouvernement invite ces voix discordantes à ne pas perdre leur sang-froid . Toutefois, il me semble que dans cette débâcle, les seuls à consacrer l’émotion et une certaine forme de populisme dans des textes de loi sont les gouvernements qui se chargent de démonter l’Etat de droit pièce par pièce. Ainsi, l’organisation de l’Etat islamique aura abattu nos démocraties en toute légalité.

Enfin, les « Etats-valeur » ont démontré toute l’étendue de leur imposture en rabâchant les oreilles du monde entier de leurs principes, en s’élevant en moralisateur public et lorsque l’occasion leur est donnée de montrer qu’ils sont au-dessus de la mêlée, ils redescendent au niveau de ceux qu’ils condamnent. Les principes ne sont pas faits pour être uniquement applicables quand le ciel est dégagé, mais, au contraire, ils servent de charpente afin de maintenir l’édifice en période de turbulences. De plus, ces nations, fières de leur unité nationale, s’apprêtent à diviser la société plutôt qu’à la souder en consacrant la loi des suspects. Ah, que Marianne était jolie !

Vos commentaires
  • Le 20 janvier 2016 à 10:13, par Ejclaux En réponse à : La victoire du terrorisme ou le paradoxe de « l’Etat-valeur »

    Voilà un point de vue intéressant. L’auteur peut il dire quelles mesures concrètes l’UE pourrait initier pour maintenir nos democraties, garantir l’état de droit ET extirper les terroristes de notre monde ?

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