Récemment, la question de la taxation sur le CO2 a attiré l’attention des médias allemands à une vitesse surprenante. Il s’agit aussi certainement d’une conséquence de l’engagement de Greta Thunberg et d’autres jeunes militants pour une politique climatique plus cohérente. Alors que presque tous les grands partis allemands s’accordent sur la nécessité de prendre de nouvelles mesures pour lutter contre le changement climatique, leur mise en œuvre concrète est controversée.
Une taxe supplémentaire suscite actuellement des inquiétudes : la chef du parti CDU, madame Kramp-Karrenbauer, craint que cela ne crée une charge supplémentaire, en particulier pour les citoyens à faible revenu. D’autres critiques redoutent que les recettes ne soient utilisées à mauvais escient, afin d’accroître le budget fédéral. L’examen dans le contexte européen des objectifs climatiques allemands ainsi que les mesures telles que l’éco-bonus mettent en lumière la nécessité d’une protection climatique nationale efficace au moyen d’un prix du carbone et montre comment celui-ci peut être rendu acceptable d’un point de vue social.
La dimension internationale
Des mécanismes universels de lutte contre le changement climatique font défaut à l’échelle mondiale. A contrario, les traités et les engagements existants fixent des objectifs individuels de réduction des émissions, au niveau des pays et des régions. Lors de la dernière grande conférence sur le changement climatique à Paris en 2015, l’Union européenne a négocié au nom de tous les États membres et s’est engagée à réduire les émissions de 40 % par rapport aux niveaux de 1990 à l’horizon 2030.
D’une part, l’objectif commun de réduction doit être atteint grâce aux quotas d’émission de l’UE : les entreprises se voient attribuer une quantité limitée de certificats d’émissions de CO2 (vendus pour partie aux enchères) pour la production d’électricité et dans quelques secteurs industriels. De ceci découle un prix des émissions. La mesure, qui concerne environ 45 % des émissions de CO2 en Europe, favorise financièrement les entreprises qui limitent leurs émissions. De plus, le nombre de certificats disponibles que les entreprises peuvent se revendre entre elles est réduit chaque année : de 1,74 % actuellement et de 2,2 % à partir de 2021. Les industries concernées sont donc en permanence contraintes de procéder à des efforts de réduction.
D’autre part, les exigences climatiques dans le cadre de la répartition de l’effort en Europe ("partage de la charge") doivent être atteintes via des objectifs nationaux dans les secteurs non couverts par le système d’échange de quotas d’émission. Ces objectifs varient selon les États membres : par exemple, avec une réduction de 38 % d’ici 2030 par rapport aux émissions de CO2 de 2005, l’Allemagne a un objectif relativement ambitieux, tandis que certains pays d’Europe de l’Est ne visent que des réductions à un seul chiffre. La Bulgarie s’est ainsi simplement engagée à s’en tenir à son niveau actuel d’émissions. Une telle différence d’ambition s’explique toutefois également par le niveau élevé des émissions allemandes. Les pays économiquement moins développés d’Europe de l’Est émettent nettement moins de CO2 que la République fédérale. La réalisation des objectifs progressifs annuels de réduction est surveillée de près par l’UE, via des systèmes de sanction pour les États membres qui ne les atteignent pas. Toutefois, pour éviter d’être sanctionnés, les États membres disposent d’un certain nombre de solutions de flexibilité et peuvent, par exemple, acheter des droits d’émission à d’autres États. Globalement, la répartition de l’effort déplacera une partie du problème au niveau national, et les États membres devront instaurer leurs propres politiques et réglementations en matière de réduction des émissions.
Des solutions nationales à un problème global ?
D’un point de vue économique, dans les domaines non couverts actuellement par l’échange de droits d’émission, il serait également souhaitable d’adopter une approche européenne commune, qui fixe un prix du carbone unique, afin d’éviter l’évasion de l’industrie et des consommateurs vers des pays moins réglementés. Les domaines actuellement exclus de l’échange des droits d’émission sont notamment les transports, l’industrie du bâtiment et l’agriculture. Toutefois, il existe une forte résistance politique à une réglementation européenne accrue. Un élargissement des échanges de droits d’émission ou une taxe européenne sur le CO2 pour ces secteurs ne semblent donc pas réalisables dans un avenir proche.
C’est pourquoi une action nationale est nécessaire. La taxe sur le CO2, au centre des débats, est une approche prometteuse pour atteindre les objectifs nationaux de l’Allemagne en matière de climat. En tant qu’outil de l’économie de marché, elle permet à chaque entreprise et à chaque consommateur de prendre des décisions décentralisées dans les domaines où les économies de carbone sont les plus efficientes. Elle induit aussi in fine un renchérissement des biens de consommation nocifs pour le climat. Cependant, on peut légitimement craindre que cette taxe ne frappe très durement les ménages pauvres et n’aggrave les injustices sociales.
Taxe carbone et justice sociale
Le fait qu’une taxe atteigne davantage les ménages pauvres que les plus aisés dépend de la consommation plus ou moins importante du produit taxé par les personnes riches ou par les moins riches, et de la facilité avec laquelle la consommation peut être réduite. En général, les ménages à revenu élevé consomment plus et génèrent davantage d’émissions de CO2, mais, dans certains secteurs, même les ménages à faible revenu seraient fortement touchés par une taxe sur le carbone. C’est le cas, par exemple, des frais de chauffage, qui sont difficilement évitables : les ménages à faible revenu doivent y consacrer une part beaucoup plus importante de leur budget total. Par conséquent, la taxe pourrait être un lourd fardeau pour eux et pourrait conduire à creuser l’injustice sociale.
Cependant, le point crucial ne se trouve pas tant du côté des recettes fiscales que dans la manière dont elles sont utilisées : il existe un grand potentiel pour compenser les injustices sociales, et même pour faciliter la redistribution des revenus et de la richesse au sein de la société.
L’éco-bonus
C’est exactement de ce potentiel que l’éco-bonus peut tirer parti. Les revenus générés par une taxe sur le CO2 devraient être remboursés dans les mêmes proportions à tous les habitants de l’Allemagne conformément au concept de l’éco-bonus. Ce « bonus » serait versé une fois par an et entraînerait une redistribution modérée. Dans l’ensemble, les personnes les plus riches, qui sont à l’origine de beaucoup plus d’émissions, devraient payer plus d’impôts que les ménages financièrement faibles. Mais elles toucheraient exactement le même montant que les ménages les moins riches. De plus, une utilisation spécifique réduirait les soupçons des citoyens sur l’affectation des recettes fiscales et indiquerait clairement qu’il s’agit bien de les allouer à la protection du climat, et non d’augmenter le budget de l’État.
En raison du remboursement direct effectué aux citoyens, on peut s’attendre à un plus large consensus social vis-à-vis de l’éco-bonus. Ceci est essentiel pour une protection du climat réellement efficace, comme le montre l’exemple des gilets jaunes en France : ils ont commencé leurs manifestations en réponse à une augmentation planifiée des taxes sur le diesel et l’essence qui n’étaient pas amorties sur le plan social et qui, vu les réductions d’impôt de Macron en faveur des riches, envoyaient un message complètement erroné à la population. Bien que l’augmentation des taxes soit justifiée d’un point de vue économique et environnemental, le fait d’en avoir négligé l’effet social a entraîné une forte résistance légitime.
Pour aboutir, les mesures de protection du climat ne doivent donc pas créer de conflit d’objectifs entre justice sociale et durabilité environnementale, mais viser à les concilier. L’Allemagne devrait tirer les leçons des manifestations des gilets jaunes en France et recourir à des instruments novateurs et socialement tolérables, tels que l’éco-bonus, pour atteindre les objectifs climatiques nationaux.
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