La semaine de quatre jours, une idée qui séduit l’Europe

, par Henri Clavier , Léa Schmieden

La semaine de quatre jours, une idée qui séduit l'Europe
Source : Creative commons

En 1930, John Maynard Keynes prophétisait qu’on ne travaillerait plus que 15 heures par semaine d’ici 2030. Si la réalisation du pronostic de l’économiste britannique semble compromise, de nombreux Etats européens ouvrent une réflexion sur le rythme et le temps de travail hebdomadaire.

La période de pandémie a fait éclore, au-delà de nouveaux modes de travail, des réflexions et une reconsidération de notre rapport à celui-ci comme nous le rapporte Hazel Gavigan, chargée de campagne pour l’association 4 Day Week Global : “Les changements amenés par le Covid-19 ont démontré qu’il était possible d’avoir un rapport différent au travail, aussi bien pour les salariés que les employeurs. Cela nous a rappelé l’importance d’interroger nos vieux modèles”.

En Belgique, la semaine de quatre jours pour augmenter le taux d’emploi

La réforme du gouvernement belge présentée par le Premier ministre Alexander de Croo semble en être l’un des reflets. Adopté le 29 septembre par la Chambre des représentants Belges, le “deal pour l’emploi” propose aux employés la possibilité de passer à la semaine de quatre jours pour le même temps de travail hebdomadaire. Une remise en cause historique d’une loi de 1921 fixant le temps de travail quotidien à huit heures par jour pour toutes les activités économiques en Belgique. Désormais, le quota d’heures par semaine, limité à 40 heures, peut être redistribué sur quatre jours, ce qui donnerait lieu à des journées de travail de 10h. Une logique plus libérale ayant pour but de donner de la souplesse aux Belges, car il est également prévu que le rythme de travail puisse varier au fil des semaines, entre quatre et cinq jours travaillés, afin de s’adapter aux situations familiales des employés. En effet, la réforme affiche comme objectif principal de permettre un meilleur équilibre entre vie professionnelle et personnelle et d’augmenter le taux d’emploi en Belgique à 80% d’ici 2030, celui-ci étant actuellement à 71%. Cet aménagement n’est pas dépourvu de conditions : il nécessite l’obtention de l’accord de leur patron par les employés, qui en principe, ne peut refuser sans arguments valables.

Par ailleurs, le “Deal pour l’emploi” propose dans la même idée de flexibilité, l’expérimentation pour les entreprises volontaires du secteur du e-commerce de la mise en place simplifiée du travail de nuit de 20h à minuit, chose qui, auparavant, impliquait de déroger au droit du travail par l’instauration de dérogations exceptionnelles au cas par cas.

La réforme a suscité de vives critiques dès lors qu’elle relève d’une vision spécifique de ce que pourrait être la semaine de quatre jours, à savoir une condensation du même temps de travail sur une période plus courte. Pour Hazel Gavigan, cette réforme occulte les bénéfices de la semaine de quatre jours “Pour nous, la semaine de quatre jours permet de travailler plus intelligemment, pas plus longtemps. Nous défendons un modèle qui permet de toucher 100% du salaire, pour 80% du temps de travail tout en assumant 100% des missions”. Les journées de travail plus longues et fatigantes, laissant peu de temps pour le reste, excepté pendant trois jours de weekend, ne permettent pas forcément de “concilier vie privée et vie professionnelle”, comme le souligne Alexander de Croo.

Une idée déjà largement expérimentée

Au-delà du principe même de la semaine de quatre jours, on distingue des approches et des objectifs distincts derrière cette mesure. Car si le dogme de la semaine de cinq jours est remis en cause, cela ne dit rien des conséquences ou des bénéfices pouvant en découler.

La semaine de quatre jours se trouve au centre d’une importante réflexion sur le travail et la place de ce dernier dans nos sociétés. Pourtant, même si le nombre d’Etats ayant essayé ou adopté la semaine de quatre jours ne cesse de croître, il apparaît difficile d’identifier des tendances globales tant les modalités d’expérimentation sont différentes.

On constate notamment que les Etats sont plutôt frileux quant aux expérimentations sur le passage à la semaine de quatre jours. En 2015, la Suède se voulait innovante en expérimentant la semaine de quatre jours pour 24h de travail par semaine, le tout sans réduction de salaire. Pourtant, l’ambition du projet s’est heurtée à la réalité politique suédoise puisque les députés ont refusé de consacrer une ligne budgétaire à ce test.

Ainsi, la plupart des essais sont des tentatives personnelles ou privées. Le cas britannique est le plus marquant à cet égard puisque le test est directement piloté par l’association 4 Day Week change et les universités de Cambridge et d’Oxford.

En 2015, le gouvernement Islandais et l’association Alda (Association for sustainable democracy) ont lancé la plus vaste expérimentation au monde de la semaine de quatre jours. 2500 employés du secteur public et privé ont testé, durant quatre ans, la semaine de quatre jours mais aussi une réduction du temps de travail (passage de 40 à 35 heures), le tout sans baisse de salaire. Les résultats, positifs, ont permis de désacraliser la semaine de cinq jours et, désormais, 86% des salariés Islandais ont adopté ce rythme. Au point que le gouvernement espagnol a lui aussi lancé un test regroupant 200 entreprises sur la base du volontariat. Là aussi avec une réduction du temps de travail mais pas du salaire.

Des bénéfices sous estimés

Le succès des différentes expériences a entrainé un véritable engouement en Europe et dans le monde pour ce nouveau rythme de travail. L’Ecosse et le Pays de Galles ont déjà prévu de lancer un test en 2023 tandis que les Etats-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande y réfléchissent sérieusement.

Force est de constater que les résultats contredisent la plupart des idées reçues sur le rythme de travail. Si ceux-ci nous surprennent, c’est parce qu’ils mettent en lumière un amalgame fréquent entre temps de travail et qualité de travail. Les bénéfices sont importants pour les salariés comme pour les employeurs affirme Hazel Gavigan “Les salariés ayant adopté la semaine de quatre jours rapportent d’importants changements : moins de stress et de burnout, une meilleure santé physique et mentale, une augmentation du bien-être et du temps libre. Par ailleurs, presque toutes les entreprises qui adoptent la semaine de quatre jours font trois choses : raccourcir les réunions, repenser l’utilisation de la technologie et réorganiser les journées de travail pour favoriser les périodes de concentration. Des études montrent qu’un travailleur moyen perd entre 2 et 3 heures chaque jour.

Au-delà de l’amélioration du bien être au travail, la semaine de quatre jours représente un bénéfice non négligeable pour la société en termes de dépenses publiques et d’inclusion. Une semaine de quatre jours allégerait notamment la pression sur les systèmes de santé publics tout en favorisant l’égalité des genres “Là où elle a été testée, la semaine de quatre jours permet une meilleure répartition des tâches quotidiennes, un temps de travail réduit permet aux hommes de s’investir davantage dans les tâches quotidiennes. Ce qui, par conséquent, facilite l’accès des femmes à des postes à responsabilité.

Le rapport au travail questionné

La conception du travail a évolué à travers les générations selon 4 Day Week Global : “Il ne s’agit pas juste d’une tendance qui va s’essouffler. L’engouement pour la semaine de quatre jours ne fait que progresser et il ne fera que se renforcer”. Les aspirations récentes s’éloignent d’une conception traditionnelle du travail et placent le bien-être de l’individu au centre de la réflexion. Le travail ne fait plus écho à la corvée et la souffrance si l’on s’en réfère à son étymologie pure (latin tripalium désignant un instrument de torture et de souffrance), au devoir pour sa nation comme en temps de guerre, au “gagne-pain” servant la croissance. Non.

Désormais, le rythme, l’équilibre, l’épanouissement, les valeurs éthiques semblent devenir des critères prédominants lors de la recherche d’un emploi, prenant le dessus sur “l’attachement au projet collectif d’une entreprise”, comme le souligne Xavier Vigna, professeur d’histoire contemporaine Paris-Nanterre, lors de son intervention dans le cadre du festival “Et maintenant”.

Selon une étude réalisée par l’institut de sondages Yougov en septembre 2021, 78% des 18-24 ans n’accepteraient pas un emploi qui n’a pas de sens pour eux, 42% ont comme premier critère de choix d’un travail la passion, et 29% considèrent en priorité l’engagement des entreprises dans lesquelles ils postulent pour la protection de l’environnement. Les jeunes générations sont en quête de sens dans leur travail, une tendance renforcée par la pandémie. Et cela, quitte à accepter une baisse de salaire. Outre le rapport au travail, c’est une vision complète de la société qui est en mutation. Les modèles sont questionnés, les différentes entités qui nous animent (travail, loisirs, familles) sont revalorisées. Ainsi, l’attachement collectif s’exprime à travers d’autres sphères que celle du travail, comme par exemple les engagements associatifs, politiques ou personnels.

Cette conception contemporaine est à relativiser car elle vient se heurter aux tendances économiques et sociétales de ces dernières décennies. Croissance et hausse de la consommation, avènement de la société de l’information, notamment numérique, crises et besoins financiers, tous ces phénomènes nous font peiner à ralentir.

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