La révolution Podemos

, par Gaëtan Trillat

La révolution Podemos
Depuis plusieurs mois, Podemos réunit des milliers de personnes lors de grands meetings ou de rassemblements populaires. Samedi, Podemos a rassemblé plus de 100 000 manifestants contre l’austérité, une manne électorale qui inquiète les partis traditionnels.

En à peine un an d’existence, Podemos (Nous pouvons) a bouleversé la scène politique espagnole. En mai dernier, il a récolté près de 8% des voix aux élections européennes, soit 1,2 million d’électeurs. Fin août, un sondage en prévision des élections générales de 2015 le plaçait en troisième position derrière les deux grands partis, le PP (parti populaire) et le PSOE (parti socialiste). A moins d’un an de ces élections qui marqueront la fin du mandat de Mariano Rajoy, aux commandes du pays depuis 2011, Podemos est désormais en tête de tous les sondages avec 27% des intentions de vote et semble avoir atteint son premier but : faire trembler « la caste », dans leur jargon l’élite politico-économique représentée pêle-mêle par la Troïka, les banques et les partis politiques traditionnels.

Là où ailleurs en Europe fleurissent des partis d’extrême droite pour surfer sur la vague eurosceptique et la crise économique, en Espagne, c’est à l’extrême gauche qu’est née la contestation la plus solide et la plus retentissante contre la classe politique. L’origine de Podemos est à chercher en mai 2011, lorsque le mouvement des Indignés de la Puerta del Sol avait bouleversé le pays. Ce mouvement anti-austérité s’était croyait-on essoufflé : ne voulant ou ne pouvant trouver d’écho au sein du jeu politique classique, il avait déçu bon nombre des 65% d’Espagnols qui lui avaient pourtant exprimé leur sympathie lors d’un sondage.

Il y a un an, le webjournal de gauche Publico publiait un manifeste visant à « convertir l’indignation en changement politique » signé par une trentaine d’intellectuels. Ce texte, passé à l’époque inaperçu, demandait la création d’une liste pour les européennes reprenant les idées nées lors du mouvement des Indignés. Peu après naissait Podemos, et Pablo Iglesias était porté à sa tête. Ce professeur de sciences politiques de 36 ans surnommé « El Coletas » (la queue de cheval, d’après sa coiffure), est en quelque sorte une caricature de l’homme de gauche : né à Vallecas, quartier ouvrier de la banlieue de Madrid, dans une famille 100% républicaine, il est passé par les Jeunesses Communistes puis par les mouvements altermondialistes. Il s’est fait connaître sur le web via deux émissions politiques, Fort Apache et surtout La Tuerka. Fort de sa maîtrise de la rhétorique et des médias, Pablo Iglesias est rapidement devenu l’homme politique le plus apprécié d’Espagne.

La citoyenneté contre la « caste »

Podemos est porteur de thématiques qui trouvent un écho particulièrement fort dans l’Espagne de Mariano Rajoy : d’abord, son programme économique séduit ceux qui ont été particulièrement touchés par les plans d’austérité. Le gouvernement espagnol indigne ses citoyens lorsqu’il parle de « sortie de crise » alors qu’aujourd’hui un Espagnol sur quatre se situe en dessous du seuil de pauvreté et qu’un sur cinq est au chômage (un sur deux chez les moins de 25 ans). Dans le même temps, Iglesias et consorts proposent la création d’un revenu basique d’environ 500 euros pour tous les citoyens, la retraite à 60 ans, les 35 heures ou encore l’augmentation du salaire minimum (645 euros actuellement).

Mais l’économie n’est pas le facteur décisif dans l’ascension de Podemos, qui dispose en fin de compte d’un programme classique de gauche radicale comparable à celui d’ Izquierda Unida, le « Front de gauche espagnol » qui milite depuis des décennies sans jamais avoir remporté plus de 6% des suffrages. Ce qui fait de Podemos un parti attractif, c’est le thème de la lutte contre la corruption du « système de 1978 », ce régime né de la transition post-franquiste et qui fait l’objet d’un rejet très fort. En Espagne, le niveau de corruption de la classe politique ferait presque passer la France pour un pays vertueux : plus de deux mille affaires font actuellement l’objet d’enquêtes de justice, pour un coût estimé à 40 milliards d’euros par an pour l’État. Même la sacro-sainte monarchie est touchée par le phénomène, tandis que les partis politiques sont complètement discrédités : les Espagnols leur attribuent ainsi la note de 2/10 selon une récente enquête sur la confiance politique.

Podemos ne se contente pas de critiquer la situation existante mais propose d’initier une véritable révolution démocratique. Le parti possède ainsi une structure originale « en cercles », autrement dit un réseau d’assemblées locales ou sectorielles (culture, sport, énergie, dette souveraine, etc.) mises en place à travers tout le pays. Ce système de cercles vise à promouvoir l’idée d’une démocratie participative et correspond à une rhétorique à l’origine de son succès : comme l’explique le député européen Íñigo Errejón, il s’agit d’abolir le clivage droite-gauche pour mettre en exergue une division susceptible de rassembler davantage, « la dichotomie démocratie-oligarchie ou encore citoyenneté-caste ». Une démarche populiste, donc, et revendiquée comme telle. Un programme de gauche assumé, mais une stratégie se voulant alternative au clivage traditionnel, voilà un cocktail qui semble pour le moment fonctionner et dont souhaite s’inspirer en France Jean-Luc Mélenchon, lui qui depuis quelques mois ne se revendique plus de gauche mais « du peuple ».

Une dérive présidentialiste, déjà ?

De la même manière que l’on a reproché à Jean-Luc Mélenchon d’être omniprésent et omnipotent au sein de son parti, de plus en plus de voix s’élèvent contre la méthode Iglesias : en effet au congrès de novembre dernier, Iglesias a été confirmé à la tête du parti avec plus de 88% des voix. Sa conception « verticale » du parti a été choisie, ce qui a été considéré comme une trahison aux idéaux originels par certains dont les militants de Gauche anticapitaliste (associée à Podemos). Son projet entérine la création d’un poste de secrétaire général, doublé d’un conseil de coordination de douze personnes nommés par lui, et minimise l’importance des cercles. Le responsable du parti Jorge Lago reconnaît même : « On ne peut pas fonctionner comme on le voudrait parce que nous sommes dans un système politique hiérarchique. Il faut jongler entre le désir d’une autre société et la réalité ».

Podemos illustre là un paradoxe bien connu du côté de la gauche radicale du monde entier, toujours tiraillée entre ses principes démocratiques et l’admiration portée à un leader. Mais en se structurant comme un parti politique classique, il maximise ses chances de l’emporter aux prochaines élections, et c’est bien la seule chose qui intéresse désormais Iglesias et sa bande. Preuve que désormais ils sont pris au sérieux, le « Pierre Gattaz espagnol », Juan Rosell, a récemment appelé à la constitution d’une grande coalition PP-PSOE pour les contrer, un souhait également formulé par l’ex-président du gouvernement socialiste Felipe González (1982-1996) en mai dernier.

Sources

LAMBERT Renaud, « Podemos, le parti qui bouscule l’Espagne », Le Monde diplomatique, janvier 2015.

CARTON Mathilde, « Podemos : la machine de guerre électorale fête son année d’existence », LesInrocks.fr.

MUSSEAU François, « Podemos, la nouvelle vague de l’indignation », libération.fr.

Vos commentaires
  • Le 2 février 2015 à 12:31, par tnemessiacne En réponse à : La révolution Podemos

    Très bon article, en espérant en avoir d’autres de cette qualité.

    A mi parcours de l’article, on peut penser au mouvement anti-CPE en France et à l’image de la gauche de la gauche en France par rapport à l’Espagne et la Grèce. Mélenchon et Besancenot ne sont du même style.

    Il y a Pierre Laurent, président du groupe de la gauche de la gauche au Parlement européen donc de fait président du groupe comprenant Syriza. En France vu les sondages et l’image on peut douter d’un ralliement. Il parait qu’il y aussi l’Irlande, qui d’autres ?

    C’est bien d’apprendre que Podemos est premier dans les intentions de vote. Là on est en plein dans les affaires européennes.

    "Le parti possède ainsi une structure originale « en cercles », autrement dit un réseau d’assemblées locales ou sectorielles (culture, sport, énergie, dette souveraine, etc.) mises en place à travers tout le pays. Ce système de cercles vise à promouvoir l’idée d’une démocratie participative et correspond à une rhétorique à l’origine de son succès "

    En espérant que c’est pas de la poudre aux yeux.

    Après il peut y avoir une dérive "populiste" en opposant une caste à la citoyenneté. Un programme de gauche est ce que vous avez rappelé dans cette article, réduction du temps de travail etc...

    Mais pourquoi dans certains pays c’est la gauche de la gauche et dans d’autres la droite de la droite ou extrême droite ?

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