La République tchèque et la Pologne s’affrontent en justice pour le climat

, par Samuel Touron

La République tchèque et la Pologne s'affrontent en justice pour le climat
Château tchèque entouré d’une mine de charbon Source Pixabay

La Tchéquie ne plaisante pas avec l’environnement et cela malgré l’idylle entre Andrej Babiš, le Premier ministre tchèque, et le nucléaire. La Tchéquie a en effet annoncé son intention de saisir la justice européenne pour s’opposer à l’extension de la mine de charbon polonaise de Turów. Celle-ci, proche de la frontière, pollue à la fois la Basse-Silésie en Pologne et la Moravie-Silésie en République Tchèque. Excédées, les autorités tchèques ont décidé de prendre une mesure jusqu’alors inédite : porter plainte contre un autre État de l’UE pour des raisons environnementales.

Et si le groupe de Visegrád se fissurait autour des questions environnementales ? La question est posée tant la tension est montée ces derniers mois entre la République tchèque et la Pologne autour de la mine de Turów. Cette mine à ciel ouvert sert à l’extraction du lignite, un charbon utilisé pour la combustion et donc la production d’énergie. La Pologne dépend encore à 75,4% du charbon pour sa production d’énergie, un chiffre très important qui avait poussé le pays à s’opposer à l’objectif européen de neutralité carbone d’ici à 2050. Craignant pour son autonomie énergétique, la Pologne avait refusé d’entrer dans les objectifs de neutralité carbone d’ici à 2050 mais s’était engagée en contrepartie à fermer l’ensemble de ses mines de charbon d’ici à 2049. Un véritable défi car cela revient à s’engager à changer totalement la politique énergétique du pays.

La Pologne et la sortie du charbon : une équation insoluble ?

D’aucuns accusent la Pologne de chercher à gagner du temps en attendant de nouvelles négociations. Il est vrai que le charbon représente une manne économique pour le pays qui est à l’origine de 95% de la production européenne du précieux minerai. Une bonne partie de cette production est exportée en Allemagne où la sortie du nucléaire et la transition vers un mix énergétique tourné vers le 100% renouvelable est en cours. Nos voisins d’outre-Rhin en sont pour l’instant à 44,4% d’énergies produites issues du renouvelable, un chiffre en hausse constante mais encore bien trop faible pour se passer des importations de charbon polonais (43,6% du mix énergétique allemand dépend des combustibles fossiles). L’Allemagne importe ainsi pour 35% du total européen en matière de produits houillers et la Pologne trouve ici un débouché alléchant.

Si la Pologne tarde à fermer ses mines de charbon, c’est aussi car la mesure est très impopulaire et va entraîner un choc profond pour l’économie polonaise notamment dans la région de Silésie où se trouve la mine de Turów. La suppression de milliers d’emplois industriels et la paupérisation de régions entières du pays étant une condition sine qua non à la fermeture des sites miniers. Or, le gouvernement polonais n’a pas vraiment envie d’appuyer sur le détonateur et cela peut se comprendre face à la réaction économique et sociale violente que cela entraînera. Pourtant, le pays n’a pas le choix, même sans les objectifs de l’UE en neutralité carbone, la compétitivité du charbon polonais va en se dégradant et la situation s’est aggravée avec la crise sanitaire. La forte baisse de la demande en charbon qui ira inexorablement croissant, provoque une hausse des coûts de production rendant le secteur moins rentable voire déficitaire. La Pologne n’a donc pas le choix, elle doit sortir du charbon.

Le gouvernement polonais a commencé à restructurer les activités des principaux groupes d’énergie dont il est actionnaire, à savoir : PGE, Enea et Tauron. Des plans de restructuration ont été proposés aux principaux syndicats du secteur, sans succès pour l’instant. Timidement, la Pologne commence ainsi à préparer sérieusement l’après-charbon hérité des réformes économiques post-1989. L’industrie du charbon emploie dans la seule région de Turów près de 80 000 personnes et si le plan de relance européen, dont 30% des fonds doivent être tournés vers des projets « verts » joue un rôle incitatif, pas sûr que celui-ci compense pleinement l’effondrement d’un des secteurs industriels les plus importants du pays.

Une transition énergétique tchèque tournée vers le nucléaire

Face à la Pologne se dresse la République tchèque et dans une moindre mesure l’Allemagne, qui de par sa position de dépendance énergétique au charbon polonais ne peut pas trop se permettre de critiquer l’action de son voisin. Soutenue par la France au travers du groupe EDF, la République tchèque s’est lancée en juin 2015 dans un vaste programme de transition de son mix énergétique vers le nucléaire afin de pouvoir sortir du charbon rapidement. La Tchéquie dispose aujourd’hui de deux centrales nucléaires : Temelín et Dukovany, les deux sites devant être agrandis afin de parvenir d’ici 2050 à 58% de nucléaire dans le mix énergétique contre environ 35% aujourd’hui. Le géant du secteur énergétique tchèque, ČEZ, dont l’État est actionnaire à 70%, a ainsi annoncé sa volonté de lancer un appel d’offre d’ici à 2022 pour la construction d’un réacteur EPR dans la centrale de Dukovany. Trois entreprises sont pour l’instant sur le coup : le coréen KHNP, l’américain Westinghouse et le français EDF. Les travaux doivent débuter en 2026.

Cependant, la Tchéquie dépend encore aujourd’hui des importations polonaises en charbon pour assurer sa production d’énergie, certes moins fortement que l’Allemagne. Les critiques et l’action en justice formulée à l’encontre des pollutions de la mine de Turów s’apparentent ainsi parfaitement au phénomène NIMBY (Not in my Backyard). On comprend mieux l’empressement d’Andrej Babiš pour son ambitieux programme nucléaire afin de rendre autonome en énergie la République tchèque et donner une légitimité et de la consistance à son discours. Il peut en effet apparaître quelque peu hypocrite de critiquer les pollutions des mines de charbon polonaises quand on dépend en partie de celles-ci pour son approvisionnement en énergie. D’autant plus que la République Tchèque s’est aussi engagée à fermer progressivement ses centrales à charbon à partir de 2025.

Une action en justice historique !

Plus volontariste que la Pologne dans la fermeture de ses centrales et dans l’adhésion aux objectifs européens de neutralité carbone, la République tchèque n’a pas du tout apprécié l’agrandissement de la mine polonaise de Turów. Il est vrai que cette décision est assez incompréhensible au regard de la compétitivité du secteur et des enjeux environnementaux. D’autant plus que les pollutions que cela engendre pour la région tchèque de Moravie-Silésie sont importantes : pollution atmosphérique, pollution des eaux, pollution sonore, poussière etc… Les habitants se plaignent même d’une pénurie d’eau potable notamment dans les districts frontaliers de Karviná, de Frýdek-Místek et d’Opava. Alors que les élections législatives tchèques doivent se tenir les 8 et 9 octobre prochain, les questions environnementales et autour de l’établissement d’une démocratie plus transparente sont centrales dans le débat politique. Le Parti pirate tchèque (Česká pirátská strana), troisième force politique du pays, a notamment proposé un encadrement plus strict des activités de lobbying, activités qui concernent entre autres l’industrie minière.

Face à une situation que d’aucuns qualifieraient de délétère, la République tchèque a décidé de poursuivre la Pologne pour extraction illégale de charbon devant la CJUE. C’est le ministre des Affaires étrangères tchèque, Tomáš Petříček, un pro-européen convaincu ayant demandé d’agir plus fermement sur la nécessité de réorganiser la politique des Droits de l’Homme et d’agir de manière concrète sur le changement climatique qui a annoncé la nouvelle. Alors que la mine de Turów aurait pu fermer en 2020, le gouvernement polonais avait annoncé l’extension de son autorisation d’exploiter le lignite sur le site pour encore six ans tout en demandant l’agrandissement du site de 25 à 30 kilomètres carrés. Le groupe énergétique polonais PGE a par ailleurs annoncé souhaiter garder le site ouvert jusqu’en 2044. Des annonces qui ont poussé à l’action en justice tchèque, une première pour des motifs environnementaux au sein de l’UE.

Fin décembre, la Commission avait également souligné que l’attitude polonaise quant à la mine de Turów était difficilement acceptable, celle-ci ayant mal calculé l’impact environnemental tant du maintien de la mine en activité que du projet d’extension. De plus, elle n’avait que peu informé ses voisins sur ses intentions quant à l’activité du site. Un avis qui pourrait aider les juges européens dans leur prise de décision.

En attendant, la Pologne a demandé le 9 avril, à la CJUE, de refuser le recours déposé par la République tchèque. En effet, la Tchéquie demande tout simplement l’arrêt de la mine de Turów, un recours inacceptable pour la Pologne qui a demandé à la CJUE de mettre dans la balance l’ensemble des intérêts et pas seulement ceux du gouvernement tchèque. Le recours tchèque devant la CJUE a été accepté le 6 avril. L’avis qui sera rendu par la CJUE pourrait bien faire jurisprudence et montrer la volonté toute entière des institutions de l’Union et de ses habitants, d’une part à condamner toute forme de pollution environnementale et d’autre part à réussir à atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050.

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