La Pologne en contradiction avec le droit de l’UE

, par Thomas Buttin

La Pologne en contradiction avec le droit de l'UE
Bâtiment de la Cour Suprême polonaise, à Varsovie. Photo : Wikimedia Commons - [Robert Wielgórski] - CC BY 3.0

L’avocat général Tanchev a rendu ses conclusions le 11 avril dernier dans l’affaire Commission européenne c/ Pologne. La législation polonaise relative à l’abaissement de l’âge de la retraite des juges de la Cour suprême serait contraire au droit européen. Cette nouvelle loi sur la Cour suprême, entrée en vigueur il y a un an, abaisse à 65 ans l’âge de départ à la retraite des juges de la Cour suprême. La Cour de justice devra statuer prochainement sur le fond du dossier sur lequel elle a déjà rendu deux décisions en référé à la fin de l’année dernière. Les juges ne sont cependant pas tenus de de suivre le raisonnement opéré par l’avocat général.

La Commission européenne avait saisi la juridiction européenne sur le fondement d’un manquement à l’obligation pour les Etats membres d’assurer une protection juridictionnelle effective et de garantir l’Etat de droit. En effet, les mesures litigieuses violeraient les principes de l’inamovibilité des juges et de l’indépendance judiciaire. De même, le pouvoir discrétionnaire accordé au président de la République de Pologne dans la fonction judiciaire active des juges suprêmes a inquiété les institutions européennes. Cette décision sera l’occasion de préciser le sens de l’indépendance de la justice, qu’ils s’agissent des juridictions judiciaires, des juridictions administratives ou de la juridiction constitutionnelle à l’égard du pouvoir politique.

L’inamovibilité des magistrats

L’avocat général Tanchev relève que l’inamovibilité des membres de la Cour suprême constitue l’une des garanties inhérentes à leur indépendance. En effet, l’inamovibilité « est la cause et le reflet de l’indépendance judiciaire ; elle signifie que les juges ne peuvent être révoqués, suspendus, mutés ni mis à la retraite que pour les quelques motifs » prévus légalement. Cette condition serait partie intégrante du droit des citoyens à accéder à un tribunal indépendant et impartial.

Cette question d’indépendance est régulièrement précisée par des lignes directrices données par les institutions de l’Union ou d’autres instances européennes. Les juges seraient ainsi inamovibles tant qu’ils n’ont pas atteint l’âge obligatoire de la retraite ou la fin de leur mandat. De même, ils ne pourraient être suspendus ou destitués qu’en cas d’inaptitude à poursuivre leurs fonctions ou en cas de mauvaise conduite. Le raisonnement adopté par l’avocat général rejoint totalement le constat posé par la Commission de Venise qui avait alerté en 2017 sur les risques que comportait ce projet sur le fonctionnement de la vie démocratique polonaise. La cohérence et la jonction de ces différents avis témoigne d’une culture européenne spécifique en la matière. C’est ainsi que peu de doutes peuvent demeurer quant au positionnement qu’adopteront les juges européens dans les semaines à venir dans cette affaire. Le corps juridictionnel ne saurait être une corporation autonome mais doit être redevable envers la société. Il doit être à l’abris des tourbillons politiques, et l’Etat ne peut prendre le contrôle des fonctions juridictionnelles dès lors que les tribunaux sont susceptibles de se prononcer sur des conflits entre les droits individuels et ledit Etat.

Précisons ici que ce projet de loi, contre lequel cette procédure en manquement est faite, prend toute sa dimension négative lorsqu’il est étudié en simultané avec les autres projets de lois sur le Conseil national de la justice polonais, sur la Cour suprême ou sur l’organisation des juridictions de droit commun, tous proposés par Andrzej Duda, Président de la République de Pologne. La menace est grave pour l’indépendance de la justice, élément essentiel de l’Etat de droit et composante de l’identité européenne.

La violation récurrente des valeurs européennes

Ces différents projets de réforme sont portés par les conservateurs du parti au pouvoir depuis 2015, Droit et Justice (PiS). C’est d’ailleurs dans ce contexte que la Commission européenne a déclenché en décembre 2017 la procédure de l’article 7 estimant qu’il y a « un risque clair d’une violation grave de l’Etat de droit » en Pologne. Les sanctions contre le gouvernement polonais n’ont pas abouti à ce jour dans le cadre de cette procédure inédite. Néanmoins, le signal politique envoyé est fort de la part des institutions européennes pour la défense d’une culture juridique et politique commune.

L’avocat général Tanchev s’interroge au fil de ses conclusions sur les relations entre la procédure en manquement et celle de l’article 7. Son raisonnement pragmatique conclut à la possibilité d’invoquer simultanément les deux procédures. En effet, aucune disposition n’est formulée de façon qu’elle exclurait l’autre. Les régimes et les finalités des deux procédures ne peuvent être associés : quand l’une est essentiellement une procédure politique visant à mettre fin aux « violations graves et persistantes » d’un Etat membres des valeurs visées à l’article 2 du Traité sur l’UE, l’autre est une voie juridique permettant de saisir la Cour de justice et faire respecter le droit de l’Union par les Etats membres. Ces différences seraient ainsi le reflet de la nature autonome, voire même complémentaire, de ces procédures et de la possibilité de les appliquer de façon parallèle.

L’association des procédures par les institutions de l’Union révèle l’importance accordée au respect des principes démocratiques dans une Europe désormais politique. Les conservateurs nationalistes polonais affirment encore aujourd’hui que les réformes engagées sont nécessaires dans la lutte contre la corruption dans leur pays. Ils portent une idéologie contraire à la culture européenne issue des Lumières et réanimée par la construction européenne après la seconde guerre mondiale. La Commission européenne en a pris conscience. Il ne fait aucun doute que la Cour de justice est également pleinement engagée dans la défense des valeurs démocratiques et que sa décision sera sensiblement similaire aux conclusions de l’avocat général Tanchev dans cette affaire.

Les élections européennes de cette année marquent également un tournant dans l’appréhension des dérives de certains pays. Est par exemple débattu le versement des fonds européens conditionné au respect de l’Etat de droit. Le Parlement européen ne tardera pas à adopter ce nouvel outil permettant de suspendre, réduire ou restreindre l’accès aux fonds européens d’une manière proportionnée à la nature, à la gravité et à l’étendue des défaillances généralisées de la vie démocratique d’un Etat membre. Cette affaire nous révèle néanmoins l’importance grandissante et l’utilité salvatrice de l’Union européenne dans la défense de nos intérêts et la préservation de nos droits contre la dérive nationaliste. C’est à vous, citoyens européens, de vous emparer de ce débat et de choisir la politique européenne de demain.

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