La Moldavie à la croisée des chemins

, par Christina Matei, Estelle Beuve

La Moldavie à la croisée des chemins
Affichage au Boulevard Stefan Cel Mare à Chisinau le 18 février avec de gauche à droite le premier ministre Pavel Filip (PDM), Igor Dodon (PSRM) et Ilan Șor (Partidul Șor) Photo : Tout droit réservé.

Ce dimanche 24 février ont lieu les élections parlementaires en Moldavie. La campagne électorale aura tant rappelé la réduction à peau de chagrin de l’Etat de droit que la corruption qui gangrène et expose aux influences de la Russie malgré un rapprochement avec l’UE ces cinq dernières années.

Une semaine avant les élections l’omerta régnait sur Chișinău, la capitale moldave. Personne n’ignore les élections mais aucun débat sur la place publique surnommée « PMAN » (place nationale de la grande assemblée) adjacente au gouvernement n’a eu lieu. Personne dans la rue ne manifeste.

Une citoyenneté duale

Samedi, en revanche, des citoyens s’y sont réunis munis d’une paire de chaussures, de deux, de trois ou plus. Chaque paire symbolisant un proche parti du pays le plus pauvre d’Europe, parti à la recherche d’une vie meilleure. Leur principale destination ? La Roumanie. Ce phénomène est d’autant plus renforcé que chaque Moldave a le droit d’obtenir un passeport roumain. Ils sont alors de fait citoyens de l’UE au terme d’une procédure gratuite qui dure un an. Certains se voient donc attribués un passeport européen alors qu’ils ne parlent pas roumain mais seulement russe.

La majorité parlementaire a en revanche peut être trouvé la solution pour inciter au retour ou plutôt sanctionner l’exil : retirer le droit de vote aux expatriés qui n’ont pas un passeport valide. Auparavant il était possible de voter avec un passeport expiré. L’amendement du Code électoral a fait l’objet d’une saisine le 10 janvier 2019 de la Cour Constitutionnelle par le médiateur Mihai Cotorobai estimant que cette modification est anti-constitutionnelle en ce qu’elle ne respecte pas le droit fondamental au vote (art.38 al. 2) et qu’elle suppose un traitement différencié entre citoyens (art. 16 al.2).

Pour justifier le rejet de la demande de M. Cotorobai et donc limiter les droits de vote des expatriés principalement pro-européens, la Cour Constitutionnelle a employé à son gré des jugements de la Cour européenne des droits de l’homme, ainsi qu’une disposition d’un rapport de la Commission de Venise laquelle a par ailleurs nommé une délégation chargée d’observer la régularité des élections législatives.

Et, enfin pour couronner le tout, elle conclut : « les élections parlementaires ou présidentielles ont lieu tous les quatre ans. En d’autres termes, elles sont prévisibles. La période est suffisamment longue pour que les citoyens fassent la demande d’un nouveau passeport valable ». Ou peut-être pas. Pour obtenir leur passeport, les expatriés doivent soit se rendre de nouveau en Moldavie et en faire la demande ou se rendre dans une section consulaire de la Moldavie, ce que tous les pays ne permettent pas. A un peu moins d’un mois avant les élections, l’objectif de la majorité parlementaire constitué principalement par le Parti démocrate (PDM) était clair, il s’agissait là de créer plusieurs degrés de citoyenneté ce qui apparaît très clairement lorsqu’est évoqué le fait que les expatriés ne se sentiront pas concernés par le résultat du scrutin.

L’opposition pro-européenne constituée par la fusion de deux partis ACUM (« maintenant ») et PAS (« Parti de l’action et de la solidarité ») ont décrié cette mesure qui toucherait selon eux près de 500 000 citoyens.

La Moldavie écartelée entre Ouest et Est

Le résultat de ce scrutin déterminera la future position géopolitique de la Moldavie : soit un rapprochement à l’Ouest soit à l’Est. Depuis 2014, a été signé un accord d’association avec l’Union européenne qui a été mis en œuvre en 2016. L’accord de libre-échange complet et approfondi (connu sous l’acronyme anglais DCFTA) a fait l’objet d’un déblocage de fonds et de financement d’infrastructures et de travaux de rénovation en Moldavie mais a été récemment suspendu à la suite d’un rapport émis par la commission aux affaires étrangères au Parlement européen et qui est en charge de son application. Il met en avant le non-respect de l’Etat de droit et incite la Moldavie à adopter les réformes nécessaires citant l’élection annulée de Andrei Nastase (leader du PAS), à la mairie de Chisinau, le scrutin ayant été arbitrairement considéré comme invalide. 100 millions d’euros seraient encore gelés, l’UE attendant le résultat de ces élections.

Et puis n’oublions pas non plus la fraude bancaire de 1 milliard de dollars en 2016 toujours irrésolue mais qui serait sans l’ombre d’un doute rentrée directement dans les poches du parti Șor (du nom éponyme de son leader Ilan Șor). Ce dernier était à la manoeuvre d’une des banques concernées par cette fraude. Il en a profité également pour réaliser sa campagne pour les élections parlementaires exclusivement autour de son mandat à la ville d’Orhei où il se vante d’y avoir rénové les infrastructures et créé un parc d’attractions gratuit pour tous : Orheiland. Son leitmotiv : « faire aussi bien qu’à Orhei ». Mais, surtout, ne demandez pas d’où provient l’argent.

Une campagne électorale indigne

La campagne pour les élections s’est jouée en grande mesure sur les réseaux sociaux. (Facebook a annoncé avoir supprimé des comptes et pages Facebook trolls-> https://www.bbc.com/news/world-europe-47237920] créés de toute pièce pour influencer sur la campagne électorale et qui aurait été principalement organisée par le parti au gouvernement, le parti démocrate (PDM).

Dans ce contexte de campagne mensongère qui concerne en somme tous les partis en lice, Christi Mariuta et Oleg Artenii deux amis ont relancé une initiative commencée en 2016 au lendemain des toutes premières élections présidentielles en Moldavie où le nom du pro-russe Igor Dodon est arrivé en tête. Il est important de souligner que ce président joue un rôle symbolique et s’affiche volontiers aux côtés de Vladimir Poutine. Il a d’ailleurs une fâcheuse tendance à s’exprimer sur les réseaux sociaux davantage en russe qu’en roumain. Igor Dodon a été suspendu depuis le début de son mandat à 5 reprises. Il mène un bras de fer de longue haleine avec le gouvernement en refusant de signer des lois adoptées au Parlement dont la plus anecdotique est sans doute celle visant à lutter contre la propagande russe qu’il avait jugée inadmissible.

Le site créé par ces deux amis, nommé De Facto, vise à mieux renseigner les électeurs sur un nouveau système de vote dit mixte. Il consiste à répartir les sièges selon l’ancienne méthode dite de la proportionnalité à 50% mais aussi par des circonscriptions uninominales pour les 50% restants. Pour chacun des candidats aux circonscriptions uninominales est répertorié le taux de réussite de leurs promesses électorales. L’objectif est bel et bien d’offrir une source sûre d’information pour les électeurs qui auront aussi à s’exprimer sur un référendum pour abaisser le nombre de sièges au Parlement mais qui sera de facto, en écartant l’hypothèse d’élections anticipées, possiblement effective dans quatre ans.

Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom