Un changement radical de modèle
Bien que Jean-Claude Juncker justifiait devant son Parlement que son pays pouvait se permettre de lever son secret bancaire car il ne vivait pas de manière existentielle de la fraude fiscale, force est de constater que la fin du secret bancaire au Luxembourg pose le problème d’une redéfinition radicale de la stratégie de son secteur financier pour rester attractif dans un monde de plus en plus soumis à la concurrence.
Ainsi la place financière luxembourgeoise envisage de diversifier son activité, ne voulant pas céder son rang de 1er centre de gestion de fonds d’investissement de la zone euro. Elle veut par exemple notamment renforcer son attractivité pour la finance islamique mais aussi devenir une plateforme internationale de référence pour la gestion de la Renminbi, la devise chinoise, ayant compris le rôle stratégique que cette monnaie est destinée à jouer durant ce siècle.
Mais selon la classe politique luxembourgeoise, l’attractivité de son secteur financier dépendra aussi de l’attractivité de son environnement fiscal. C’est ainsi que le Luxembourg envisage d’alléger davantage sa fiscalité bancaire. Il y a donc un changement significatif quant à la philosophie économique de ce pays. Il est sans doute opportun de revenir sur les circonstances de cet abandon qui pose le problème de l’inefficacité de la gouvernance européenne.
Les circonstances de la révolution financière luxembourgeoise
Il faut se rappeler que ce changement de philosophie est davantage la conséquence des pressions américaines que des pressions européennes alors même que le secret bancaire luxembourgeois concernait davantage les contribuables européens. En effet les USA, dans leur lutte contre les paradis fiscaux ont menacé d’exclure les établissements financiers luxembourgeois du marché américain si jamais il ne cédait pas sur l’échange automatique des données bancaires.
C’est pourquoi les États-Unis, profitant des facteurs géoéconomiques, ont pu imposer leur point de vue. Il est donc désolant qu’un acteur extérieur ait plus de capacité à résoudre un problème touchant davantage le marché européen. Cela pose encore une fois la question de l’inefficacité de la gouvernance européenne qui doit être réformée et se doter d’une capacité d’action significative incompatible avec sa structure essentiellement confédérale.
Une révolution fiscale en marche ?
Les questions fiscales européennes relèvent de l’unanimité. Chacun a donc, sur le papier, un droit de véto. Or les particularismes fiscaux et financiers en Europe (les secrets bancaires) ont toujours été une des causes principales de la réticence de certains pays quant à l’élaboration d’une politique fiscale européenne. Ces particularismes ayant tendance à s’effriter, nous sommes désormais en droit d’espérer plus d’initiatives quant à l’avènement d’une véritable politique fiscale européenne supranationale et démocratique.
A cet égard, une révision des traités sera nécessaire pour permettre au Parlement européen de lever des impôts, pouvoir qu’elle n’a pas au 21ème siècle alors même que le pouvoir budgétaire est, dans l’histoire des nations, le tout premier acquis des démocraties libérales.
1. Le 9 novembre 2013 à 10:07, par Pierre-Antoine Klethi En réponse à : La fin du secret bancaire au Luxembourg, une révolution fiscale européenne en marche ?
Le secret fiscal n’est aboli que pour les clients UE & USA ; les Russes, Chinois, etc. peuvent continuer à placer leurs fonds au Luxembourg sans être inquiétés. Par ailleurs, le Luxembourg avait simplement posé la condition que la Suisse et les autres micro-juridictions appliquant le secret bancaire appliquent également les règles européennes, afin d’éviter de désavantager un Etat membre par rapport à des pays voisins immédiats. Quant à une révolution fiscale, j’ai quelques doutes à son sujet. Une politique fiscale européenne sera légitime quand nous aurons des instances politiques véritablement pan-européennes responsables devant les citoyens. Et la politique fiscale nationale, même si on peut (et doit) l’encadrer par certaines règles communes, continuera de dépendre du choix des responsables nationaux élus par leurs concitoyens. Autrement dit, l’UE peut fixer des objectifs relatifs à la stabilité budgétaire, mais n’a pas la légitimité pour, par exemple, fixer les assiettes et taux d’imposition.
2. Le 9 novembre 2013 à 15:25, par Xavier Chambolle En réponse à : La fin du secret bancaire au Luxembourg, une révolution fiscale européenne en marche ?
Ce serait bien que l’UE possède son propre impôt oui. Mais ça doit s’accompagner d’une Constitution qui délimite clairement ses compétences.
De plus, il faut le marteler, si l’UE lève un impôt, les États doivent baisser leur charge fiscale en contrepartie.
Dans le cas de la France, où la charge fiscale est excessive et d’ailleurs commence à être massivement rejetée, on ne peut tout simplement pas se permettre d’en ajouter. Il va falloir prendre garde à cela, la France ne le fera probablement pas et l’UE sera injustement victime de ça.
Ensuite il faut également voir quel prélèvement.
Une TVA européenne ? Donc l’assiette la plus large possible, certes, mais également un prélèvement dégressif qui pénalise les moins aisés.
Un impôt sur les entreprises ? S’il n’est pas accompagné de niches fiscales, donc s’il est unique, pourquoi pas.
Un impôt sur le revenu ? S’il le taux est unique (donc assiette large) et qu’il n’y a pas de niches fiscales, pourquoi pas.
Des taxes douanières ? Difficilement envisageable - mais pour l’histoire, sachez que pour certains pays, il y a plus d’un siècle, cela constituait la majeure partie de ses revenus et cela a même été la cause principale de la guerre de Sécession.
Et lorsqu’on a déterminé l’impôt, comment fait-on pour le recouvrir ? Pour que cela soit le moins coûteux, il est préférable d’adopter un taux unique et d’abandonner toute idée de niche fiscale.
3. Le 11 novembre 2013 à 10:45, par Ferghane Azihari En réponse à : La fin du secret bancaire au Luxembourg, une révolution fiscale européenne en marche ?
@ Pierre-Antoine Klethi Vous avez raison de préciser qu’il n’est levé que pour les Européens et Américains. Mea Culpa pour cette grossière omission de ma part. Je vais voir s’il sera ultérieurement possible d’envisager des modifications. Je partage votre point de vue sur la démocratisation de l’UE comme condition préalable à l’instauration d’une fiscalité supranationale.
@ Xavier Chambolle On sera d’accord pour énoncer qu’une fiscalité européenne devra aller de paire avec une baisse de la fiscalité nationale. Ce transfert de recettes peut s’accompagner de transferts de dépenses (soyons fous, pourquoi pas dans certains domaines régaliens comme la diplomatie et le militaire ?)
La France a t-elle une fiscalité excessive ? A en juger la fiscalité nordique, non. Le « ras-le-bol » fiscal tient davantage au fait que l’Etat est immature pour gérer ses dépenses et que le contribuable ne sait plus pourquoi il paie. L’enjeu tient à la nécessité de baisser la dépense publique en la rationalisant.
La question du prélèvement est intéressante. Pour mémoire, l’UE pioche déjà dans une infime partie des TVA nationales et les taxes douanières lui reviennent déjà intégralement il me semble. Pourquoi pas s’appuyer sur le droit européen des sociétés afin de d’adopter une fiscalité unique sur les entreprises paneuropéenne ? Enfin on s’avance un peu là...
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