La facilité européenne pour la paix, instrument phare du soutien militaire de l’Union Européenne à l’Ukraine et embryon d’une défense européenne

, par Florian Pileyre

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La facilité européenne pour la paix, instrument phare du soutien militaire de l'Union Européenne à l'Ukraine et embryon d'une défense européenne
Un soldat, faisant la guerre en Ukraine. ©Pixabay (LukasJohnns)

L’invasion russe de l’Ukraine depuis le 24 février 2022 a obligé l’Union Européenne (UE) à se restructurer en profondeur pour, d’une part apporter une aide militaire rapide et effective à l’armée ukrainienne, et d’autre part consolider des mécanismes de long terme visant à doter l’UE d’instruments de défense. La facilité européenne pour la paix (FEP) est sortie de l’ombre au moment du conflit russo-ukrainien comme le principal outil de financement des équipements militaires et de défense par l’UE à destination de Kiev. Relativement méconnue du grand public, la FEP pourrait pourtant se révéler comme un instrument de plus en plus important vers l’établissement d’une défense européenne et mérite d’être détaillée pour comprendre son fonctionnement, son financement et ses objectifs.

Aux origines de la FEP : le mécanisme Athéna et la Facilité de soutien à la paix pour l’Afrique

La facilité européenne pour la paix est un instrument relativement récent puisqu’elle a été établie sur une décision du Conseil de l’UE du 22 mars 2021 sous la tutelle de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Toutefois, elle est la fusion de deux mécanismes préexistants en vigueur depuis 2004 : le mécanisme Athéna et la Facilité de soutien à la paix pour l’Afrique. Le mécanisme Athéna était un instrument de financement d’opérations militaires ou de défense dans des pays tiers selon un format relativement similaire à son successeur la FEP. Quant à la Facilité de soutien à la paix pour l’Afrique, il s’agissait d’un instrument européen destiné surtout au désarmement des populations. Concrètement, en l’échange d’une somme d’argent, les populations locales livraient les armes qu’elles pouvaient posséder, entre autres à la suite de conflits armés civils comme au Rwanda. Si les deux précédents instruments remplissaient déjà des prérogatives de financement d’actions extérieures de l’UE, leur fusion vise à renforcer l’opérabilité de l’action extérieure de cette dernière et à élargir son champ d’application à tous les États tiers notamment l’Ukraine, lui donnant une dimension mondiale.

La FEP, une nouvelle corde à l’arc européen en matière de défense

La FEP a pour objectif de donner la capacité nécessaire à l’UE pour « prévenir les conflits, construire la paix et renforcer la sécurité internationale ». En ce sens, la FEP agit comme un instrument financier donnant la capacité légale et effective de l’UE à consolider les capacités militaires de pays tiers et d’autres regroupements régionaux ou internationaux. L’utilisation de la FEP peut se faire à un double niveau : en finançant les forces armées des 27 Etats membres opérant dans un pays tiers suivant la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), c’est-à-dire via le Pilier « Opérations ». Mais également en soutenant financièrement directement les capacités de défense d’un acteur tiers conformément aux articles 28 et 30 du TUE (Pilier « Mesure d’assistance »). Concrètement, des équipements militaires et de défense, des infrastructures et une assistance technique peuvent être financés via la FEP.

La FEP est aujourd’hui utilisée pour apporter un soutien financier à 9 opérations militaires actives en Europe ( par exemple Ukraine, Bosnie-Herzégovine), en Afrique ( par exemple République Centrafricaine, Niger jusqu’à récemment) et au Moyen-Orient. Néanmoins, la part la plus importante du budget alloué est actuellement destinée à soutenir les forces armées ukrainiennes. Sept trains de mesures de soutien successifs ont été accordés à l’Ukraine, le dernier datant de mars 2023 pour financer des stocks de munitions. Sur le plan du pilier « Opérations », la FEP participe au financement de la Mission d’assistance militaire de l’Union européenne en soutien à l’Ukraine (EUMAM) à hauteur de 16 millions d’euros. Le 4 mai 2023, le Conseil a également adopté des mesures d’assistance à l’appui du secteur de la défense de la République de Moldavie et de la Géorgie.

La FEP, un instrument extrabudgétaire de l’UE de plus en plus pertinent dans le contexte de la guerre en Ukraine

La FEP est placée sous l’autorité et la direction d’un « comité de la facilité », composé d’un représentant de chaque Etat membre et présidé par un représentant de la présidence du Conseil de l’UE. Ce comité, supervisé par le Parlement européen, est chargé d’approuver le budget annuel et les règles d’exécution des dépenses de la FEP. Il statue à l’unanimité et ses décisions sont contraignantes.

En tant qu’instrument extrabudgétaire de la PESC, le budget de la FEP, appelé plafond financier global, est basé sur la contribution des États membres hors du cadre financier pluriannuel de l’UE. Il est décidé à l’unanimité au Conseil de l’UE. Initialement fixé à 5 milliards d’euros au prix de 2018 pour la période 2021-2027, le plafond a été réévalué à la hausse successivement par le Conseil de l’UE pour répondre aux besoins en armement de l’Ukraine face à l’agression russe. La dernière hausse en date a été actée par le Conseil de l’UE le 14 mars 2023, portant le plafond financier à 7,979 milliards d’euros (en prix courant) jusqu’en 2027. Jusque-là, 3,6 milliards d’euros ont été alloués à l’Ukraine pour renforcer ses capacités militaires via la FEP.

La FEP, un instrument financier de défense encore perfectible ?

Ce système semble donc avoir fait ses preuves en tant qu’instrument financier pour soutenir des opérations de défense aux quatre coins du monde, dans un laps de temps réduit et avec des succès observables notamment dans le cas de la guerre en Ukraine. C’est via la FEP que l’UE a été en mesure de disposer de prérogatives pour apporter un soutien militaire européen à Kiev. Comme dans le cas des vaccins contre la Covid en matière de santé, cet instrument permet de mutualiser les dépenses en matière de défense dans le domaine des relations extérieures. Il a aussi montré sa souplesse en termes de financement puisque son budget a pu être réévalué rapidement pour répondre aux besoins ukrainiens en matière d’équipements.

Néanmoins, des points de réflexion et d’améliorations pourraient être proposés pour consolider l’efficacité et la place de la FEP dans la construction d’une Europe de la défense.

Dans un premier temps, concernant son financement : comme évoqué précédemment, le budget de la FEP est planifié sur sept ans. Or dès 2023, une large partie de ce budget a déjà été consommée pour assister l’armée ukrainienne, obligeant des rallonges successives du financement initial. De plus, la FEP étant un instrument financier extrabudgétaire, un accroissement budgétaire dépend de la bonne volonté des États membres. Ces derniers peuvent se montrer très récalcitrants à une hausse des budgets européens en temps de crise inflationniste, comme l’a montré l’accueil très froid des capitales à une hausse du budget européen de 66 milliards d’euros proposée par la Commission européenne le 20 juin dernier, entre autres pour soutenir Kiev. Il pourrait être question de s’interroger sur des financements propres et l’enveloppe financière du prochain budget de la FEP en 2027, de sorte à franchir un petit pas supplémentaire vers une défense européenne autonome et effective.

Quant à la gouvernance, la FEP étant un instrument de la PSDC, cela signifie qu’en accord avec les traités européens, toute décision importante dans ce cadre doit être prise à l’unanimité. Il pourrait être vu dans ce mode de décision une potentielle faiblesse de lenteur ou de veto non-constructif sur la FEP alors que cet instrument est pensé comme un outil de réaction rapide aux crises extérieures. Le passage à un cadre décisionnel à la majorité qualifiée pourrait permettre d’éviter d’éventuels blocages et chantages des capitales, comme cela pu être observé de la part de la Hongrie lors de l’entérinement des différents paquets de sanction contre la Russie. Toutefois, soulignons l’importance du consensus et de la prise de décision à l’unanimité afin de crédibiliser les ambitions de l’UE et de ses États membres à se doter d’une défense commune.

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