La croate Dubravka Šuica pour un nouveau portefeuille à la Méditerranée

Qui sont les candidats à la Commission ? 2/27

, par Florian Pileyre

La croate Dubravka Šuica pour un nouveau portefeuille à la Méditerranée
Portrait de Dubravka Šuica © European Union 2019 - Source : EP

C’était une promesse de campagne de la candidature d’Ursula Von der Leyen à un deuxième mandat à la tête de la présidence de la Commission européenne en juillet dernier : la création d’un tout nouveau portefeuille dédié à la Méditerranée, avec pour objectif de renforcer les liens entre ses deux rives. Le Taurillon poursuit sa série de présentation des nouveaux commissaires de la Commission Von der Leyen II avec le portrait et les missions de la croate Dubravka Šuica.

Une Croate pour incarner la stratégie européenne en Méditerranée

Dubravka Šuica est un visage bien connu à Bruxelles puisqu’elle fait partie des rares commissaires de la mandature 2019-2024 à rempiler pour un nouveau mandat de cinq ans. Elle était précédemment la commissaire européenne chargée de la Démocratie et de la Démographie. Au cours de son premier mandat, elle a notamment chapeauté la Conférence sur l’avenir de l’Europe, grande consultation menée pour imaginer les réponses aux enjeux qui préoccupent les citoyens.

Professeure d’anglais et d’allemand de formation, elle était députée européenne de l’Union démocratique croate (HDZ), parti membre de la famille politique du Parti populaire européen (PPE), de 2013 à 2019. De nouveau désignée candidate par Zagreb durant l’été, c’est probablement son passé de maire de la ville côtière de Dubrovnik de 2001 à 2009 qui a pu convaincre Von der Leyen de lui confier ce nouveau portefeuille.

Pour la première fois, la Méditerranée disposera d’un portefeuille propre, sous la supervision de la Haute Représentante pour l’action extérieure de l’UE - Kaja Kallas

Le portefeuille de commissaire à la Méditerranée est un tout nouveau portefeuille, au sein de la Commission Von der Leyen II. Jusque-là, l’espace méditerranéen faisait partie du portefeuille du Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (HRAEPS), au sein de la politique européenne de voisinage. Désormais, la politique de voisinage est distinctement séparée en deux au sein de la nouvelle Commission, avec un commissaire à la Méditerranée pour le voisinage sud et un commissaire européen à l’élargissement pour le voisinage est. Ainsi, derrière le titre de portefeuille à la Méditerranée, il faut entendre la gestion de la politique de voisinage sud de l’Europe, allant du Maghreb au Proche-Orient, dont la politique de l’UE vis-à-vis de la Palestine, sous la tutelle de la HRAEPS.

Ce choix semble concrétiser encore davantage une différenciation d’approche entre les pays tiers candidats à l’élargissement, à l’est, et ceux sans perspective d’adhésion à l’UE, au sud. Il peut aussi être spéculé que la création de ce portefeuille vient contrebalancer les craintes que la politique étrangère européenne, prochainement incarnée par l’estonienne Kaja Kallas, ne penche trop à l’est. À noter également que, bien que ce ne soit pas compris dans son titre officiel, Dubravka Šuica sera également chargée de la démographie. Sujet qu’elle couvrait déjà dans son précédent mandat de commissaire européenne.

S’agissant de la place de Dubravka Šuica dans l’architecture du collège des commissaires, elle sera sous la double tutelle des vice-présidentes exécutives Kaja Kallas (Estonienne/Renew) en charge de la politique extérieure et de Roxana Mînzatu (Roumaine/S&D) chargée des Personnes et des Compétences. Kaja Kallas supervisera les travaux de Dubravka Šuica relatifs au voisinage sud, tandis que Roxana Mînzatu exercera sa tutelle sur les sujets relatifs à la démographie.

Un nouveau pacte pour la Méditerranée et la relation de l’UE avec le Proche et Moyen-Orient dans le cadre du conflit israélo-palestinien comme dossiers prioritaires de Dubravka Šuica

Ursula Von der Leyen a confié dans la lettre de mission à Dubravka Šuica trois grands axes prioritaires : renforcer les liens entre les deux rives de la Méditerranée, déployer une nouvelle stratégie européenne au Proche-Orient et améliorer la résilience de l’Europe en matière de démographie dans un contexte de vieillissement de la population européenne.

S’agissant de la politique méditerranéenne, Dubravka Šuica a pour mission d’élaborer un “nouveau pacte pour la Méditerranée” qui doit se traduire par des partenariats multisectoriels renforcés : énergie, migration, sécurité, transports et autres domaines d’intérêts mutuels. Cela devrait passer par des projets d’investissements qui pourraient concerner, par exemple, le soutien à des projets d’infrastructures de production d’énergie renouvelable en Afrique du Nord, dont la production verte pourrait ensuite être importée en Europe pour soutenir la décarbonation de l’industrie. Les questions migratoires devraient être aussi au centre de ces accords, dans un contexte où les États membres cherchent à trouver des “solutions innovantes” pour le retour dans leur pays d’origine des demandeurs d’asiles refoulés sur le sol européen. À l’heure actuelle, l’UE a conclu des accords de ce type avec la Tunisie et l’Égypte. Dans son audition, la Croate a annoncé que des négociations étaient en cours avec la Jordanie et le Maroc. En réponse aux préoccupations d’une partie des membres du Parlement européen sur le risque que ces accords puissent cautionner des violations des droits de l’homme dans les pays d’origine, la commissaire désignée a garanti que le respect des valeurs européennes, en particulier des droits humains, resterait une priorité centrale dans ces partenariats.

Sur le conflit israélo-palestinien, la commissaire croate aura fort à faire pour appuyer Kaja Kallas dans l’élaboration d’une nouvelle “Stratégie européenne pour le Moyen-Orient” avec en ligne de mire une proposition de paix durable au Proche-Orient. De façon plus concrète, Dubravka Šuica a pour mission de préparer un “Plan de reconstruction pour Gaza” qui ferait partie du “ Programme de soutien pluriannuel pour l’Autorité palestinienne” dont il reste encore tout à négocier. Par ailleurs, la Commission européenne entend retravailler sa communication à destination du voisinage sud pour promouvoir l’action européenne dans la région et contrer les narratifs anti-européens. En attendant plus de précisions, ce “plan de communication stratégique” pourrait être une stratégie plus globale de lutte contre les discours anti-européens propagés en Afrique par la Chine ou la Russie, via son groupe paramilitaire Wagner affilié à Moscou.

Enfin s’agissant de la démographie, fort de ses cinq années d’expérience sur le sujet, Dubravka Šuica prévoit la mise en œuvre d’une « boîte à outils pour la démographie » pour aider nombre d’Etats membres qui voient leur population diminuer et dont la tendance n’est pas propice à s’inverser. Cela concerne notamment sept États membres d’Europe centrale et orientale qui ont vu leur population diminuer entre 2022 et 2023, selon Toute l’Europe. Dans ses réponses écrites aux parlementaires européens, elle précise que “la boîte à outils vise à mieux concilier les aspirations familiales et le travail rémunéré, à permettre aux générations plus jeunes et plus âgées de s’épanouir et, le cas échéant, à contribuer à combler les pénuries de main-d’œuvre par l’immigration légale.” Cette boîte à outil semble donc se conjuguer à l’un de ses autres objectifs, avec celui de la commissaire roumaine aux Compétences Roxana Mînzatu, qui est d’améliorer la représentation des jeunes, des femmes et des seniors sur le marché de l’emploi. Car pour la Croate, la démographie et le renouvellement de la population sur le marché du travail sont intimement liés : “les taux d’activité, en particulier ceux des femmes et des travailleurs âgés, peuvent partiellement compenser le déclin de la population en âge de travailler”.

Mais avant de pouvoir pleinement s’engager dans les missions de son prochain portefeuille, Dubravka Šuica doit passer par l’approbation de sa nomination par le Parlement européen. Elle a passé sans encombre, mardi 5 novembre, la traditionnelle audition des commissaires. Elle doit désormais attendre le vote en bloc du collège des commissaires par le Parlement européen, qui, en cas de vote favorable, viendra lancer le travail de la commission Von der Leyen II.

Cet article a été écrit dans le cadre d’une série de portraits sur les candidats aux postes de commissaires européens. Certains articles ont été rédigés avant les auditions.

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