En plus des 27 pays membres de l’UE, dix-sept autres États ont ainsi été conviés au lancement de la CPE, dont les candidats à l’Union européenne, des États partageant les règles du marché européen (Islande, Norvège, Suisse), et enfin le Royaume-Uni et la Turquie. Les premières observations de cette initiative sont partagées entre l’idée d’une structure innovante, permettant de fédérer dans la durée la Grande Europe face à la Russie, et les craintes de voir émerger un format miné par des pays aux intérêts divergents et contradictoires.
Un projet à l’instigation de la Présidence française du conseil de l’UE (PFUE)
L’idée d’un projet de la CPE avait été évoquée le 9 mai au Parlement européen de Strasbourg, jour de la conclusion de la Conférence sur l’avenir de l’Europe, vaste consultation citoyenne pour réfléchir à l’amélioration de l’UE. La France assurait alors la présidence tournante du Conseil de l’UE (de janvier à juin 2022). Dans son discours au Parlement, Emmanuel Macron voulait établir une Communauté permettant « aux nations européennes démocratiques adhérant à notre socle de valeurs de trouver un nouvel espace de coopération politique, de sécurité, de coopération en matière énergétique, de transport, d’investissements, d’infrastructures, de circulation des personnes et en particulier de nos jeunesses ».
La première rencontre de ce projet continental s’est donc déroulée début octobre à Prague, puisque la Tchéquie assure actuellement la Présidence tournante du Conseil de l’UE, dans la foulée de la PFUE qui s’est close en juin dernier. Les objectifs de cette première rencontre étaient de jauger les vues et ambitions des différents États parties, les discussions étant orientées autour de deux thèmes principaux : énergie et climat, paix et sécurité.
Pour intégrer la CPE, trois conditions devaient être réunies : D’abord, l’État-partie doit être un pays du continent européen. L’État-partie doit ensuite respecter pleinement le premier des « critères de Copenhague », adopté en 1993, qui garantit « la présence d’institutions stables garantissant la démocratie, l’état de droit, les droits de l’homme, le respect des minorités et leur protection ». Enfin, il sera impératif de ratifier la Charte européenne des droits fondamentaux (adoptée en 2000), qui exprime les valeurs communes de l’Union et engage le pays qui y adhère.
Consacrer un nouvel arrimage politique à l’UE
La CPE a un objectif initial : regrouper les États du continent européen - au sens large - partageant les valeurs de l’UE sans en être membre. Il s’agit donc de permettre la coopération entre les membres sur des thématiques aussi variées que l’énergie, la sécurité, les transports ou encore l’enseignement.
L’émergence de la CPE s’inscrit pleinement dans le cadre de la guerre en Ukraine, et de sa demande d’adhésion déposée le 28 février 2022, et ardemment motivée par une aspiration européenne. Cette initiative a nourri l’espoir de voir l’UE se doter d’un nouvel instrument pour soutenir le rapprochement avec les pays candidats. Ainsi, la CPE apparaît comme une étape politique intermédiaire, à mi-chemin entre les simples accords d’association et l’adhésion définitive, sans attendre que les pays candidats soient prêts à endosser le droit européen.
Ainsi donc, l’appartenance à la CPE peut apparaître comme une étape menant à terme à l’intégration dans l’UE, tandis que pour d’autres la CPE ne constitue qu’un forum de dialogue et de discussions au niveau européen. La présence de pays comme le Royaume-Uni, qui a quitté l’Union en 2020, ou encore de la Suisse, qui ne veut pas en faire partie, en sont des exemples saillants.
Un forum de stabilité sécuritaire contre la Russie ?
À l’évidence, l’invasion russe de l’Ukraine, aux portes de l’UE, a constitué un sérieux coup d’accélérateur à cette initiative. La photo officielle est ainsi perçue comme un message d’unité européenne face à Moscou - qui avait d’ailleurs envoyé des chars dans la capitale tchèque en 1968.
La plupart des pays présents sont déjà membres d’organisations internationales (UE, OTAN, Conseil de l’Europe et OSCE). Mais force est de constater que ces deux dernières organisations ont manifesté une véritable inefficacité dans leurs relations avec la Russie, qui en est ou était pourtant membre (la Russe a été exclue du Conseil de l’Europe le 16 mars 2022). Certains diplomates européens présents à Prague ont ainsi décrit la Communauté politique européenne (CPE) comme « l’OSCE sans la Russie ».
De son côté, le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, s’est félicité que ces Etats se retrouvent en vue de « voir comment construire une nouvelle structure de sécurité en Europe ». Une organisation devant se faire « sans la Russie, non pas parce que nous ne voulons pas que la Russie fasse partie de l’Europe, mais parce que la Russie de Poutine s’est mise elle-même en dehors de la communauté européenne », a t-il spécifié.
Éviter les incidents diplomatiques
Partout sur le Vieux Continent, les services du protocole se sont évertués à prendre toutes les pincettes nécessaires lors du premier sommet, devant accorder la plus haute importance au placement des chefs d’États sur la photo officielle finale, sans froisser les égos ni commettre d’impairs. Parmi les États invités, certains connaissent en effet des relations historiques tumultueuses, à l’image de la Turquie et la Grèce, l’Arménie et l’Azerbaïdjan, ou encore le Kosovo et la Serbie.
La rencontre à Prague a toutefois permis de lancer une conciliation entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, qui connaissent un conflit armé depuis 2020 dans le Haut-Karabagh, territoire sécessionniste à majorité arménienne. Une mission européenne est ainsi prévue et doit être envoyée en octobre pour une durée de deux mois aux frontières entre les deux pays, dans l’objectif notamment de contribuer à les délimiter et d’apaiser les tensions.
La présence de Recep Tayyip Erdogan a également suscité une des interrogations. Signe de son manque d’engouement, le Président turc n’a confirmé sa venue que cinq jours avant le début du Sommet. Plus globalement, on connaît les divergences de vues qui existent entre Erdogan et l’UE, à laquelle Ankara a déposé sa demande d’adhésion en 1987, au point mort depuis plusieurs années.
Le scepticisme de certains pays candidats à l’UE
À l’Est de l’Europe, comme en Ukraine, ou dans les Balkans occidentaux, l’annonce du projet de la CPE a suscité des craintes de voir naître une antichambre perpétuelle de l’UE pour les pays candidats à l’adhésion.
Promise depuis presque vingt ans, nombre de pays des Balkans occidentaux rêvent d’une adhésion à l’UE. Albanais, Serbes et Monténégrins doutent que la nouvelle structure de la CPE, dont est exclue la Russie, réponde réellement à leurs attentes. L’inquiétude naît de rester à la porte de l’UE pour une durée indéfinie, alors que l’horizon européen avait été promis aux pays de la région lors du Conseil européen de Thessalonique, le 21 juin 2003. Depuis, seules la Croatie et la Bulgarie sont devenues membres de l’Union.
Pour certains toutefois, la CPE doit apparaître comme une porte d’entrée permettant, à terme, l’intégration dans l’UE pour certains pays. Pourtant, la présence de pays comme la Turquie, le Royaume-Uni ou encore l’Azerbaïdjan perturbe cette perspective d’intégration, et laisse présager une Communauté “à la carte” selon les desiderata des États, animés par des intérêts opposés, des rivalités et un manque de volonté politique, préjudiciable à l’avenir de la CPE.
Toutefois, la CPE dispose d’un agenda, et donc peut-être d’une feuille de route : les 44 pays membres se sont de nouveau donnés rendez-vous au printemps 2023 en Moldavie. Les réunions suivantes ont lieu en Espagne, puis au Royaume-Uni, en vue d’établir une alternance entre Etats-membres de l’UE et pays non membres, qui augure une volonté d’harmonie au sein du concert européen.
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