Le Traité sur la charte de l’énergie : mais de quoi parle-t-on ?
Suite à la chute du bloc soviétique en 1989 marquant la fin de la guerre froide, les États européens cherchent à coopérer pour sécuriser leurs approvisionnements en énergie. En effet, le secteur de l’énergie fait part d’une demande croissante en Europe et les pays de l’ex-bloc soviétique disposent d’une grande disponibilité des ressources énergétiques. L’Union européenne signe donc en 1994 le Traité sur la charte de l’énergie suite aux compétences institutionnalisées de l’UE dans le domaine de l’énergie.
Les Etats membres de l’UE ont poursuivi le travail en faveur du secteur énergétique avec le vote du "3ème paquet énergie de 2009” lequel vise à renforcer l’intégration du marché intérieur et à stimuler la concurrence au bénéfice des consommateurs européens. Un dernier corpus législatif européen est entré en vigueur le 4 juillet 2019, celui du « Paquet Énergie Propre pour tous les Européens » dont la proposition a été discutée et débattue par la Commission européenne en novembre 2016.
Cette charte a pour but premier l’élimination des divisions politiques mais en vérité l’objectif majeur est celui de la protection des investisseurs de l’Union européenne dans le secteur de l’énergie. Par la signature de ce texte, les états souhaitent rassurer les investisseurs dans le domaine énergétique et inciter de façon pérenne, le financement des énergies. Concrètement, ce texte permet une ouverture à la concurrence plus importante au sein même de l’UE et donc limite les entraves à la libre concurrence du marché avec la garantie à des conditions stables et équitables pour les investisseurs.
Le Traité sur la charte de l’énergie : où en est-on ?
Actuellement, 53 Etats sont signataires du traité, l’Italie s’étant retirée en 2016. L’Espagne de son côté à fait savoir en octobre dernier, la volonté du Gouvernement de se retirer de cette charte. De même, la France, l’Allemagne et les Pays-Bas ont exprimé ces dernières semaines leur souhait de se retirer. Comment expliquer le souhait de retrait croissant des Etats signataires ?
Si l’on prend l’exemple de l’Espagne, c’est la voix des experts, militants écologistes et chercheurs qui a mis en exergue le danger que pouvait représenter ce traité pour le Green Deal européen. Il menacerait une transition vers l’utilisation des énergies renouvelables et l’objectif à horizon 2050 avec une Europe décarbonée. Ce traité est ainsi critiqué car il permet aux sociétés de saisir des tribunaux d’arbitrage lors de différends entre ces derniers et les Etats. L’arbitrage est un moyen de rendre justice sans passer devant les tribunaux d’Etats, de justice publique.
Les Pays-Bas se sont vu être intentés en justice par les entreprises RWE et Uniper, toutes deux multinationales allemandes présentes dans le secteur énergétique. RWE réclame la somme de plus d’un milliard d’euros à l’Etat néerlandais suite au vote d’une loi bannissant le charbon d’ici 2030. Ainsi, l’entreprise RWE estime qu’elle doit être dédommagée à hauteur de cette somme pour compenser ses pertes résultant de la centrale thermique qui sera fermée en 2030. L’Etat français fait aussi l’objet de poursuites en justice, l’entreprise allemande Encavis qui, à la suite de la modification des tarifs de rachat de l’électricité photovoltaïque en 2020, réclame une compensation auprès de la France. Il reste que l’Espagne est le pays européen ayant le nombre le plus élevé d’affaires en cours ou traitées par la justice concernant les revendications des investisseurs en vertu du TCE. L’Espagne compte environ une cinquantaine de plaintes d’investisseurs du secteur énergétique.
Ce point soulève un problème qui est celui de la lenteur avec laquelle l’Europe tend vers l’objectif 2050 de neutralité carbone. Puisque l’Espagne signe son retrait du traité, le Gouvernement espagnol en somme toute logique, doit pouvoir se défaire des exigences du traité et notamment des articles sur les procédures d’arbitrages. Or, la fin de l’application du traité est effective 20 ans après le retrait d’un Etat à ce dernier. Cette disposition perdure ainsi dans le temps et permet aux géants de l’énergie fossile de poursuivre les Etats en justice, ralentissant de fait la promotion des énergies renouvelables. Le traité n’encourage donc pas les Etats à s’investir dans la transition énergétique puisqu’ils sont constamment “menacés” par les exigences du Traité sur la charte de l’énergie.
La décision prise en octobre dernier par son Gouvernement du retrait de l’Espagne du traité sur la charte de l’énergie fait figure de proue pour la suite à donner au texte.
La charte fait en effet l’objet de travaux de modernisation afin d’adapter le texte aux enjeux environnementaux. Les discussions de modifications de la charte ont débuté il y a quatre ans et ont pris du retard, cela en raison de la pression de la population dans certains États signataires, notamment en Espagne, qui s’est ainsi abstenue lors du vote au Conseil de l’Union Européenne du vendredi 18 novembre. Mardi dernier, la Commission européenne devait statuer sur l’adoption ou non du Traité modifié.
Le Traité modifié devait faire apparaître des dispositions telles que l’exclusion de la protection des investissements dans les énergies fossiles sur les territoires des Etats membres et investisseurs parties contractantes des contrats, pour ceux qui le souhaitent. Une clause qui permettrait de réduire les délais et les coûts liés aux contentieux irrecevables ou classés abusifs.
La prochaine étape : un retrait conjoint et d’un seul bloc de l’UE ?
C’est ce qu’espère l’eurodéputée du groupe Renew Marie-Pierre Vedrenne qui milite en faveur de la sortie en bloc de l’UE de ce Traité. Le mécanisme de règlement des différends qui est actuellement mis en place par la charte, n’est pas conforme au droit européen. Or, les tribunaux internationaux ne sont pas tenus de respecter ladite charte et son libre de prendre en compte ou non les dispositions. Plusieurs rapports d’experts (notamment celui du Haut Conseil pour le Climat) mettent en avant le fait que le Traité sur la charte de l’énergie dans sa forme modernisée n’est pas compatible avec l’intensité des efforts de réduction d’émissions nécessaires pour le secteur énergétique à l’horizon 2030.
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