L’Union Européenne : un remède contre la grippe A ?

, par Mathilde Marmier

L'Union Européenne : un remède contre la grippe A ?

La pandémie de grippe A occupe l’actualité depuis quelques mois déjà : nombre de cas, décès, progression géographique, traitement, vaccination sont autant de points que l’on évoque quotidiennement. A la mi-septembre, on estime à plus de 50 000 le nombre de cas de grippe A déclarés en Europe [1] avec, parmi eux, plus d’une centaine de cas mortels.

Mais au-delà du nombre de cas répertoriés sur le territoire européen, il convient d’admettre que l’Union Européenne est un acteur incontournable dans la gestion de cette pandémie. Et pour cause, en plus du travail de veille sanitaire effectué à l’échelle du continent, la commercialisation des vaccins sur son territoire est approuvée par une agence européenne.

Un outil européen pour suivre la libre circulation des virus

L’évolution de l’épidémie est suivie de près par le Centre Européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), instance européenne de veille sanitaire sur le modèle de l’Institut National de Veille Sanitaire en France. Néanmoins, le Centre ne se contente pas de faire la somme de données épidémiologiques nationales. Il émet également des conseils aux Etats pour la collecte de données, organise des échanges de bonnes pratiques et émet des recommandations pour le suivi et la maîtrise des maladies infectieuses. A cet effet, il travaille en étroite collaboration avec les instances nationales des 30 Etats qu’il représente, soit les 27 Etats membres de l’Union Européenne ainsi que la Norvège, le Liechtenstein et l’Islande [2].

L’objectif de ce Centre, mis en place en 2005, est d’apporter aux Etats, en plus de données sur l’avancée des épidémies sur leur propre territoire, des données comparables sur la situation des pays limitrophes. Un système de collecte des informations, TESSy The European Surveillance System, regroupe une multitude d’indicateurs traçant 49 maladies infectieuses dans les 30 pays. Cependant, bien que les indicateurs soient similaires pour l’ensemble des Etats, ceux-ci ne disposent pas de moyens identiques pour procéder au recueil des données et suivre au plus près les épidémies. Pour y remédier, le Centre Européen met à disposition de chacun des recommandations pour faciliter la collecte de certaines informations mais il persiste certaines insuffisances et une part d’hétérogénéité.

Dans son bulletin hebdomadaire relatant la situation de la pandémie de grippe A, l’ECDC estime à 52 000 le nombre de cas déclarés dans l’Union Européenne depuis le début de l’épidémie mais il semblerait qu’il soit sous-estimé, du fait que de nombreux professionnels aient arrêté le décompte face au nombre élevé de cas et que tous les Etats ne recueillent pas les données de façon identique.

Malgré ces imprécisions, les données épidémiologiques regroupées à l’échelle européenne tendent à établir une comparabilité entre les Etats, permettent des recommandations de santé publique harmonisées et un véritable suivi des épidémies au-delà des frontières des Etats, frontières dont on ne peut pas dire qu’elles constituent un sérieux obstacle pour les agents infectieux.

L’Europe du médicament : un bel exemple de l’intégration européenne...

Le recensement de l’ensemble des médicaments est effectif depuis 1964 à l’échelle européenne, date à partir de laquelle ont été édictées des normes dans la fabrication des molécules, permettant aux citoyens européens de ne pas craindre qu’un médicament commercialisé dans un Etat voisin présente des caractéristiques de qualité, de sécurité et d’efficacité différentes de celui qu’il se procurerait dans son propre Etat.

Désormais, l’Union Européenne intervient également dans la commercialisation des médicaments où elle occupe une place centrale. Avant d’être commercialisé, chaque médicament nécessite une autorisation de mise sur le marché (AMM) demandée par le laboratoire qui fabrique la molécule. L’AMM consiste à définir les indications médicales précises pour lesquelles la molécule est autorisée après étude scrupuleuse du dossier par l’autorité compétente. Cette AMM peut être délivrée par les agences nationales, la commercialisation étant alors autorisée uniquement au sein de l’Etat concerné, mais peut également l’être à l’échelle européenne et vaut, dans ce cas, pour l’ensemble des Etats simultanément, soit l’ensemble des pays de l’Union Européenne, la Norvège, le Liechtenstein et l’Islande. Sur le modèle de l’AFSSAPS en France, c’est l’Agence Européenne du Médicament- EMEA, créée en 1995- qui est en charge des questions d’AMM et de normes des médicaments à ce niveau.

Il existe deux procédures d’AMM au sein de l’EMEA. La procédure centralisée, consistant à examiner la demande d’AMM directement à l’échelle européenne, s’impose en tant qu’outil pour une harmonisation dans les règles de l’art. Elle s’oppose à la procédure de reconnaissance mutuelle qui étend des autorisations nationales à l’ensemble des Etats après concertation des experts concernés. Plus longue du fait qu’elle inclut l’inspection du dossier aux échelons national puis européen, cette dernière est également moins rigoureuse sur le plan des critères de qualité.

Dans la mesure du possible, les laboratoires cherchent à obtenir une AMM européenne puisqu’elle s’impose sur l’ensemble du territoire. La procédure centralisée est facultative pour les molécules courantes qui doivent présenter des caractéristiques novatrices majeures pour bénéficier d’un avis favorable de l’EMEA. En revanche, elle constitue un passage obligé pour l’ensemble des médicaments dérivés de la biotechnologie et autres hautes technologies, mais également pour les médicaments relatifs à certaines pathologies : SIDA, cancers, diabète, maladies neuro-dégénératives (sclérose en plaques, maladie de Parkinson …), auto-immunes et virales. C’est donc dans ce cadre qu’entrent vaccin et traitements contre la grippe A.

Par la suite, après leur mise en circulation, l’EMEA effectue un suivi permanent des molécules en coordonnant les actions d’inspection par l‘intermédiaire d’un réseau de pharmacovigilance présent dans l’ensemble des Etats membres, constitué notamment des agences nationales. Elle est également impliquée dans la surveillance des produits approuvés par les Etats. Dès lors, en cas d’évènements indésirables majeurs, elle peut exiger le retrait du marché d’un médicament.

Les avis émis par l’EMEA sont ensuite soumis sous forme de recommandation à la Commission Européenne qui vote et émet l’autorisation finale. Ainsi, le cadre législatif européen permet d’assurer un niveau minimal de garantie quant à la qualité, la sécurité et l’efficacité des molécules, il permet également une surveillance étroite des risques afférents aux médicaments.

Sur le plan administratif, l’échelon européen simplifie les démarches de façon notable puisque les laboratoires ne déposent leur demande qu’auprès d’une agence dont la décision s’applique ensuite à l’ensemble des Etats concernés. La procédure centralisée favorise également la transparence en passant outre les pratiques opaques de certains Etats. Elle permet aussi, par la réunion des experts de chaque Etat, une plus grande exigence de qualité dans la délivrance des AMM, effectuée sur la base de procédures requérant des résultats d’essais cliniques respectant un cahier des charges précis. A titre de comparaison, la Chine a autorisé depuis quelques semaines la commercialisation de vaccins sur son territoire. En Europe, un vaccin doit protéger au moins 70% de la population pour obtenir une AMM. Or, selon des experts français, il est probable que la Chine ait autorisé la commercialisation de molécules ne respectant pas les critères d’exigences requis en Europe, et ce pour tenter d’endiguer l’épidémie au plus vite.

… qui permet à tous les citoyens européens de bénéficier dans les meilleurs délais d’un vaccin de même qualité

Du fait de la nature virale de la grippe, le traitement de cette pathologie, incluant vaccin et médicaments antiviraux, requiert nécessairement une AMM délivrée par la Commission Européenne à l’issue d’une procédure centralisée. Suite aux recommandations de l’OMS, les procédures d’homologation ont été accélérées afin de rendre un vaccin disponible au plus vite.

Il ne s’agit pas de négliger les étapes de qualité ni de sacrifier la santé sur l’autel du libéralisme contrairement à ce que l’on peut entendre ça et là. Et pour cause, seules les procédures administratives ont été modifiées. Dans le cas du vaccin contre la grippe A, l’EMEA a pris la décision d’enclencher une procédure continue, c’est-à-dire d’examiner les données des essais cliniques au fur et à mesure de leur disponibilité, alors qu’elles sont habituellement inspectées au terme des essais cliniques, une fois l’ensemble des résultats réunis par le laboratoire producteur. De fait, la procédure se voit accélérée sans revenir sur les critères de qualité des expérimentations pour autant.

En réalité il existe actuellement deux situations pour les demandes d’AMM du vaccin contre la grippe A en Europe. Certains laboratoires, comme GlaxoSmithKline, Baxter ou Novartis, disposent depuis 2005 d’une AMM « prototype » contre le virus H5N1 de la grippe aviaire, c’est-à-dire une AMM pour une partie de la molécule avec changement de souche possible. C’est ce même processus qui est utilisé chaque année pour la grippe saisonnière, le virus mutant régulièrement, un nouveau vaccin se révèle nécessaire chaque année pour s’adapter à la nouvelle souche. Celui-ci ne nécessite alors qu’une variation de l’AMM. Ici, pour l’élaboration d’un vaccin contre la grippe A, il s’agit de modifier la souche virale de la grippe aviaire –H5N1- pour passer à celle de la grippe A - H1N1. De ce fait, la partie « sécurité » de l’évaluation n’est pas à refaire pour les laboratoires ayant l’AMM « prototype ». [3]

En effet, selon l’EMEA, « l’insertion d’une nouvelle souche dans un vaccin n’affecte pas de manière tangible la sécurité ou le niveau de protection ». A ce titre, les trois laboratoires viennent tout juste de se voir délivrer l’AMM pour le vaccin contre la grippe A. Quant à ceux qui ne disposent pas de l’AMM « prototype », comme Sanofi-Pasteur, il leur faut déposer une demande d’AMM standard, plus longue.

Pour les laboratoires qui n’auraient pas obtenu cette AMM, comme Sanofi-Pasteur, il faut déposer une demande d’AMM standard, plus longue. Dès lors, tous n’auront pas les autorisations au même moment. Dans le même temps, l’agence européenne a étendu l’AMM en émettant un avis favorable à la consommation de médicaments antiviraux –notamment le Tamiflu- pour certains groupes à risques, à savoir les enfants de moins de 1 an et les femmes enceintes, en cas de niveau 6 de la pandémie déclaré par l’OMS.

En résumé, le Centre Européen de Prévention et de Contrôle des Maladies se charge du suivi de l’épidémie, de la collaboration avec les instances internationales et des recommandations dans les politiques de santé publique. Ainsi, la Commission Européenne vient tout juste d’adopter une stratégie pour la gestion des impacts économiques et sociaux de la pandémie, et, à la demande des Ministres de la Santé, 5 documents concernant la stratégie de vaccination, les marchés publics conjoints, les procédures règlementaires, l’information à la population et l’aide aux pays tiers. Cependant, en Europe, c’est de chaque Etat que dépendent les recommandations de traitement et de vaccination ainsi que la disponibilité des vaccins.

Ainsi, tous les citoyens n’auront pas nécessairement à disposition les mêmes traitements dans les mêmes conditions mais en allégeant les contraintes administratives et en procédant à une inspection unique des résultats, l’EMEA permet à l’ensemble des Etats de l’Union de disposer simultanément du même droit de commercialisation, et ce en maintenant des critères de qualité, de sécurité et d’efficacité des molécules élevés. La maîtrise des épidémies ne peut guère se passer de l’échelon européen aujourd’hui. C’est plutôt rassurant, car les virus n’ont pas attendu la construction de l’Europe pour circuler librement.

Illustration : femmes portant un masque

Source : Flickr

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Notes

[1Ce chiffre comprend les cas répertoriés dans les Etats membres de l’Union Européenne ainsi qu’en Norvège, au Liechtenstein, et en Islande qui sont les 3 Etats membres à la fois de l’Association Européenne de Libre Echange (AELE) et de l’Espace Economique Européen (EEE)

[2Il s’agit des 3 Etats membres à la fois de l’Association Européenne de Libre Echange (AELE) et de l’Espace Economique Européen (EEE)

Vos commentaires
  • Le 8 octobre 2009 à 06:02, par Martina Latina En réponse à : L’Union Européenne : un remède contre la grippe A ?

    Merci pour cet article ; l’échelle européenne est certes la bonne pour lutter contre les épidémies sur notre continent,

    mais n’oublions pas qu’elle doit aussi favoriser l’amélioration et l’harmonisation de nos divers systèmes de protection tant sociale que médicale, si nous voulons qu’elle garde avec la santé l’ouverture dont la Phénicienne Europe l’a dotée dès l’origine dans son nom comme dans ses dons : des moyens de communication spatiale, écrite et d’emblée démocratique.

  • Le 9 octobre 2009 à 15:13, par pierre-franck herbinet En réponse à : L’Union Européenne : un remède contre la grippe A ?

    Je félicite Mathilde pour cet article instructif. Une fois encore, nous remarquons que seule l’intégration européenne apporte des réponses efficaces, à condition que les politiques des uns et des autres soient coordonnées. François BAYROU estime que la santé est un « bien supérieur". Les services publics d’intérêt général (santé, éducation, culture) doivent faire l’objet de mesures de protection spécifiques pour garantir l’égalité des chances et des droits. C’est pourquoi nous militons pour une plus grande intégration européenne.

    A mon "modeste" niveau, j’ai appris par le biais du « British Medical Journal », que des chercheurs mexicains déclarent que les vaccins contre la grippe saisonnière pourraient offrir une protection relative contre la grippe A (H1N1). Ces scientifiques ont observé une probabilité nettement moins élevée de contracter la grippe A ou d’y succomber chez les personnes déjà vaccinées contre la grippe saisonnière, par rapport à celles n’ayant pas été vaccinées du tout.

    Nous, L’Europe.

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