La Russie est présentée, en Europe mais aussi de façon générale en Occident, comme cette puissance revancharde, expansionniste et autoritaire [1], qui oscille entre « progrès » en termes de démocratie ; et un « retour en arrière ». Pire, la Russie tenterait de « ressusciter l’Union soviétique ».
Cette vision, néanmoins, n’a pour seuls fondements que les schémas mentaux occidentaux hérités de la guerre froide et de la manière dont celle-ci s’est terminée. Ceux-ci sont, depuis longtemps, obsolètes : prétendre que Vladimir Poutine cherche un retour à l’URSS est absurde, au même titre que ceux qui accusent Angela Merkel de vouloir imposer une domination allemande sur l’UE. Au cœur du problème est l’incompréhension occidentale à l’égard de la Russie, de ses intérêts et de ses protestations. Ainsi, lorsque Poutine affirme en 2014 que la Russie a été « pillée » [2] par l’Occident, peut-être faut-il l’écouter et tenter de comprendre ce qui le pousse à cette affirmation.
Deux visions du monde
Pour comprendre, il faut revenir – au minimum – à la fin de la guerre froide. Célébrée en Occident comme une victoire, et pour certains, comme la « fin de l’histoire » [3], elle fut comprise comme une défaite soviétique. Ainsi, la Russie affaiblie politiquement, économiquement, militairement, et surtout idéologiquement, n’était plus en mesure de s’opposer à cet Occident victorieux. Surtout, les valeurs européennes de démocratie, d’Etat de droit, et de droits de l’homme, étaient désormais libres de s’étendre à tous les peuples, avec en tête l’hypothèse que tous sans exception seraient ravis de se libérer de leurs oppresseurs autoritaires pour enfin adopter notre modèle [4]. Sur le continent, cela s’est traduit par l’élargissement continu de l’OTAN et de l’Union européenne, perçu comme un élargissement d’une zone de paix et de démocratie, bénéfique pour tous. Et en effet, une Russie initialement enthousiaste a accepté ces valeurs, notamment en adhérant à la Convention Européenne des Droits de l’Homme en 1996, rejoignant ainsi le Conseil de l’Europe.
Mais en Russie, l’histoire a été écrite différemment. Car si la guerre froide s’est terminée sans combats, c’est bien aussi grâce à la politique de Mikhaïl Gorbatchev. Et surtout, si la guerre thermonucléaire a été évitée, n’est-ce pas une victoire pour tout le monde, Russes inclus ? Pourquoi la Russie, grande puissance millénaire, se retrouverait-elle soudainement ignorée, comme au Kosovo, en Irak ou en Libye ? Comme sur l’élargissement de l’OTAN, structure historiquement antirusse, jusqu’aux frontières russes [5], ainsi que sur son bouclier anti-missile, placé en Europe de l’Est ? Pire encore, c’est tout le système international qui s’est trouvé chamboulé : les interventions « humanitaires », aux buts réels perçus comme pragmatiques, se sont multipliées au détriment de la norme la plus fondamentale du système international – inscrite dans la Charte des Nations Unies (article 2) – la souveraineté impliquant la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un pays. Du point de vue russe, rien de ceci n’a été décidé de façon commune [6], à l’image de la conférence de Yalta, et les Occidentaux utilisent cyniquement le droit international – et leurs valeurs prétendument universelles [7] – pour avancer leur sphère d’influence [8]. Ce qui explique l’agacement de la Russie face aux « révolutions de couleurs » [9], aux interventions non sanctionnées par l’ONU, et aux critiques constantes des Occidentaux sur le régime de Poutine, les élections qui s’y tiennent, en bref, la diabolisation constante de la Russie par les dirigeants, les médias, les hommes politiques de l’Ouest [10]. Ceci explique également le désenchantement croissant de Moscou pour les valeurs auxquelles la Russie est tenue et l’isolement progressif de la Russie par rapport à ses partenaires européens.
Une Russie humiliée
En critiquant ainsi Moscou, en lui refusant sa légitimité dans le concert des grandes puissances, et en opposant la Russie à l’Europe, c’est l’identité même du pays qui lui est reniée [11]. Une identité certes unique, mais faisant partie de l’Europe et de sa diversité. Des idées, normes et valeurs parfois différentes, mais en aucun cas inférieures aux nôtres. Certains en Russie regrettent que l’occasion ait été manquée en 1991 de refonder l’Europe non pas autour de Bruxelles, mais autour de plusieurs pôles égaux : une Europe de Lisbonne à Vladivostok. La réaction russe, une fois l’économie repartie grâce aux cours du pétrole et du gaz, est compréhensible : une défense de ce qui lui reste de zone d’influence, des tentatives de contrebalancer l’hégémonie occidentale, mais aussi pour Poutine, le besoin de protéger son régime contre des probables tentatives occidentales de le renverser – voire de le tuer, à l’image du colonel Kadhafi – et contre les valeurs européennes, perçues comme un instrument de Realpolitik.
Si la Russie est allée trop loin en modifiant les frontières nationales, il faut donc garder en tête que les pays occidentaux ne sont pas tout blanc – en bombardant la Serbie et en reconnaissant l’indépendance du Kosovo. L’escalade verbale, mais aussi politique, sous forme de sanctions, ne mènera nulle part. Après tout, les Russes ont connu pire que des sanctions économiques. Il faut, aujourd’hui, un nouveau Yalta : un accord entre Européens et Russes sur la sécurité du continent et du monde. Car sans la Russie, l’Europe ne règlera pas les problèmes auxquels elle fait face – du terrorisme à l’environnement en passant par la question syrienne et les trafics de drogue. Il faut donc accueillir la Russie dans une structure pan-européenne – une OSCE renforcée, par exemple – en tant que partenaires à part entière. Ou la réintégrer dans les cercles de décision du Conseil de l’Europe. Tout en intensifiant les échanges entre nos sociétés civiles, par exemple en abolissant enfin les visas, en renforçant le partenariat Erasmus Mundus, et en cessant de diaboliser la Russie et son régime, aussi imparfait soit-il. C’est seulement ainsi que la Russie retrouvera sa confiance en l’Europe et en ses valeurs, et c’est seulement ainsi qu’elle acceptera d’honorer les engagements qu’elle a pris vis-à-vis de celles-ci.
1. Le 10 août 2016 à 10:52, par Bernard Giroud En réponse à : L’Union européenne et la Russie, le nécessaire reset
Au bout de l’extrémité ouest du plus grand continent du monde, il a donc cette myriade de "peuples" différents, du Portugal à la Russie.
Cet ensemble rendu finalement assez cohérent par le pouvoir de l’ancien empire romain, et surtout par l’expansion de tout cet état d’esprit, de toute cette culture spirituelle, élaborée, murie, dans les tréfonds du sud méditerranéen, pendant des siècles voir des millénaires, cette culture , cette empreinte, c’est la marque de nos pays du nord de la méditerranée.
Nous en connaissons bien l’essentiel ; Ce que nous avons le plus mal à reconnaitre, c’est la façon dont concrètement nous pouvons, nous devons l’appliquer. Il s’agit de reconnaitre que, à quelques »virgules »près, sans qu’aucun de nous ne soit exactement semblable, nous avons tous la même image, la même référence, a peu près la même valeur et les mêmes besoins ;
En somme nous devrions reconnaitre que les bonnes règles que nous nous appliquons pour notre confort et celui de nos enfants, sont aussi valables pour notre prochain, et par extension nos pays proches.
Plus vite dit que fait.
Les tours d’ivoire, les mauvais exemples, les prés carrés des langues maternelles sont là, comme autant de verrous, autant de frontières, pour nous permettre, un peu paresseusement, il faut bien le dire, de nous créer, une sorte de sanctuaire, parfois une forteresse exceptionnelle, qui nous éviterait l’effort de glisser un œil au dessus de ses murs , pour ronronner doucement au beau soleil d’un égoïste nid douillet parfois trop généreux.
C’est oublier l’esprit même de nos bases, cet optimisme spirituel, cet esprit qui enclenche le moteur : l’espérance de trouver la sécurité, l’aboutissement, le « toujours » des temps, des mondes meilleurs.
Peu importe les formes dont l’idée de base de toute cette culture spirituelle, s’est inscrite dans notre vie journalière sous nos climats un peu différents, il nous faut en tirer partout l’essentiel, et bien reconnaitre que, d’un bout à l’autre de nos pays, d’un bout à l’autre de nos continents, cette chance que nous avons : Avoir pu développer une idée avancée d’optimisme de la vie,( contrairement à la thèse inverse, la désespérance, donc la disparition) , cette chance construite avec les millénaires, nous ne devons pas la gaspiller, mais mieux la comprendre et continuer à l’élaborer, ne pas oublier que le bonheur pour avoir du gout, se mérite, et qu’il peut ne pas toujours durer.
Elle nous permettra d’aller là ou nous devons aller, avec les meilleures chances de réussir au plutôt, là ou beaucoup ont encore bien de la peine à croire qu’il puisse y avoir un port.
C’est là le message le plus avancé de l’Europe des civilisés.
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