L’Occitanie à Bruxelles
Rond-point Schuman. C’est sur cet emplacement stratégique, au cœur du quartier européen de Bruxelles que la région Occitanie a installé en 2015 suite à la fusion des anciennes régions Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon sa représentation régionale. Vaisseau amiral de l’action européenne et internationale de la région, Occitanie Europe symbolise le renouveau des ambitions régionales sur la scène européenne avec comme devise : informer – représenter – appuyer – coopérer. Représentant la Région et 24 de ses collectivités adhérentes, Occitanie Europe agit comme les représentations des autres régions françaises c’est-à -dire en qualité de lobby régional au cœur des institutions européennes. Cela n’avait pourtant rien d’une évidence tant la fusion entre Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées fut difficile au niveau européen avec des pratiques et des rapports différents à l’Europe. La défunte région Languedoc-Roussillon fut la dernière région française à ouvrir une représentation à Bruxelles quand Midi-Pyrénées occupait déjà l’espace européen depuis longtemps, forte d’un secteur aérospatial qui avait déjà européanisé son fonctionnement. La fusion des régions a ainsi permis d’uniformiser les pratiques et de donner une voix à Bruxelles à une région dont l’identité occitane et catalane correspond à une réalité historique et culturelle, certes souvent méconnue mais tangible.
Au Comité des Régions et au Parlement européen, la voix de l’Occitanie a cependant toujours portée, forte de son puissant secteur agricole, ses représentants souvent issus de la ruralité ont su se mobiliser avec force à Bruxelles où se décide la Politique agricole commune. D’abord pour s’opposer aux normes européennes qui imposaient aux vins de tables de piètre qualité du vignoble languedocien des standards et des critères minimums et qui ouvraient leur secteur à la concurrence européenne et mondiale, ensuite, pour réclamer un verdissement de la PAC et une transition agro-écologique comme en témoigne l’action du député européen Éric Andrieu, particulièrement engagé sur le sujet durant ses deux mandats.
Du Midi Rouge au Midi Brun : l’Europe contestée
L’histoire européenne de l’Occitanie est caractéristique de son identité, même contemporaine, région ouverte et frontalière, on connaît bien sûr l’histoire de la Retirada et l’arrivée d’un demi millions d’immigrés espagnols principalement dans les camps de concentration du littoral languedocien ; on se souvient aussi des centaines de milliers d’immigrés Italiens, ouvriers agricoles des campagnes occitanes, ouvriers massacrés des salins d’Aigues-Mortes, pêcheurs de Sète et d’Agde ; on a aussi la mémoire des dizaines de milliers de Portugais, travailleurs manuels et ouvriers, particulièrement présents en Lozère et en Aveyron. On oublie cependant souvent, les Polonais, les Roumains, les Bulgares, les Albanais, les Serbes dont l’immigration de travail constitue la réalité actuelle mais surtout les Britanniques, les Allemands et les Néerlandais, qui constituent à eux trois, les premières communautés d’étrangers européens vivant en Occitanie.
De cette histoire récente du peuplement de l’Occitanie, on retient des épisodes et des réalités particulièrement marquées : Toulouse a été la capitale de la République espagnole en exil, Sète est aujourd’hui la plus italienne des villes de France, Perpignan accueille une ambassade de la Catalogne, représentation diplomatique d’un Etat qui n’existe pas, Béziers et Agde cultivent l’identité grecque de leurs antiques fondations quand les Britanniques et les Néerlandais font aujourd’hui revivre de nombreux charmants villages occitans victimes de l’exode rural. Cette européanité continue et profonde de l’Occitanie témoigne cependant d’un paradoxe profond. Si l’histoire et la culture occitane ont toujours été liées à l’histoire méditerranéenne et du sud-ouest européen, elle n’a que peu conscience de celle-ci. La faute à un traumatisme du centralisme qui fut imposé dans la violence dès les premiers jours de l’annexion française puis par Paris sans discontinuer depuis la naissance de la IIIe République et enfin, à une peur de la mondialisation et de la disparition d’une culture et d’une identité considérée, paradoxalement, comme un monolithe par de trop nombreuses élites locales. Il en a résulté un rejet fort de la construction européenne et un sentiment d’appartenance européen très limité.
L’Occitanie fut connue durant des décennies comme le Midi Rouge, terre révoltée où les socialistes, les radicaux et les communistes réalisaient leurs scores les plus importants. Agricole et industrielle, l’Occitanie a très vite concentré un important mouvement ouvrier dont Jean Jaurès, tarnais et occitanophone de naissance, constitue sans doute la représentation la plus forte et la plus belle. Les mineurs de Carmaux, la révolte des vignerons du Languedoc de 1907, la mutinerie du 17ème, la coopérative de Maraussan en sont autant de symboles forts, violents et magnifiques d’une région « rouge » jamais soumise et qui s’est construite en opposition à un pouvoir central. En effet, l’assimilation forcée à la IIIe République jacobine a mis à mal les cadres sociaux et culturels de l’Occitanie, résultant aujourd’hui concrètement dans la quasi-disparition en l’espace d’un demi-siècle de la langue occitane pourtant parlée comme langue maternelle par toute la population jusqu’au premier conflit mondial et qui joua dans le sang, un rôle de « francisation » accéléré de la jeunesse occitane. Il en a résulté un rejet de l’autorité centralisatrice, rejet qui s’exprimera dès les lendemains de la Seconde Guerre Mondiale lorsque le Languedoc et une partie de la Provence deviennent le « Midi Rouge ». C’est ainsi qu’en 1960, Nikita Khrouchtchev passe deux journées entières en visite officielle à Marseille et à Nîmes, louant les politiques locales menées et est largement salué par la foule venue en nombre.
D’un « Midi Rouge », l’Occitanie est passée à un « Midi Brun », les bastions socialistes, communistes et radicaux s’étant effondrés les uns après les autres : Beaucaire, Béziers et Perpignan d’abord, qui au début des années 2010 rongés par la pauvreté, le chômage, la corruption et le clientélisme basculent à l’extrême-droite de l’échiquier politique, aidés par un vote « pied-noir » sensible aux théories et idées racistes de l’extrême-droite. Suivront l’essentiel des circonscriptions du littoral languedocien lors des dernières élections législatives, résultats largement confirmés par les dernières élections européennes où l’extrême-droite a totalisé près de 40% des suffrages exprimés, avec une gauche socialiste en seconde position avec un score certes plus élevé que le résultat national mais loin, très loin derrière le Rassemblement National et Reconquête (15,51%). Alors, si l’exception des élections régionales demeure, Carole Delga (PS) a été la Présidente de Conseil Régional, la mieux réélue de France (57,77%), un paradoxe persiste, celui d’une Région ouverte sur le monde mais dans les urnes, profondément eurosceptique. L’Occitanie a voté contre le traité de Maastricht en 1992 et contre la proposition d’un traité établissant une constitution pour l’Europe en 2005. Cependant, plus qu’un rejet de l’Europe, ce vote témoigne d’une région profondément contestataire du pouvoir central. Et cette opposition fut souvent violente. Le 4 mars 1976, à Montredon-des-Corbières, près de Narbonne, ce sont un CRS et un vigneron qui sont tués lors d’une fusillade durant une manifestation face à la concurrence étrangère et au libre-marché européen. Cette histoire contestataire, révoltée, tantôt « rouge » tantôt « brune » trouve sa source dans l’esprit de résistance de l’Occitanie bien plus que dans une opposition ferme à l’Europe et à son projet.
Une Occitanie qui s’européanise
Les politiques européennes actuelles de l’Occitanie témoignent d’une région qui porte désormais un regard ambitieux sur sa place en Europe et sur sa capacité à utiliser Bruxelles pour son développement. D’abord contestataire, au mieux indifférente, l’Occitanie et ses dirigeants politiques ont peu à peu trouvé dans l’Europe, un moyen de se développer et de se faire entendre. La fusion des anciennes régions Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées a donné à l’Occitanie une dimension de région européenne.
En 2021, le lancement d’une grande consultation sur la Stratégie européenne et internationale de la Région a permis de définir un cap clair co-construit avec les citoyens et les acteurs de la société civile sur la trajectoire européenne et internationale de la Région de 2022 à 2028. Il en a résulté un ensemble de valeurs et de principes ainsi que des grands axes stratégiques : une région à énergie positive, créatrice et innovante en Europe et dans le monde et une région attractive et rayonnante. De ces grands ensembles thématiques se dégagent plusieurs axes d’actions : l’égalité femmes-hommes, l’humanisme et la solidarité internationale, le développement durable et la recherche et l’innovation au service des grandes transitions et des citoyens.
A cette stratégie sont associés plusieurs régions européennes : la Catalogne, l’Aragon et les Baléares bien sûr, régions espagnoles avec lesquelles les liens historiques, culturelles et économiques sont extrêmement étroits, la Saxe et Hambourg en Allemagne avec qui les ressemblances économiques et sociales permettent de dresser des desseins communs pour des problématiques semblables. A l’international : les régions de Kyoto et Aichi au Japon, le Québec, la Palestine et en particulier le nord de la Cisjordanie, les régions de Fès, Casablanca et de L’Orientale au Maroc, la province du Lam-Dong au Vietnam et du Battambang au Cambodge constituent les partenaires de l’Occitanie. Et cette stratégie de création de partenariats européens et internationaux solides paye : en 2022, la balance commerciale de l’Occitanie est largement excédentaire avec un solde de 4,435 milliards d’euros porté par un navire amiral : l’aéronautique et le spatial, premier secteur d’exportation régional loin devant les produits agricoles et sylvicoles, l’électronique optique et les produits chimiques et cosmétiques. Premier partenaire commercial : l’Espagne suivi de l’Allemagne puis du Royaume-Uni et de la Chine.
Ces bons résultats économiques se combinent également à une influence renforcée de l’Occitanie sur la scène bruxelloise certes, mais également à travers une véritable stratégie méditerranéenne et sud-ouest européenne. Au travers de la participation à plusieurs programmes de coopérations territoriaux : INTERREG POCTEFA concernant les échanges et les projets transfrontaliers avec l’Espagne et Andorre ; INTERREG SUDOE sur la coopération entre l’Espagne, le Portugal et les régions Occitanie et Nouvelle-Aquitaine ainsi que à deux INTERREG à dimension méditerranéenne : INTERREG MED avec les régions bordant le nord du bassin méditerranéen et INTERREG Next MED avec l’ensemble des régions de la Méditerranée à l’exception des zones de guerre. Cette « diplomatie » méditerranéenne, l’Occitanie en a fait un axe essentiel de sa stratégie européenne et internationale : membre de la Conférence des Régions Périphériques Maritimes (CRPM) dont elle exerce la Vice-Présidence, particulièrement dynamique sur les problématiques d’accès à l’eau ainsi que sur l’aide humanitaire notamment à la Palestine, la région Occitanie, appuyée par la Catalogne et les Baléares au sein de l’Eurorégion Pyrénées-Méditerranée tâche de se faire une place sur l’échiquier diplomatique et commercial sud-européen.
Cette stratégie se retrouve également dans les priorités données aux fonds structurels gérés par la Région Occitanie, cette dernière, s’étant dotée d’un Green New Deal régional dans la continuité de l’adoption du Pacte Vert européen, a orienté deux de ses priorités vers la transition verte et énergétique avec un objectif affirmé : devenir la première région à énergie positive d’Europe d’ici 2050. Il en résulte un développement marqué de la Direction Europe et Action Internationale, soutenue par l’action des organisations partenaires stratégiques que sont Occitanie Europe, l’Eurorégion Pyrénées-Méditerranée et la Communauté de Travail des Pyrénées ainsi que l’Agence de développement économique de la Région Occitanie : Ad’Occ dont les actions combinées structurent l’action d’une Région qui s’européanise.
Plus européenne qu’elle ne le pense l’Occitanie dispose d’atouts de taille pour se faire une place au rang des régions européennes les plus dynamiques : deux métropoles dont une s’apprêtant à devenir la troisième ville de France, Toulouse ; trois ports de commerce : Sète, Port-Vendres et Port-la-Nouvelle qui doit devenir un hub de l’hydrogène vert en Europe ; un emplacement au carrefour de l’Europe du Sud-Ouest – l’autoroute A9 qui longe l’antique Via Domitia est l’une des plus denses d’Europe en terme de trafic routier – enfin, forte d’un terroir de renom et de qualité l’Occitanie est la région qui compte la plus grande surface viticole cultivée en AOP et en IGP. Un sacré retournement de situation pour une région qui, il y a moins de 50 ans, rejetait dans la violence, les normes commerciales trop strictes imposées par Bruxelles. Région touristique mais fortement engagée dans sa réindustrialisation, possédant un haut-potentiel dans le développement des énergies renouvelables, première région française pour l’investissement dans la recherche et l’innovation, l’Occitanie a toutes les armes pour devenir un « Grand d’Europe ». Sauf si, par peur, elle faisait le choix de se refermer sur elle-même, en confiant son avenir à l’extrême-droite. L’avenir nous dira si cette stratégie d’européanisation, ambitieuse mais fragile, portera ses fruits : celui d’un développement vertueux pour une Région humaniste, solidaire et innovante.
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