L’Italie va-t-elle faire échouer la relance politique de l’Europe ?

, par Florent Yann Lardic

L'Italie va-t-elle faire échouer la relance politique de l'Europe ?

« Che bordello », s’exclamait le quotidien Il Tempo au lendemain des élections italiennes du 4 mars. Après deux mois, l’accord de gouvernement conclu par les deux partis anti-européens italiens inquiète. Le projet de relance politique de l’Europe porté par Emmanuel Macron est-il compromis ?

Le suspens aura duré deux bons mois et ce sont les jaunes du Mouvement 5 étoiles (M5S, parti populiste inclassable fondé par l’ancien humoriste Beppe Grillo) et les verts de la Ligue (parti populiste anti-migrants, anciennement régionaliste) qui forment, ainsi qu’annoncé lundi 21 mai 2018, le nouveau gouvernement italien.

Un accord de gouvernement anti-européen

Les engagements les plus controversés concernent au premier chef la politique monétaire. Les deux chiffons rouges – la sortie de la zone euro et la demande d’annulation pure et simple de la dette publique - semblent avoir disparu de l’accord de gouvernement finalement signé. Le premier point a été remplacé par la révision « avec les partenaires européens, [du] cadre de la gouvernance économique ». Adoucie, la formule n’en signifie pas moins que l’Italie souhaite s’affranchir des engagements auxquels les Etats membres de la zone euro sont tenus, en particulier le respect de la limite des 3% de déficit public, que les derniers gouvernements de la Péninsule ont scrupuleusement observé. Le second point a, lui, été transformé en une demande de négociation de la dette (131% en 2017, la plus élevée de la zone euro derrière la Grèce) consistant à sortir la part détenue par l’Union européenne (mesure dite de quantitative easing) dans le calcul de celle-ci.

Au-delà de l’affranchissement des règles européennes, c’est un programme dur sur les affaires de migrations et de politique étrangère qui est proposé. L’accord propose dans une formule très politique « [d’]utiliser les fonds publics, aujourd’hui destinés aux politiques d’accueil, pour lancer immédiatement une stratégie de rapatriement » des 500.000 migrants irréguliers actuellement présents sur le sol italien.

En matière de politique étrangère, le regard porté vis-à-vis de la Russie interroge : le pays n’est plus considérée comme « une menace, mais comme un partenaire économique et commercial », impliquant pour Rome de « mettre un terme immédiat aux sanctions » qui la touchent. Sergio Matarella, le chef de l’Etat italien (qui ne joue comme en Allemagne qu’un rôle de garant de l’état de droit), aura fort à faire pour faire observer le respect des traités européens ainsi que sur l’ancrage de l’Italie au sein de l’OTAN. Enfin, sur les grands projets européens, les têtes d’affiche du nouveau gouvernement ont donné le ton dès le week-end de Pentecôte. Luigi di Maio (M5S) a annoncé crânement le blocage du chantier de la ligne ferroviaire devant relier Lyon à Turin (8,6 milliards d’euros), l’Etat italien étant pourtant engagé dans ce chantier transnational par contrat.

Ce scénario - le pire qui pouvait arriver aux yeux des pro-européens du continent - est-il de nature à mettre à bas les efforts d’Emmanuel Macron pour relancer l’Europe ? A la veille de sa désignation, le nouveau gouvernement n’entendait pas se faire dicter sa conduite par les capitales européennes. Bruno Le Maire, qui se disait inquiet pour la stabilité de la zone euro, en a été pour ses frais. Matteo Salvini a qualifié d’« inacceptables » les avertissements du ministre français de l’Economie.

Macron l’européen, victime collatérale du nouveau gouvernement italien ?

La désignation du gouvernement anti-européen en Italie tombe en effet au plus mauvais moment pour ceux qui rêvaient d’une relance européenne, dont le président français venait de dessiner les contours. En effet, réélue mais affaiblie par une coalition tatillonne, Angela Merkel était en passe de laisser le leadership européen à Emmanuel Macron. Fort de sa victoire nette aux élections, fort d’un oral réussi devant le Parlement européen en avril dernier, le chef de l’Etat était en train de pousser la Chancelière à choisir l’audace et l’Europe plutôt que de céder aux pressions comptables de ses ministres. Le pari était loin d’être gagné mais la bataille était engagée. A Aix-la-Chapelle, où il recevait le prix Charlemagne, le jeune président avait déclaré « ne soyons pas faibles ! ».

Las, le panache ne fait pas tout. Pour faire pencher la Chancelière, qui sait qu’aucune relance n’est possible sans elle, il faut également gagner un certain rapport de force. Alors que l’Europe du post-Brexit se dirige plutôt vers une Europe du moins disant, comme en témoignent les discussions sur le Cadre financier pluri-annuel, c’est d’un allié de poids dont le président de la République a besoin. Quel pays, suffisamment peuplé pour peser, peut faire pencher la chancelière allemande dans le sens de la relance ? L’Espagne ? Absente. La Pologne ? En dérive conservatrice. Pays fondateur, devenu plus rigoureux et donc moins passible d’être renvoyé par l’Allemagne, l’Italie était l’allié idéal.

C’était sans compter sur la surprise italienne. Union bancaire, favorisant la stabilité et la convergence dans la zone euro ? Création d’un programme européen qui soutienne financièrement les collectivités locales qui accueillent et intègrent les réfugiés ? Grand programme d’investissement et taxe carbone à l’échelle européenne pour être à la hauteur de l’accord de Paris sur le climat ? L’accord de gouvernement et les premières sorties des vainqueurs italiens s’avèrent être orthogonales avec les propositions mises sur la table par le président français à Strasbourg.

L’impact sur la relance politique de l’Europe

Quel sera l’impact du nouveau gouvernement sur le sort des propositions faites par Emmanuel Macron à l’Europe et à Angela Merkel ? Deux interprétations à ce stade sont possibles.

Soit l’éloignement de l’Italie concourt à isoler Emmanuel Macron dans le va-tout réformateur européen dans lequel il s’est engagé. Dans ces conditions, la pression des pays d’Europe du nord, défavorables à l’UE plus intégrée d’Emmanuel Macron, conjuguée à celle d’Olaf Scholf, son puissant ministre des Finances, conduira la Chancelière à adresser une fin de non-recevoir au président français.

Soit, à l’inverse, la tentation nationale italienne oblige Angela Merkel à se rallier au projet de l’Europe plus intégrée que promeut le président français. Après tout, n’est-ce pas l’absence de solidarité européenne face à l’afflux de réfugiés qui a conduit les Italiens à exprimer leur ras-le-bol ? Si la relance du projet européen est, après les élections italiennes, incertain, l’européanisation de la politique italienne, est, elle, une certitude.

L’Italie, triste témoin d’un espace politique européen qui s’unifie par ses opposants

Similaire en de très nombreux points au programme présenté par Marine Le Pen il y a un an, notoirement proche sur les sujets des migrations et sur l’Islam des dirigeants polonais et hongrois, cet accord montre un mouvement de fond : l’Europe s’unifie aujourd’hui plus par ses opposants que par ses soutiens. L’évolution de la Lega est la démonstration éclatante de ce mouvement. La Lega lombarda, devenue Lega Nord, était jusque dans les années 2000 un parti régionaliste partisan d’un chacun pour soi régional, au détriment du sud. Transformé en Lega et galvanisé par Matteo Salvini, le parti est devenu un parti populiste et xénophobe. Avec son discours anti-immigrés et anti-Islam, il est parvenu dans la dernière campagne à faire oublier son héritage anti-méridional. Pari réussi : en réalisant une spectaculaire percée dans le Mezzogiorno, Matteo Salvini a réussi à devenir une force politique nationale de premier plan. A ce jour, seul Emmanuel Macron semble être déterminé à ne pas laisser l’Europe politique se faire contre le projet européen.

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