L’hydrogène vert : le futur du secteur des transports ?

, par Samuel Touron

L'hydrogène vert : le futur du secteur des transports ?
L’Alstom LHB Coradia LINT, première rame hybride hydrogène-électrique à circuler sur un réseau ferré, ici en Allemagne. Source : Pixabay

Énergie d’avenir, l’hydrogène vert - lorsqu’il est produit sans émissions de CO2 - pourrait révolutionner le secteur des transports et l’économie des territoires. En rendant possible des transports décarbonés, l’hydrogène vert est un élément incontournable de la stratégie européenne pour atteindre les objectifs du Green New Deal. Mieux, certaines régions, comme l’Occitanie, en misant sur sa production et son utilisation pourraient bénéficier d’une réindustrialisation de certains de leurs territoires autour de cette filière résolument inscrite dans le XXIe siècle.

Qu’est-ce que l’hydrogène vert ? Il s’agit d’hydrogène produit, dans le cas, d’une production verte, par électrolyse (le procédé qui permet de transformer l’énergie électrique en énergie chimique) provenant d’énergies renouvelables. Plus concrètement, l’énergie électrique produite par des éoliennes, des panneaux solaires ou une centrale nucléaire est transformée par électrolyse en énergie chimique - en hydrogène - et stockée ensuite dans une pile à combustion servant à alimenter un train, un avion ou une voiture. L’hydrogène est dit vert lorsque l’électricité produite ante-conversion en énergie chimique est issue de filières renouvelables dont en France le nucléaire.

N’est pas une énergie verte qui veut

Aujourd’hui, la majorité de l’hydrogène produit en Europe n’est pas vert c’est-à-dire qu’il est produit avec de l’électricité issue d’énergies polluantes. On estime en 2015, que seulement 4% de l’hydrogène produit en Europe est dit « vert ». La question de l’hydrogène produit à partir d’énergie nucléaire fait toujours l’objet d’un débat passionné. La France, en grande productrice d’énergie nucléaire, milite et fait pression auprès des institutions européennes pour que l’hydrogène produit à partir du nucléaire soit considéré comme « vert ». Loin de l’avis de certains spécialistes, comme Bruno Chareyron, ingénieur en physique nucléaire et directeur du laboratoire Criirad, pour qui : « laisser croire que l’énergie nucléaire est propre est un mensonge ». Il pointe notamment le manque de connaissances dans le retraitement durable des déchets nucléaires, la pollution nécessaire à l’extraction de l’uranium dans les mines mais aussi à son retraitement (l’uranium utilisé dans les centrales nucléaires françaises est retraité à l’usine de Malvesi près de Narbonne, celle-ci a rejeté dans l’air près de 384.500 tonnes d’équivalent CO2 en 2007), ainsi que la pollution générée par la construction d’une centrale et son impact quasi-irrémédiable sur les écosystèmes locaux. Ainsi, savoir quel hydrogène est vert et lequel ne l’est pas est un débat en soi. Les plus prudents diront que seul l’hydrogène obtenu par énergie renouvelable est véritablement vert.

Il se pose ensuite la question du rapport « coût-opportunité ». En effet, la production d’hydrogène consomme beaucoup d’électricité. Or, cette électricité pourrait être directement injectée dans le réseau électrique et utilisée comme énergie, d’autant plus que la production d’hydrogène nécessite un procédé coûteux en énergie. Si le rendement de la production d’hydrogène est encore faible en comparaison de la débauche d’énergie nécessaire à sa production, la technologie de production de l’hydrogène n’en est encore qu’à ses débuts. En outre, le potentiel de cette énergie est jugé conséquent et est présenté comme l’un des futurs piliers de la transition écologique notamment grâce à ses capacités de stockage.

Quelle stratégie pour l’hydrogène vert européen ?

Afin d’encourager le développement des filières d’hydrogène vert, la Commission européenne a publié en juillet 2020 sa « stratégie pour l’hydrogène en vue d’une Europe neutre climatiquement ». Cette stratégie, ambitieuse, vise à déployer à grande échelle, d’ici à 2030, l’utilisation de l’hydrogène dans tous les secteurs « difficiles à décarboner », dont les transports font largement partie. Plusieurs objectifs stratégiques ont donc été définis afin de décarboner l’économie grâce à l’hydrogène : création d’une chaîne de valeur industrielle durable, stimulation de la demande d’hydrogène propre, mise en place d’un réseau logistique performant, détermination d’un cadre réglementaire précis, promotion de la recherche et de l’innovation, mise en place de coopérations transfrontalières, développement de financements européens spécifiques. De plus, le plan de relance européen, né de la crise sanitaire et économique, cible particulièrement les investissements liés à ces objectifs de création d’un hydrogène propre.

En 2020, également, dans la continuité du plan européen, la France a décidé avec son plan de relance étatique de consacrer deux milliards d’euros aux investissements en lien avec l’hydrogène vert d’ici à 2022 et sept milliards d’euros d’ici à 2030. Dans l’Union, les investissements cumulés pour le développement de la filière “hydrogène vert” devraient atteindre une fourchette comprise entre 180 et 470 milliards d’euros d’ici à 2050. Le secteur devrait représenter près d’un million d’emplois en 2050.

Réindustrialiser des territoires par l’hydrogène : l’Occitanie, un modèle ?

Certains territoires européens ont fait le choix de miser sur l’hydrogène vert afin de développer leur économie, de réaliser une transition écologique réussie et de devenir souverains sur le plan énergétique. C’est notamment le cas de la région Occitanie. Ambitionnant de devenir, d’ici à 2050, la première région à énergie positive d’Europe (c’est-à-dire une région qui exporte des énergies renouvelables une fois la demande finale totale en énergie garantie), celle-ci investit massivement dans les projets d’hydrogène vert.

En outre, 38% de la consommation énergétique régionale est le fait des transports, secteur le plus énergivore. La production d’hydrogène vert permettrait ainsi de garantir un approvisionnement stable et massif en énergie renouvelable pour alimenter les transports occitans. En 2024, l’Occitanie inaugurera le Technocampus Hydrogène à Toulouse réunissant des laboratoires du CNRS, de l’Université de Toulouse, le groupe Safran et Airbus afin de concrétiser les projets d’avions à hydrogène révolutionnant ainsi le secteur aérien. Les ports régionaux sont aussi transformés : celui de Port-la-Nouvelle accueillera fin 2023 une usine de production d’hydrogène vert d’envergure, l’énergie produite sera distribuée vers le port de Sète-Frontignan qui doit devenir un port à zéro émissions polluantes d’ici à 2030.

Aussi, la région Occitanie bénéficie de 40 milliards d’euros de financements de la Banque européenne d’investissement pour financer son projet « CorridorH2 » dont le coût total est estimé à 110 milliards d’euros. Celui-ci prévoit la mise en place d’un réseau de distribution d’hydrogène sur les axes de transports de la région Occitanie afin de décarboner le secteur des transports. Dans le domaine ferroviaire également, la région expérimente les premiers trains hybrides à hydrogène et électricité de France et d’Europe. Produits dans la région, à Tarbes, par le groupe Alstom, les trains Régiolis H2 devraient commencer à circuler d’ici à 2025. La mise en place de ces rames entraînera la suppression des dernières rames TER diesel représentant encore 61% des émissions de CO2 des TER régionaux. Les bus à hydrogène sont également en cours de production et d’expérimentation par le groupe Safran basé à Albi. Enfin, à Béziers, a été inauguré au mois de mai 2021, la première ligne pilote de production d’hydrogène vert par la société Genvia. En 2025, cette ligne-pilote devrait devenir l’une des premières giga-factory d’Europe de production d’hydrogène vert. Une chance exceptionnelle alors que le chômage chez les jeunes (15-25 ans) atteint 44% à Béziers.

La région Occitanie témoigne des potentialités immenses de l’hydrogène pour réindustrialiser durablement des territoires sinistrés et inscrire les économies régionales dans la transition écologique et les objectifs européens du Green New Deal. D’ici à 2025, grâce à un plan régional de 150 millions d’euros, aux partenariats publics-privés, aux financements étatiques et surtout européens, l’Occitanie sera en mesure de produire de l’hydrogène, de l’utiliser pour permettre la transition écologique de son territoire et de l’exporter pour s’assurer un développement économique stratégique et pérenne. Elle s’offre aussi lentement la pleine souveraineté énergétique. Un luxe, comme nous avons pu le constater lors de la récente crise sanitaire.

L’hydrogène vert n’est peut-être pas encore l’énergie miracle que l’on voudrait nous faire croire. Néanmoins, par des politiques rigoureuses et volontaristes, les régions européennes pourraient, en misant sur le progrès, la science, l’imagination et l’ambition entrer dans l’économie et l’industrie du XXIe siècle. Au XVIIe siècle, lorsque Denis Papin, un protestant français, découvre le piston à vapeur, personne en France, à cause de sa religion, ne lui donne sa chance. Contraint de s’exiler en Angleterre pour fuir les persécutions, son invention sera reprise par un savant anglais : Thomas Watt qui donne des applications pratiques à la machine à vapeur de Papin. Ce petit évènement fait naître la révolution industrielle au Royaume-Uni plutôt qu’en France, il en résulta une domination britannique sur le monde pendant plus de deux siècles. Que l’Europe en tire les leçons qui s’imposent, l’hydrogène est peut-être la machine à vapeur d’aujourd’hui !

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