L’Europe à vélo (6/8) : Roue libre en Europe centrale

, par Maxime Caillet

L'Europe à vélo (6/8) : Roue libre en Europe centrale
Carte itinérante du voyage à l’échelle européenne (épisode 6)

Pendant 7 mois, Maxime a parcouru les routes européennes sur son vélo suivant un itinéraire improvisé. L’équipage accélère et traverse huit pays pendant ce sixième épisode. Hippolyte, le dromadaire en peluche de Maxime, poursuit son récit et raconte ses impressions, ses surprises, ses plaisirs au cours de la Roumanie, la Hongrie, le nord de la Croatie, la Slovénie, l’Autriche, la Slovaquie, la République Tchèque et la Pologne.

Le pays des vampires très accueillants

Nous poursuivons une centaine de kilomètres en pleine campagne serbe. Avant de passer la frontière, la caravane tombe nez-à-nez face à un monument qui nous interpelle. En plein milieu de Žitište, ville de moins de 2 000 habitants, une statue nous fait de l’ombre : Rocky Balboa lève ses gants et défie le ciel. Imperturbables, nous poursuivons notre incursion en Europe de l’Est, dépassant la Vojvodine et entamant les derniers kilomètres vers la Roumanie.

Long de la Bega, frontière serbo-roumaine

Après une nuit offerte par un prêtre dans une chapelle isolée de toute activité, nous découvrons Timisoara. Immédiatement, son multiculturalisme nous frappe : Allemands, Hongrois, Serbes, Bulgares, Croates, Roms et Tchèques discutent dans les rues. Autrefois, la ville était la porte d’entrée du pays vers le bloc de l’ouest.

Dans les campagnes, l’hospitalité roumaine continue de nous étonner. Sortis des champs, de l’usine ou du bar, des hommes nous apostrophent en français, en anglais ou en allemand. Les discussions démarrent facilement, aidées probablement par la Tuica, une eau-de-vie maison à base de prune. Les rires résonnent rapidement, parfois sans même trouver de réelles explications. Le sérieux revient quelques centaines de kilomètres plus au nord. La caravane est dépassée par des blindés qui foncent vers la frontière ukrainienne. Nous mettons le cap vers l’ouest en direction de la Hongrie, comprenant que l’exploration de l’Est doit s’arrêter maintenant.

Crisana, Roumanie

Les secrets des Magyars

Nous retrouvons l’espace Schengen sans difficulté. Maxime décide de coucher la caravane pour passer sous une barrière fermée du poste frontière. Très rapidement, deux voitures de police nous forcent à l’arrêt. Maxime s’embourbe dans une explication difficile à entendre pour les agents de l’appareil d’Etat : « nous pédalons sans vraiment savoir où nous allons ». Le responsable d’équipe se frotte la moustache, Maxime comprend que la situation nécessite d’être plus convaincant : « Je me suis peut-être mal exprimé, nous rentrons directement en France en traversant l’Autriche et l’Allemagne ». Nous comprendrons que les tampons des frontières balkaniques sont sources de suspicion sur nos réelles motivations.

Dans les campagnes autour de Budapest, les Magyars nous expliquent les caractéristiques culturelles du pays et s’attachent à décrire un peuple guerrier, héritier d’Attila et des Huns, méfiant de son voisinage. Pour autant, le lac Balaton, côte d’Azur locale, et la capitale Budapest regorgent de touristes et proposent des activités surprenantes : tournée interminable des bars, tirs à l’armement lourd et promenade dans des chars d’assaut… Il ne manque plus que Jonathan Cohen et Manu Payet pour parfaire la comédie sur fond d’enterrement de vie de jeune garçon.

Budapest, Hongrie

La police continue d’harceler Maxime : en deux jours, il est contrôlé quatre fois. Le vélo serait -il devenu une source d’émancipation des foules..? Nous continuons notre chemin et aux abords de Zalaszántó, une signalisation pique ma curiosité. Je déchiffre Stupa et m’étonne : « le calme hongrois serait en fait une maîtrise bouddhiste de soi ? ». Maxime éclate de rire et me rappelle que la Hongrie est un pays rigoureusement chrétien. Il finit par être conquis par l’idée et nous décidons de remonter un raide chemin en pleine forêt. Plus tard, nous découvrons un lieu de méditation bouddhiste. On l’appelle le stupa de la paix, tout premier stupa d’Europe centrale, construit en 1992 et encore le plus haut à ce jour (30 mètres de haut et 24 mètres de large). Inauguré par le 14ème Dalaï Lama, l’édifice contiendrait des fragments d’os de Bouddha. Les moines acceptent que nous prolongions notre arrêt et établissions campement. Pendant toute la nuit, les bambous suspendus aux arbres se percutent, couvrant difficilement le hurlement des loups et le jappement des chiens de la vallée. L’hospitalité n’est pas toujours suffisante pour plonger au pays des rêves.

L’étranger dans le souvenir

Quelques soirs plus tard, nous sommes accueillis chez Janez et Doris. Après quelques bières et un copieux repas partagé, Janek explique à Maxime leur histoire. Janek est Serbe, Doris est Slovène, et leurs enfants vivent en Croatie ou aux Etats-Unis. Avant de changer radicalement de vie et de s’installer en Hongrie, lui était haut dignitaire dans l’armée serbe. Lorsque Maxime lui raconte notre parcours et souligne l’émotion que nous avaient procurées les commémorations à Srebrenica, Janek peine à contenir ses larmes. Quelques années auparavant, d’autres raisons l’avaient aussi conduit là-bas, forcé d’exécuter les ordres et d’être une pièce du puzzle de l’horreur.

Respirer la Slovénie

Quelques jours plus tard, nous atteignons le nord de la Croatie, puis la Slovénie. Nos premiers pas donnent l’impression d’un mélange de douceur italienne, de bouillonnement balkanique et de distance autrichienne. Nous renouons avec les pistes cyclables et l’intérêt sportif des habitants. L’effort et le dépassement coulent dans le sang de la population. Au début du 20ème siècle, des clubs de gymnastique opéraient sur le territoire, permettant aux Slovènes de faire briller quelques légendes nationales aux Jeux Olympiques (notamment avec les exploits de Leon Štukelj et Miro Cerar). Très régulièrement, nous sommes arrêtés par des promeneurs qui se présentent comme des connaissances de Tadej Pogačar, gagnant du tour de France 2020 et 2021. La Slovénie est un petit village.

Ce pays marque aussi un temps d’arrêt dans notre longue promenade. Mon cavalier, qui aime me rappeler que ce n’est pas tout à fait des vacances de pédaler toute la journée, retrouve sa dame pendant une dizaine de jours. Voulant profiter d’un peu d’intimité, Maxime trouve sans peine de sympathiques Slovènes pour stocker la caravane – à moi la pension complète pendant que le pilote joue les Roméo.

Rentrant de ses vacances, Maxime a l’air également sous le charme du pays. Il est difficile de trouver un endroit qui combine une telle variété de paysages différents : « Hippolyte, en quelques minutes de stop, tu passes d’un monde alpin, à un monde méditerranéen, en voyant du karstique ou du pannonien. C’est dingue ! ».

Piran, Slovénie

Course contre la montre sur le rideau de fer

Nous reprenons le chemin. Au bout de quelques minutes, Maxime m’annonce que nous allons rejoindre un de ses amis en Pologne... dans dix jours. Le programme est chargé : traversée de l’Est autrichien, découverte de Vienne, de Bratislava et Brno, pour atterrir enfin à Cracovie.

Après la visite de la capitale autrichienne, nous sommes comme plongés dans un conte. Quelques chaumières éparses ponctuent une démarcation imaginaire avec le mysticisme de l’Europe orientale.

Région de Moravie-Silésie

Nos journées sont composées d’impressions successives, qui forment comme des touches de peinture s’ajoutant sur une toile, au rythme des coups de pédale. Progressivement, les quelques hauteurs laissent entrevoir de nombreux châteaux. Nous nous reconnaissons dans les toiles de Caspar David Friedrich. Seule différence, le maître n’imaginait pas un si drôle attelage pour déranger l’apparente quiétude de la Bohême-Moravie.

Après 9 jours, nous foulons le territoire polonais. Maxime s’endort alors qu’une tempête de nuit d’été gronde dehors. Le lendemain, nous atteignons Cracovie et retrouvons Simon, un ami d’enfance, venu soutenir Maxime pendant cette longue traversée. En quelques semaines, il a retrouvé plus d’amis que pendant 5 mois de voyage !

Cracovie, Pologne

Autour de quelques bières polonaises, Simon et Maxime se remémorent de bons souvenirs puis s’adonnent au laisser-aller, procuré par le houblon. La nuit aussi fut courte, mais pour des raisons plus agréables. Le lendemain, nous nous rendons sur le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau. La légèreté de la veille s’est vite estompée - au milieu des baraquements désaffectées, place à la nuit et au brouillard.

Plus fatigués par ce séjour que par nos précédents efforts, nous reprenons le chemin vers le nord du pays. Nous montons à bord d’un train jusqu’à Ełk, à quelques dizaines de kilomètres de la frontière biélorusse. Notre compartiment est rempli de valises et leurs propriétaires parlent ukrainien. A nouveau, l’angoisse de la guerre se conjugue au présent. Elle se lit sur les visages.

Un petit orteil en territoire ennemi

Puszcza Borecka, Pologne

Plus aucun débat ne subsiste entre le pilote et moi, nous sommes subjugués par la beauté de la nature. Au détour de notre itinéraire, nous rencontrons les habitants la forêt de Bialowieza : de magnifiques bisons d’Europe broutent l’herbe, peu concernés par notre présence.

Wolisko, Pologne

Après quelques jours, nous atteignons la trijonction entre la Pologne, la Lituanie et la Russie. Ce point est symbolique, nous dépassons les 10 000 km devant le sol russe, destination initiale du départ. Galvanisé par la situation, Maxime lance un premier pas sur le territoire russe, puis un deuxième avant de brusquement s’arrêter. Il n’aurait pas pu en faire davantage, devant nous se dresse un énorme mur de béton, recouvert de caméras et de fils barbelés. Tout à coup, une sirène retentit pour signaler une intrusion sur le territoire de l’ours. Kaliningrad restera une inconnue, il est temps de partir.

Mont Grintovec, Alpes kamniques, Slovénie

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