L’état de droit en Pologne : Une situation enlisée

, par Anais Ben Lalli

L'état de droit en Pologne : Une situation enlisée
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Depuis 2015, la Pologne est gouvernée par le parti Droit et Justice (Prawo i Sprawiedliwość, PiS). D’idéologie conservatrice et eurosceptique, il a été fondé par les jumeaux Kaczyński en 2001, et a permis l’unification de la droite conservatrice polonaise. L’histoire politique de ce pays est marquée de l’empreinte de ces frères dont l’un des deux, Lech Kaczyński, est décédé en 2010 alors qu’il était encore Président. La politique ultra conservatrice menée en Pologne depuis l’arrivée au pouvoir du PiS a suscité de vives critiques à l’échelle nationale et internationale. La création d’un Comité de défense de la démocratie, et le déclenchement de procédures d’infraction à l’Etat de droit en attestent.

Aujourd’hui, la politique d’Andrzej Duda, le Président actuel, issu du PiS, représente une menace pour le fonctionnement du système judiciaire polonais ainsi que pour le fonctionnement de l’Union européenne dans son ensemble. Attentatoires aux valeurs européennes, ces réformes sont remises en cause par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) ainsi que par la Cour suprême polonaise. Deux événements importants ont, cette fois-ci, justifié un débat parlementaire à Strasbourg : la promulgation d’une loi contestée et la suspension d’un juge par la chambre disciplinaire.

L’indépendance judiciaire mise à mal : un régime disciplinaire pour les juges

Un affront de plus ! Le 4 février dernier, le plus jeune chef d’État polonais, Andrzej Duda, promulguant la « loi muselière » approuvée plus tôt par la chambre basse. Après avoir modifié les modalités de nomination des juges, qui sont désormais tributaires de l’exécutif, le gouvernement compromet de nouveau, et avec plus de gravité, l’indépendance du système judiciaire. Ce nouveau camouflet intervient le même jour que le discours du Président français, à Cracovie, sur l’état de droit. Selon cette législation, il est désormais interdit pour tout magistrat de critiquer « le statut d’un juge, la légalité de sa nomination ou l’autorité d’un organe constitutionnel » au risque de se voir appliquer des sanctions disciplinaires ; parmi lesquelles la révocation est la plus sévère. Plus concrètement, les juges des tribunaux ordinaires pourront faire l’objet d’enquêtes, de procédures et de sanctions disciplinaires sur la base du contenu de leurs arrêts, ou de leurs demandes à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de statuer à titre préjudiciel.

Repères

  • Depuis 2017, trois procédures d’infraction (ou actions en manquement) ont été lancées contre Varsovie à l’initiative de la Commission :
  • Juillet 2017 : concernant la réforme des tribunaux ordinaires
  • L’absence de réponses satisfaisantes de Varsovie a conduit à la saisine de la CJUE
  • Juin 2019, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que la loi sur la Cour suprême polonaise, abaissant l’âge de départ à la retraite des juges de la Cour suprême, est contraire au droit de l’Union et enfreint le principe de l’inamovibilité des juges et par conséquent de l’indépendance de la justice. ;
  • Juillet 2018 : concernant la réforme de la Cour suprême
  • L’absence de réponses satisfaisantes de Varsovie a conduit à la saisine de la CJUE
  • Avril 2019 : concernant le régime disciplinaire des juges.

L’état de droit, au même rang que la démocratie et les droits fondamentaux, constitue l’une des valeurs défendues par l’Union européenne. Pis encore, conformément aux critères de Copenhague fixés en 1993, cette valeur doit être respectée par les candidats à l’adhésion européenne. Pourtant, les derniers arrivés ne semblent pas vouloir honorer leurs engagements : la Roumanie, la Hongrie ou encore la Pologne souffrent de la montée des populismes et de nombreuses atteintes aux libertés à travers le durcissement de leur régime politique.

Une justice sous contrainte politique : la mise au pied des contre-pouvoirs

Nominations controversées, modifications de l’âge de la retraite ou des modalités de nomination, impossibilité d’appliquer le droit de l’Union, sanctions disciplinaires prévues pour les juges à discrétion du gouvernement sont autant d’atteintes à la légitimité du Tribunal constitutionnel, compromettant par la même occasion la constitutionnalité des lois polonaises. Nombre de pays de l’Europe de l’Est souffrent de régimes qui s’apparentent à des « autocraties électorales », selon les termes de Luuk van Midelaar. C’est dans ce contexte tout particulier qu’a pris place le dernier débat parlementaire européen sur le respect de l’état de droit en Pologne. Les points de vue se sont donc opposés quant à la compétence de l’Union, et plus précisément du Parlement, dans le cadre de cette problématique. Ce débat que l’énième en la matière depuis le début de la crise institutionnelle polonaise, et rien de nouveau n’a été évoqué.

Parmi les membres des partis d’extrême-droite, nombreux sont ceux qui mettent en avant un « biais occidental » qui empêcherait les dirigeants européens de comprendre les ambitions du gouvernement polonais. L’eurodéputé Hynek Blaško (Identité et démocratie – ID) parle, à ce sujet, de la « propre idée de la démocratie » qu’aurait la Pologne. À comprendre, l’implémentation d’une démocratie illibérale. De façon similaire, du côté des conservateurs et réformistes européens (CRE) avec l’intervention de Beata Szydło. Ancienne Présidente du Conseil des ministres polonais, elle en a profité pour défendre les réformes judiciaires actuelles en Pologne. Après avoir estimé que le débat était discrédité par sa nature politique, elle a assuré que cette réforme serait poursuivie par le gouvernement polonais. Parallèlement membre du parti Droit et Justice (PiS), elle dénonce l’existence d’une « caste judiciaire », vestige de l’ère communiste, et estime que ces réformes sont soutenues par le peuple polonais. Avec pour mot d’ordre la souveraineté de la Pologne, l’eurodéputée d’extrême droite en a profité pour dénoncer l’emprise de l’Union sur les États membres, comparable, pour certains, à l’emprise subie du temps du communisme. Jadwiga Wiśniewska (CRE), a, quant à lui, souligné le respect, par le gouvernement polonais, du droit à manifester des juges ; mettant ainsi en accusation le gouvernement français à la lumière de sa gestion de la crise des Gilets Jaunes.

Une Europe « deux poids, deux mesures », selon Puigdemont

Le politicien Catalan pro-indépendance n’a pas manqué de faire référence à sa propre situation et à une certaine hypocrisie vis-à-vis de l’Union européenne. Une Europe « deux poids, deux mesures », c’est la critique centrale adressée par Puigdemont. Il a pris pour exemple la situation qui lui est réservée par son pays. En effet, bénéficiaire de l’immunité parlementaire. Cette garantie permet notamment d’assurer aux députés européens qu’ils puissent exercer leur mandat sans craindre des poursuites de nature arbitraire ou politique. Incapable de retourner dans son pays, Puigdemont faisait bien évidemment référence à sa situation personnelle, conséquence directe du conflit qui avait opposé la Catalogne au gouvernement fédéral espagnol. Cependant, la réponse du Groupe de l’Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates était sans équivoque puisque l’eurodéputé Ruiz Devesa lui a répondu qu’il avait été « le premier à mépriser l’état de droit » en déclarant, de manière unilatérale, l’indépendance de la Catalogne.

Face à l’extrême droite, un certain consensus a semblé se dessiner

À l’image du discours de Fabienne Keller (Renew Europe), les députés ont appelé de leurs vœux une Union plus forte et plus unie face aux manquements de certains de ses membres. « Nous assistons au démantèlement progressif, brique par brique, d’acquis historiques. Ce sont les piliers de notre état de droit et de notre modèle démocratique » a affirmé Keller, mettant ainsi en exergue l’importance de bénéficier, dans les régimes démocratiques, d’institutions judiciaires fortes et d’un espace de liberté et de justice. Soutenue par d’autres partis politiques, les eurodéputés ont tenu à réitérer un constat alarmant quant à la détérioration de la situation de l’état de droit en Pologne depuis 2015. Cependant, aucune mesure phare n’a été décidée. La dernière en date demeure la Résolution du Parlement européen du 16 janvier 2020 sur les auditions en cours au titre de l’article 7, paragraphe 1, du traité UE (TUE) en ce qui concerne la Pologne et la Hongrie (2020/2513(RSP)).

« La Pologne est un pays respectueux des lois et que le gouvernement polonais agit conformément à la Constitution polonaise et aux traités de l’UE. La Pologne est membre de l’UE et est un pays souverain. Oui, il en sera ainsi. » - Tweet de Beata SZYDŁO, le 11 février 2020

Entre procédure devant la CJUE et recours en infraction intentés par la Commission : une efficacité toute relative

Parmi les moyens mis à la disposition de l’Union pour faire respecter ses valeurs, aucune ne semble être à la hauteur des dérives autoritaires constatées. Ainsi, deux mouvements contradictoires peuvent être mis en exergue. D’une part, d’aucuns se félicitent des procédures en manquement déclenchées en 2018 par la Commission européenne, et qui ont abouti à la condamnation, par deux fois, de la Pologne. Cela a donné lieu à une situation cocasse où les mesures concernant l’âge de départ à la retraite des juges de la Cour Suprême polonaise ont été suspendues tandis que des juges ont pu réintégrer leurs fonctions. D’autre part, l’article 7 du Traité sur l’Union Européenne doit permettre, à termes, de retirer les droits de vote d’un pays au sein du Conseil de l’Union. Cette deuxième procédure, plus lourde, finit souvent par une situation de blocage. En effet, les modalités de vote à l’unanimité ne permettent pas d’aller au bout de la procédure. Certains États se sont même promis une certaine solidarité dans le cadre de cette procédure.

Mais alors, comment faire respecter l’Etat de droit de façon efficiente ?

Représentée par le commissaire à la justice, Didier Reynders, la Commission a été appelée à activer, une nouvelle fois, la procédure d’infraction. Reynders a préféré rappeler l’initiative lancée en mai 2018 par la Commission. En effet, cette dernière a transmis une proposition de règlement pour « la protection du budget de l’UE contre les risques financiers liés à des défaillances généralisées de l’état de droit dans les États membres ». En d’autres termes, la Commission prévoit de mettre en place un principe de conditionnalité selon lequel les fonds européens seraient subordonnés au respect de l’état de droit ; ce qui représente une réelle menace pour le premier bénéficiaire des fonds européens de cohésion. Mais, les conséquences politiques d’une telle mesure ne sont pas négligeables et risqueraient d’affaiblir l’Union dans son ensemble. C’est la raison pour laquelle Reynders a rappelé la volonté de la Commission de mettre en place un instrument préventif qui permettrait de dresser la synthèse des évolutions significatives en matière d’état de droit et, peut-être, d’éviter les mesures répressives moins désirables politiquement.

« Suspendre, réduire ou restreindre l’accès aux fonds de l’UE d’une manière proportionnée à la nature, à la gravité et à l’étendue des défaillances généralisées de l’État de droit » - La Commission

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