Une séparation formelle...
D’aucun peut être surpris d’apprendre à la lecture du paragraphe précédent que l’Eglise et l’Etat polonais se sont pas séparés. En réalité, la Constitution polonaise de 1997 prévoit la séparation entre l’Etat et l’Eglise catholique à l’article 25, alinéa 3 qui statue que “les rapports entre l’État et les Églises et autres unions confessionnelles se fondent sur le principe du respect de leur autonomie et de leur indépendance mutuelle dans leurs domaines respectifs, ainsi que sur le principe de la coopération pour le bien de l’homme et pour le bien commun.”
Officiellement, la Pologne est donc un Etat laïque, avec une garantie constitutionnelle de l’indépendance de l’Etat vis-à-vis de l’Eglise. De plus, la Constitution polonaise parle non seulement de l’Eglise catholique, mais “des Églises et autres unions confessionnelles”. Même si les autres cultes ne représentent qu’une part minoritaire des citoyens, puisque sur 80,7% de Polonais se déclarant croyants, 91,9% déclarent être de confession catholique, selon le sondage de décembre 2018 du GUS.
… mais est-ce une séparation effective ?
Cependant, cette séparation formelle est aujourd’hui très critiquée. Plusieurs choses laissent apparaître une confusion entre l’Etat et l’Eglise et sont la preuve de l’absence d’une véritable ligne rouge pourtant fixée par la Constitution, mais qui n’a jamais été respectée. A titre d’exemple, prenons les finances de l’Etat : en 2017, l’Etat polonais a alloué 159 millions de zloty (soit environ 36 millions d’euros) au Fonds de l’Eglise. Ce fonds a été crée en 1950 pour compenser à l’Eglise la perte des terres agricoles qui ont été nationalisées à cette époque. Ce fonds sert aujourd’hui principalement à financer les assurances maladies et les cotisations sociales des membres du clergé (plus de 85% de dépenses du fonds), ainsi qu’à financer les travaux de rénovation des églises classées comme monuments historiques. Etant donné que les autres cultes sont peu présents dans l’espace public polonais, ce fonds bénéficie quasi exclusivement à l’Eglise catholique.
La religion est également une matière à part entière dans l’éducation publique polonaise. Obligatoire de l’école primaire jusqu’au début de l’enseignement supérieur, cette matière est enseignée par des prêtres ou des catéchistes qui perçoivent une rémunération à l’égalité avec les professeurs d’écoles, provenant également du budget de l’Etat alloué à l’enseignement (1,3 milliards de zloty supplémentaires à dépenser, soit environ 302 millions d’euro par an). Sans mentionner les croix qui ornent les murs des salles de cours des écoles publiques. Cet enseignement, qui dans mon expérience personnelle se limitait à la lecture de la Bible et à la récitation des prières, représente souvent un volume horaire de cours plus important que les cours de géographie ou d’histoire.
Prenons enfin un dernier exemple illustrant la polémique actuelle. En janvier 2018, le Ministère de la justice a rendu public un registre des personnes condamnées pour des crimes sexuels, dont les viols à caractère pédophile. La publication de cette liste a aussitôt fait polémique, car aucun membre du clergé ayant été condamné pour de tels faits n’y figurait. La réponse apportée par l’ancien porte-parole du Ministre sur Twitter n’a fait qu’ajouter de l’huile sur le feu : Sebastian Kaleta justifiait cela en affirmant que “les prêtres ne commettaient pas les crimes les plus brutaux”.
Les agitations de la société civile
Bien que la grande majorité des citoyens polonais se déclare croyante et de confession catholique, on peut observer des voix de contestation s’élever au sein de la société civile et des hommes et des femmes politiques. Ce dimanche, la figure de proue de la gauche polonaise, Barbara Nowacka, a annoncé la publication d’un projet de loi pour une séparation effective entre l’Eglise et l’Etat en Pologne. Elle a dernièrement lancé un nouveau mouvement militant et pro-européen de gauche, l’Initiative Pologne (pl : Inicjatywa Polska), qui est le porteur officiel du projet.
Le 2 janvier Initiative Pologne a lancé une pétition pour appuyer son projet de loi rendu public dimanche 6 janvier, le jour de l’Epiphanie. En cinq jours, la pétition en ligne a recueilli plus de 21 000 signatures citoyennes.
Le projet de loi proposant une séparation véritable entre l’Eglise et l’Etat
Le projet présenté par Initiative Pologne a pour objet de réformer la loi datant du 17 mai 1989 relative aux relations entre l’Etat et l’Eglise catholique sous la République Populaire de Pologne, qui est toujours en vigueur aujourd’hui. Le mouvement reproche à cette loi de ne plus être adaptée au régime actuel, car elle a été adoptée sous l’ancien régime communiste et peu actualisée depuis.
Parmi les changements phares, on peut noter la proposition d’abolir les cours obligatoires de religion dans l’enseignement public, et en particulier l’obligation de la rémunération des prêtres et des catéchistes par l’Etat. Le mouvement propose de mettre gratuitement à disposition des salles de classe pour pouvoir dispenser ces cours en dehors des heures d’enseignement des élèves. Aussi, il est question de mettre fin aux financement des cotisations sociales des membres du clergé par l’Etat et à la contribution étatique au Fonds de l’Église à partir du début de l’année prochaine.
Deuxièmement, le projet de loi propose d’abroger l’existence de plusieurs Commissions qui réunissent les représentants du clergé et du pouvoir exécutif polonais, comme la Conférence de l’Épiscopat Polonais. Cette Commission est chargée de réguler les relations entre l’Etat et l’Eglise et de la bonne application de la loi du 17 mai 1989 citée ci-dessus.
Il reste à voir si ce projet recueillera, ou non, les faveurs des députés de la Diète polonaise. Barbara Nowacka, la cheffe du mouvement et principale défenseuse du projet, est une des figures phares de l’opposition polonaise de gauche. Elle est très critique du parti politique Droit et Justice au pouvoir depuis 2015, fervent défenseur de l’Eglise catholique et de la vision traditionnaliste de l’Etat, qui dispose d’une majorité de 235 sièges sur 460 à la Diète polonaise. Cette majorité écrasante pourrait faire la peau au projet de loi d’Initiative Pologne, ou du moins fortement retarder son adoption avant les prochaines élections législatives qui auront lieu en 2020.
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