Les méga-manifestations sportives ont atteint des coûts impensables, ce qui a poussé les sociétés « occidentales » à s’opposer de plus en plus aux candidatures, offrant ainsi sur un plateau d’argent des opportunités diplomatiques aux États autoritaires... Permettre à ces événements de se dérouler en dehors de la bulle de l’Occident ne peut qu’être salué car on adopte une approche plus globale, mais il y a un besoin évident d’effectuer un suivi plus poussé des préparatifs et des engagements nationaux lors de l’attribution.
Le coût actuel de l’accueil
Les récentes éditions de grands événements sportifs internationaux se sont targuées d’offrir un meilleur environnement et des compétitions toujours plus inclusives et nous sommes effectivement passés à côté des rouages des coulisses - que l’on soit des supporters purs et durs, des spectateurs pacifiques ou des râleurs compulsifs désintéressés tout au long de l’événement. Les Jeux olympiques (JO) d’été de 2008 ont vu le relogement de 1,5 million d’habitants, la censure des médias, le travail abusif des enfants pour la fabrication des produits officiels des JO, les manifestations tibétaines initiées lors de la cérémonie du flambeau olympique et se sont terminées par des manifestations meurtrières et une répression générale de la société civile. La loi de propagande anti-gay russe a été mise en place l’année précédant les Jeux olympiques d’hiver de Sotchi en 2014. Les Jeux eux-mêmes ouvraient la porte à davantage d’exploitation, à davantage d’expulsions locales, à plus d’oppression médiatique et à des risques environnementaux.
Le Brésil a accueilli la Coupe du Monde et les Jeux à deux ans d’intervalle, ce qui a déclenché des interventions violentes et des assassinats, mis en péril la liberté d’expression et les rassemblements pacifiques des Brésiliens, et conduit à des expulsions nombreuses et un héritage aux allures d’éléphant blanc. La liste exhaustive de ces incidents est longue, et ne sera pas avant longtemps un chapitre clos de l’Histoire. Les préparatifs en cours pour la Coupe du monde 2022 au Qatar suivent avec succès le même chemin, alors que l’on a rapporté 1 200 décès de travailleurs en 2015, et que d’autres estimations prévoient que le nombre pourrait atteindre 4 000 une fois les infrastructures terminées.
Qui est responsable ?
La mise en œuvre et le respect des droits de l’homme au niveau national étaient discutables avant que ces pays ne remportent ces candidatures, et ils ont progressivement empiré de la préparation jusqu’à la fin de l’événement en lui-même. La Charte olympique stipule que la dignité humaine doit être respectée et le CIO a formellement inclus le respect des principes des droits de l’Homme dans son contrat de ville hôte à partir de 2017. La FIFA s’est engagée à respecter et à promouvoir les droits de l’homme en 2016, dans le cadre de la campagne d’Infantino visant à rétablir la légitimité de l’institution auprès de l’opinion publique suite au scandale de corruption de 2015. La FIFA a même mis en place un système de plainte des Droits de l’Homme pour l’actuelle Coupe du Monde. L’absence de conséquences pour les violations des droits fondamentaux montre douloureusement la complexité de la diplomatie sportive mondiale. Quels souvenirs gardons-nous de ces événements ? Les polémiques liées aux Droits de l’Homme qui se déroulent derrière le rideau des préparatifs, ou les moments de sport qui ont fait l’Histoire ? Vladimir Poutine est au cœur de sa stratégie diplomatique sportive qui comprend les Jeux Olympiques d’hiver de 2014, les Championnats du monde de hockey sur glace de 2016, la Coupe du Monde de la FIFA en cours et la candidature potentielle pour les Jeux olympiques d’été de 2032. Bien que Vladimir Poutine ait réaffirmé à maintes reprises que le sport et la politique sont strictement séparés, les récentes révélations sur le système de dopage dirigé par l’État russe semblent dire le contraire.
Jusqu’à présent, la Russie est clairement gagnante, en en payant les conséquences que légèrement - les athlètes russes ont couru sous le drapeau et l’hymne du CIO aux Jeux de PyeongChang, et malgré deux tests positifs, l’interdiction a été levée après la cérémonie de clôture. Après tout, le pays n’accueille la Coupe du monde que six mois plus tard, alors que le complot de dopage de l’État semble déjà bien oublié. Pourquoi n’est-ce pas un problème plus important, du moins pour le monde du sport ? Quel genre de message est donné dans le monde entier, aux athlètes, aux sociétés et autres États autoritaires cherchant à améliorer leur image et à prendre du poids sur la scène internationale ? Ici se trouve le pouvoir même du football, en étant l’outil le plus puissant du monde pour unir ; l’ancien secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, ayant même suggéré que le football était plus universel que l’ONU elle-même.
Ainsi, au nom du sport et du football, nous oublions que la Fédération de Russie est l’un des États les plus signalés à la Cour européenne des droits de l’Homme, avec un quart des condamnations en 2017 et près d’un dixième des 20 000 condamnations depuis 1959, que l’armée russe et la répression des droits de l’homme n’ont jamais été aussi brutales depuis la chute de l’URSS, comme l’illustrent le nombre croissant d’incidents racistes, l’application de lois homophobes, la décriminalisation de la violence et la situation générale en Tchétchénie. La politique étrangère russe est maintes fois mise en lumière par des événements tels que l’annexion de la Crimée, le soutien de la dynastie Assad en Syrie, l’avion MH17 de Malaysia Airlines abattu en plein vol, l’ingérence dans les dernières élections présidentielles aux Etats-Unis et la crise diplomatique d’expulsion avec la Grande-Bretagne.
L’Europe botte en touche ?
Ce dernier évènement aurait dû nous amener à un carrefour moral et humain. L’Europe est fière de défendre et de sauvegarder les Droits de l’Homme Fondamentaux, la démocratie, la justice et la liberté. Le pouvoir normatif a été l’outil le plus puissant de l’UE, notamment parce qu’il a longtemps été une forme de pouvoir largement sous-estimée. Ces dernières années, la légitimité et le pouvoir de persuasion de l’Union ont été remis en question, notamment à l’occasion de la Coupe du Monde 2018. Les membres de la Commission européenne ont montré leur discrète opposition en déclarant qu’ils ne se rendraient pas en Russie et n’assisteraient pas à l’événement. Le boycott s’est étendu aux gouvernements de l’Islande, de la Finlande, du Danemark, de la Suède et de la Pologne. L’Allemagne et la France n’ont pas pris de tels engagements, et ce ne sera pas Emmanuel Macron qui prendra le taureau par les cornes.
À un tel niveau de popularité et d’influence, la Coupe du Monde est en effet un outil diplomatique où les cérémonies d’ouverture et de clôture servent de cadre de négociation informel. De la même manière, le pouvoir normatif a longtemps manqué de reconnaissance, les priorités politiques incluent rarement la diplomatie sportive. Pourtant, c’est dans des moments comme ceux que nous traversons actuellement que la diplomatie sportive prend véritablement vie et réalise son potentiel. Alors que diriez-vous si nous commencions tous à l’employer stratégiquement pour notre avenir ?
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