La fin d’une législature agitée
Les lointains observateurs français de l’actualité transalpine portent souvent un œil dubitatif sur l’instabilité ou sur les supposées anomalies de la vie politique italienne. Le 14 juillet 2022, la coalition d’union nationale portée par Mario Draghi commence à se fissurer. En proie à d’importantes divisions internes, la formation populiste du Movimento cinque Stelle (M5S) a décidé de boycotter un vote de confiance au Sénat. Un coup tactique pour le M5S qui estime que ses revendications sont ignorées, mais aussi un moyen de survivre à l’heure où le parti s’effondre dans les sondages. Après une première démission du gouvernement, refusée par le Président de la République Sergio Mattarella, c’est finalement la droite qui a suivi le M5S. Les partis de Silvio Berlusconi et de Matteo Salvini ont séché le vote de confiance. Malgré le soutien de deux tiers des Italiens, le gouvernement de Mario Draghi se retrouve poussé vers la sortie à un an de la fin de la législature.
En acceptant le poste de président du Conseil des ministres, Mario Draghi entendait former un cabinet de crise et non un cabinet politique. La composition de son gouvernement reflétait cette aspiration puisque tous les partis, sauf Fratelli d’Italia, avaient accepté de soutenir le gouvernement Draghi. En pleine crise du Covid et après que le groupe de Matteo Renzi ait fait exploser la coalition PD-M5S, l’Italie se trouvait dans une impasse. C’est ainsi qu’est née l’idée d’un gouvernement d’union nationale dirigé par un technocrate respecté : Mario Draghi. À peu de choses près, le même raisonnement avait mené Mario Monti au Palais Chigi - la résidence du président du Conseil - en 2011. En février 2021, Mario Draghi accédait donc à la tête du gouvernement italien avec pour objectif de boucler la législature, gérer la crise du covid et les fonds du plan de relance.
En outre, aucun nouveau compromis gouvernemental ne semblait pouvoir être trouvé. Après une première coalition, dite anti-système, aussi agitée qu’éphémère entre le M5S et la Lega, une deuxième coalition voit le jour en 2019 avec le M5S et le Partito Democratico (PD). Grand gagnant des élections législatives de 2018, le M5S s’était retrouvé en position dominante en récoltant près de 33% des suffrages. La poussée du M5S s’expliquait avant tout par un rejet épidermique des politiques menées par le PD et Matteo Renzi durant la précédente législature. Le positionnement politique ambivalent du M5S compliquait sérieusement la formation d’une coalition politiquement cohérente. Dans un gouvernement qui relègue la parité au rang de souvenir, le M5S s’arroge les domaines liés à l’économie au développement ou à la démocratie directe, tandis que la Lega se concentre sur les thématiques de l’intérieur, les affaires régionales et européennes.
Un système politique favorable à la division
La deuxième coalition entre le PD et M5S, qui paraissait impensable au moment de l’élection, finira par exploser de l’intérieur à cause d’un certain Matteo Renzi. Une chute liée aux spécificités du système italien. Le régime parlementaire italien fonctionne selon un bicamérisme parfait, ce qui signifie que la chambre des députés et le Sénat possèdent, à quelques détails près, des pouvoirs similaires. Le président du Conseil doit donc obtenir la confiance devant chacune des deux chambres afin de pouvoir se maintenir. Le mode de scrutin mixte (scrutin uninominal à un tour et part de proportionnelle) utilisé pour les élections générales italiennes complique encore davantage l’émergence d’une majorité forte au Parlement.
Le rôle du Président de la République ressemble profondément au rôle de président arbitre prévu par la Constitution de la Vème République française. Élu au suffrage universel indirect par le Parlement et les conseillers régionaux, le Président est le garant des institutions et le chef des armées. Le locataire du palais du Quirinal nomme également le président du Conseil, chargé de former un gouvernement. Une compétence qui fait du chef de l’exécutif le principal instigateur des compromis au sein de l’exécutif. Une compétence supposée anecdotique sujette à des modifications radicales à mesure que les deux grands partis italiens s’éffondraient. La crise connue par les partis de gouvernement de droite et de gauche dans le courant des années 2010 a renforcé le pouvoir du Président. Il se révèle alors dans son rôle de conciliation, un pouvoir qui lui permet d’exclure catégoriquement la nomination du très eurosceptique Paolo Savona en tant que président du Conseil après les élections de 2018.
Un paysage politique fragmenté
Quatre ans après les dernières élections, aucun parti n’a réussi à asseoir son hégémonie sur la péninsule et le scrutin du 25 septembre 2022 s’annonce particulièrement indécis. D’une part, la situation politique a profondément évolué. La confrontation du M5S à l’exercice du pouvoir a provoqué une scission au sein du parti populiste laissant apparaître une frange plus pragmatique politiquement. Une ligne modérée, incarnée par Luigi di Maio qui a d’ailleurs claqué la porte du M5S pour affirmer son soutien à Mario Draghi. Un véritable essorage pour le M5S qui avait investi le Parlement italien avec 227 députés et 111 sénateurs. 4 ans plus tard, le mouvement dépasse péniblement les 150 parlementaires. Une fuite des parlementaires qui préfigure la fuite des électeurs, le M5S n’a cessé de chuter dans les sondages et réunit actuellement 10% des intentions de vote. Le M5S semble donc condamné à une ostracisation de la vie politique italienne. D’autant plus qu’après avoir porté la première banderille au cabinet Draghi, le leader du PD, Enrico Letta, a d’ores et déjà annoncé qu’il serait difficile de conclure une alliance électorale avec le M5S malgré les alliances locales que les deux partis ont pu nouer.
De son côté, le PD est crédité de 22% des intentions de vote ce qui le place juste derrière Fratelli d’Italia, pourtant la perspective d’un président du Conseil issu des rangs du PD parait illusoire. Si la formation d’une coalition de centre-gauche avec les sécessionnistes du M5S, les centristes de Azione ou de Matteo Renzi semble possible, sa réalisation s’avère excessivement délicate. La myriade de partis centristes multiplie les conditions pour un accord. Cette frange de centre-gauche, ultime soutien de Mario Draghi, pourrait chercher à ramener son champion au Palais Chigi.
Enfin, c’est la droite et l’extrême-droite qui devraient être les grands gagnants de ces élections anticipées. Une tendance bien assimilée par Matteo Salvini et Silvio Berlusconi qui se sont empressés de crucifier le gouvernement Draghi. Pourtant ni Forza Italia (Berlusconi) ni la Lega (Salvini) ne devraient être en mesure de mener la prochaine coalition électorale. A priori, cette coalition devrait être la même que lors des précédentes élections et regrouper les deux partis précédemment cités et Fratelli d’italia, un parti d’extrême droite post fasciste de Giorgia Meloni. Une coalition appelée “centrodestra” par les médias, c’est-à-dire centre-droit. En regroupant la droite conservatrice et deux partis d’extrême droite, la coalition n’a de centriste que le nom. Une dénomination trompeuse quand on considère le programme politique de Giorgia Meloni, nostalgique de la période mussolinienne, et à deux doigts de succéder à Mario Draghi si on en croit les sondages. À noter que Fratelli d’Italia est le seul parti représenté au Parlement à ne pas avoir soutenu le gouvernement de Draghi. Un positionnement qui a permis à Giorgia Meloni de s’affirmer comme le refuge de tous les sceptiques du gouvernement Draghi, un positionnement qui fait de son parti le favori des sondages (23%).
Une montée en puissance savamment couplée à une dédiabolisation de son parti, héritier du mouvement social italien, un parti néofasciste. Sans renier l’héritage de Mussolini (son parti n’avait pas hésité à investir l’arrière petit-fils de Mussolini pour les élections européennes de 2019), Giorgia Meloni s’attache à présenter une image lisse et rassurante pour ses partenaires européens notamment par rapport à l’Ukraine, se démarquant ainsi des autres membres de la coalition.
Un scénario redouté à Bruxelles où l’on croit peu à la constructivité d’un gouvernement dirigé par Giorgia Meloni. Au contraire, partisane d’une “Europe des Nations”, Giorgia Meloni affiche sa proximité avec les différents leaders d’extrême droite, de Viktor Orbán à Donald Trump en passant par Marion Maréchal. Un cas de figure qui ressemble à un retour en arrière pour une Italie qui, grâce à Mario Draghi, avait retrouvé une place de choix au sein de l’Union européenne. Enfin, il demeure possible qu’aucune coalition ne parvienne à remporter la majorité absolue des sièges. Dans ce cas, le recours à une personnalité technique (comme Monti et Draghi) reste possible.
À travers la dernière décennie de la vie politique italienne nous apprenons que la chute des partis traditionnels et l’échec du social-libéralisme, un temps porté par Matteo Renzi, ne conduit qu’au renforcement de l’extrême droite. La formation de droite conservatrice menée par Silvio Berlusconi est devenue la force d’appoint d’une coalition d’extrême droite. À deux mois du scrutin, les élections demeurent extrêmement incertaines et l’opposition pourrait bien se mobiliser pour faire barrage à Giorgia Meloni. L’un des principaux enjeux sera donc de savoir si ses discours fascisants auront réussi à convaincre la droite classique.
Suivre les commentaires : |