Karl-Heinz Lambertz : « En Belgique germanophone, toutes les décisions ont une incidence transfrontalière »

Deuxième partie : comprendre la Belgique orientale dans son essence transfrontalière et européenne

, par Théo Boucart

Karl-Heinz Lambertz : « En Belgique germanophone, toutes les décisions ont une incidence transfrontalière »
Karl-Heinz Lambertz, ancien président du Comité des Régions. Crédits : Flickr

ENTRETIEN / GRAND ANGLE. Le Taurillon s’est entretenu avec Karl-Heinz Lambertz, figure de la communauté germanophone de Belgique et de la coopération régionale et transfrontalière à l’échelle européenne. L’occasion de revenir, dans cette deuxième partie d’interview, sur les tenants et les aboutissants de la coopération transfrontalière et européenne dans la Communauté germanophone de Belgique, un territoire intrinsèquement lié à la notion de frontières, dans ses nombreuses acceptions.

LT : Prenons à présent une perspective européenne. La Belgique orientale est au centre de l’Europe occidentale et est notamment membre de l’Euregio Meuse-Rhin. Quelle est l’influence de cette coopération transfrontalière sur les affaires locales de la Communauté germanophone ?

KHL : J’ai souvent utilisé cette allusion à la centralité en Europe, mais il ne faut pas en tirer de mauvaises conclusions. En effet, quand on regarde autour de soi, on est toujours le centre par rapport à une périphérie. Ce qui est vrai, c’est que l’Europe est le continent avec la plus importante densité de frontières, et cela a des conséquences humaines. Lorsqu’on ouvre les frontières et autorise la coopération transfrontalière, la perspective en est changée. En tant que président de l’association des régions frontalières européennes (ARFE), je trouve cela fascinant.

La Communauté germanophone a ceci de particulier que, de par son étroitesse et sa situation géographique, elle est vraiment riche en frontières. La frontière interne tout d’abord, avec la Wallonie et la Flandre, puis la frontière externe avec deux Bundesländer allemands, la Rhénanie du Nord – Westphalie et la Rhénanie Palatinat, ainsi qu’avec les Pays-Bas au Nord et le Luxembourg au Sud. Nous sommes de surcroît inscrits dans deux champs de coopération assez différents. Le plus petit mais le plus intense est l’Euregio Meuse Rhin créée à la fin des années 1970, auquel nous avons adhéré au début des années 1990. Cette coopération est très efficace et nous a bien aidés durant la crise de la COVID-19. D’autre part, nous avons également adhéré au cadre de coopération Saar-Lor-Lux, bien plus grande et plus peuplée.

La diversité institutionnelle est l’un des grands défis de la coopération transfrontalière, aussi bien dans l’Euregio que dans le cadre Saar-Lor-Lux. Les parties prenantes ont des statuts et des niveaux de souveraineté très différents. C’est assez passionnant d’évoluer là-dedans car il faut trouver des solutions communes avec des niveaux de compétences très différents. Pour les Germanophones de Belgique, ces problèmes ont une influence fondamentale sur les affaires courantes car presque toutes nos décisions ont une incidence transfrontalière. Notre expérience du transfrontalier nous a également permis de nous lancer dans la coopération interrégionale, tout en adaptant le contexte. Nous avons des coopérations plus lointaines en Allemagne ou en Suisse ainsi qu’en Autriche. La technique de coopération transfrontalière et interrégionale évolue dans le temps est également très changeante et le gouvernement de la Communauté travaille toujours sur des ajustements.

LT : Dernière question sur le contexte actuel de la pandémie qui a énormément influencé la coopération transfrontalière. Grâce votre expérience politique au Comité des régions et à l’Association des régions frontalières européennes, avez-vous des propositions concrètes pour la revitalisation de ces relations ?

KHL : Parmi la centaine de régions transfrontalières, seulement une douzaine possèdent des flux importants de mobilité, notamment professionnelle. Nous avons longtemps vécu une fermeture des frontières qui a ravivé les sentiments nationalistes, malgré l’action de l’Union européenne, et qui a pu couper l’élan de la coopération. Toutefois, ces fermetures ont également montré à contrario que la valeur ajoutée de cette coopération est réelle. Nous avons beaucoup travaillé pour faire l’inventaire des problèmes qui se posent pour proposer des solutions, notamment dans le secteur de la santé, mis particulièrement en relief avec la pandémie.

Après la crise de la COVID-19, l’évidence de la coopération transfrontalière est encore plus grande. Pour l’analyser plus en profondeur, il faut d’abord voir la nature de la frontière, si elle est naturelle ou administrative, si elle permet de la mobilité ou non. Cette coopération peut d’ailleurs se résumer en trois étapes : la première consiste à faire sauter les obstacles matériels en ouvrant les barrières et en éliminant les droits de douane. En rendant la coopération possible en somme. Beaucoup de gens pensent que nous avons atteint une finalité en ouvrant les frontières, mais c’est là que les réels défis commencent et que le deuxième aspect de la coopération se met en place. Avec une frontière ouverte, les gens sont plus mobiles et peuvent constater plus facilement les différences juridiques de tout ordre entre les régions.

L’harmonisation européenne et surtout les compatibilités bilatérales permettent de régler ces difficultés pratiques. La troisième étape est celle que commencent à connaître l’Euregio Meuse-Rhin et la Grande Région : la nécessité de mettre en place des approches intégrées et des « grenzüberschreitende Verflechtungsräume » (espace intégrés transfrontaliers, ndlr).

Ce sont des problèmes difficiles à résoudre car il faut une culture particulière, des compétences spécifiques, des outils de coopération transfrontalière, voire même un cross-border mechanism, permettant d’appliquer sur un territoire frontalier le droit de son voisin. Des énormes chantiers sont encore devant nous, mais ces réflexions sont essentielles sur un continent aussi riche en frontières. Des structures comme le Comité des régions, la Mission Opérationnelle Transfrontalière française, la DG REGIO de la Commission européenne et l’ARFE que je préside sont des acteurs qui réfléchissent sur ces sujets. Par exemple, le Comité des régions vient de rendre un avis sur les services publics transfrontaliers ou de nombreuses choses restent à faire.

J’espère que nous pourrons valoriser ce travail lors du 50ème anniversaire de l’ARFE et je suis ravi de voir que le Comité des régions s’engage dans cette « troisième dimension » de l’intégration européenne, cette Europe des régions qui complète l’intégration des Etats européens. La subsidiarité active est un instrument de cohérence pour cette intégration européenne et nous poursuivons les travaux de la « Task Force Subsidiarité » créée en 2017 par le Président Juncker, notamment avec les « regional hubs ».

Je l’ai dis dans de très nombreux discours : l’Union européenne ne se passe uniquement à Bruxelles, Luxembourg et Strasbourg, elle se sent sur place, là où vivent les gens, dans les collectivités territoriales ! Si nous parvenons à faire du million d’élus locaux de l’UE, dans les 100000 communes, 300 régions et les centaines d’autres structures intermédiaires, des partisans de la construction européenne, l’adhésion sera plus forte et nous pourrions mieux surmonter le fossé qui se creuse entre l’Europe et ses citoyens.

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