« Ja, vi elsker dette landet » : histoire du drapeau de la Norvège

, par Samuel Touron

« Ja, vi elsker dette landet » : histoire du drapeau de la Norvège
Source Pixabay

“Oui, nous aimons ce pays”, et les Norvégiens l’aiment encore plus le 17 mai, jour de leur fête nationale. Les drapeaux scandinaves possèdent tous un élément symbolisant les siècles d’histoire commune qu’ils ont en héritage : tous arborent la croix scandinave. Celle blanche et bleue de la Norvège, s’étendant sur un fond rouge, vient rappeler les liens très étroits du pays avec le Danemark mais aussi des valeurs qui sont, depuis l’indépendance récente, au cœur de la nation et de l’identité norvégienne.

L’indépendance, la Norvège, ne l’obtint qu’en 1905, mettant un terme à une union économique, politique et surtout personnelle avec la Suède - les deux monarchies avaient le même souverain - qui dura moins de cent ans. Avant cela, succédant à l’Union de Kalmar, la Norvège avait formé une union très étroite avec le Danemark pendant près de trois siècles, de 1523 à 1814. Si la Norvège est aujourd’hui un État riche, prospère et gouverné par des institutions stables, historiquement, ce fut très loin d’être une constante. La prospérité apportée par l’âge Viking, la constitution d’un État fort centralisé et unifié par le roi Olaf Tryggvason ainsi que l’affirmation du pouvoir royal et le développement de réseaux commerciaux permirent à la Norvège d’atteindre un âge d’or au XIIIe siècle. Cependant, des intrigues politiques, la création de la Hanse et la violence avec laquelle la Peste noire frappa le pays conduisirent à sa ruine et à sa domination par ses voisins.

Une indépendance pleinement retrouvée qu’en 1905

La Norvège, en tant que nation, n’émerge pleinement qu’à la fin du XIXe siècle pour ne gagner son indépendance de la Suède que quelques années plus tard, le 7 juin 1905. L’indépendance, la Norvège ne l’a toutefois jamais vraiment perdue. Si la fin de l’âge d’or norvégien au XIVe siècle, avec la mort du roi Håkon VI, entraîne le début de l’union personnelle entre le Danemark et la Norvège, les deux pays restent dans les faits très indépendants l’un de l’autre car culturellement, très proches. Le Danemark domine sans supplanter l’identité norvégienne. Le drapeau danois, le Dannebrog, devient le drapeau de la Norvège. Ce drapeau rouge frappé d’une croix scandinave blanche serait descendu du ciel, apporté par le Christ aux Danois à la suite de la bataille de Lyndanisse, le 15 juin 1219. Le roi Valdemar II, alors en guerre contre les païens vivant en Allemagne du nord et dans les Pays Baltes, aurait vu dans cet étendard l’ordre de massacrer les infidèles estoniens. Une autre interprétation veut qu’à la suite de la bataille, Valdemar II, couvert du sang de ses ennemis, n’aurait gardé de blanc que sa ceinture et son baudrier, formant une croix chrétienne. La base du drapeau norvégien est donc née dans le sang des ennemis des Danois lors des campagnes menées contre les peuples païens. De 1536 à 1814, le drapeau norvégien est semblable au drapeau du Danemark actuel. Entre 1814 et 1821 il s’orne des armoiries de la Norvège en son coin gauche, le lion couronné d’or, tenant dans ses pattes une hache d’argent emmanchée d’or, symbole des rois de Norvège depuis 1220.

La défaite napoléonienne place le Danemark, allié de la France, dans le camp des perdants lors du congrès de Vienne. La Norvège est retirée au Danemark et donnée à la Suède par les puissances alliées. Cependant, le printemps des peuples touche aussi la Scandinavie et, une assemblée constituante norvégienne, le 16 mai 1814, adopte une constitution tout en proclamant l’indépendance. Le 17 mai 1814 - date à l’origine de la fête nationale norvégienne - elle nomme un prince danois, Christian-Frederik de Danemark, comme roi de Norvège. La Suède octroie alors à la Norvège un statut d’autonomie avancé mais conserve l’union personnelle entre les deux territoires qui ne forment donc qu’une seule dynastie royale. Mal acceptée par la population norvégienne, rejetée par les élites du pays, l’union avec la Suède prend fin, sans violences, le 7 juin 1905. Un référendum confirme la volonté de créer un Royaume de Norvège avec à sa tête un prince danois, Charles de Danemark qui devient roi de Norvège sous le nom de Håkkon VII.

La naissance et l’affirmation de l’identité nationale norvégienne

Durant la période d’union dynastique à la Suède, la Norvège développe une prise de conscience de son identité nationale et développe cette dernière. La langue norvégienne principale, mélange de danois et de norvégien, le Bokmål, est contestée durant le XIXe siècle. Rapidement, des linguistes recensent dans le sud-ouest du pays de nombreux dialectes préservés d’une trop grande influence danoise. En 1853 est publié Prøver af Landsmaalet i Norge) (Essai sur la langue du pays de Norvège) posant les bases d’une autre langue norvégienne, le Nynorsk. Celle-ci, jugée plus pure et nationale, reste surtout parlée dans le sud-ouest du pays, notamment dans la région de Bergen. Depuis le 12 mai 1885, les deux langues sont égales dans la loi norvégienne formant les deux langues officielles du pays. Le XIXe siècle est aussi l’âge d’or de la littérature norvégienne. Bjørnstjerne Bjørnson, chantre du sentiment national norvégien obtient le prix Nobel de littérature en 1903, Henrik Ibsen qui fit l’apologie de la nation norvégienne, Jonas Lie qui, à l’aide de ses souvenirs d’enfance à Tromsø, décrit avec fascination le grand nord du pays, enfin, deux autres auteurs, Knut Hamsun et Sigrid Undset obtinrent le prix Nobel de littérature en 1920 et 1928. Ces auteurs contribuent grandement, par les lettres, à l’extériorisation de la nation norvégienne.

C’est aussi au XIXe siècle que les symboles nationaux émergent et s’affirment. De 1858 à 1864, Bjørnstjerne Bjørnson travaille à la rédaction des paroles de l’hymne norvégien : Ja, vi elsker dette landet. Son cousin, Rikard Nordraak, en compose la mélodie. L’hymne norvégien est joué pour la première fois en célébration du cinquantenaire de la Constitution, le 17 mai 1864 à Eidsvoll où celle-ci avait été adoptée. Véritable saga de l’histoire norvégienne, il contribue très largement à la naissance d’un sentiment d’appartenance national.

Tout aussi importante est l’adoption d’un drapeau norvégien distinct de celui du Danemark et de la Suède. En 1821, l’homme d’affaires et politique Frederik Meltzer propose un drapeau reprenant le fond rouge à croix blanche du Dannebrog auquel il ajoute, dans la croix blanche, une croix bleue. Adopté par le Storting (le parlement norvégien) le drapeau de la Norvège est né. Mais alors, pourquoi une croix bleue ? Frederik Meltzer en donne la raison suivante. S’éloignant de la légende danoise, il déclare reprendre le symbole de la croix chrétienne suivant la tradition scandinave et avoir fait le choix de ces couleurs car étant représentatives de la démocratie. En outre, le bleu, le blanc et le rouge, présents sur les drapeaux des États-Unis et de la France sont, au XIXe siècle, les couleurs de la révolution et de ses idées : la liberté, l’égalité et la représentation d’un régime politique, la démocratie.

Le drapeau norvégien s’inscrit donc dans une double dimension : il s’inspire du drapeau du Danemark remémorant les liens historiques qui unissent les deux nations autour d’un étendard légendaire « tombé du ciel ». Mais il est aussi l’héritier de l’époque dans lequel il est né, véhiculant les valeurs de liberté, d’égalité, de démocratie. Il incarne la volonté du peuple norvégien de disposer de lui-même, sans maître, sans autre souverain que celui qu’il s’est choisi. L’hymne norvégien, dans ses paroles, se fait le conteur de la nation norvégienne : jamais soumise, longtemps dominée par ses voisins mais envers lesquels elle ne garde aucune rancœur, tournée vers l’avenir, voyant en eux des frères, elle avance, confiante dans sa démocratie. L’antépénultième strophe de l’hymne en est le cri le plus puissant : « Fienden sitt våpen kastet / opp visiret for / vi med undren mot ham hastet / ti han var vår bror / Drevne frem på stand av skammen / gikk vi søderpå / nu står vi tre brødre sammen / og skal sådan stå ! » ( L’ennemi jetait ses armes / Et levait ses visières / Nous nous précipitâmes vers lui avec étonnement / Parce qu’il était notre frère / Poussés par la honte, nous retournions vers le sud / Maintenant, nous nous tenons comme trois frères ensemble / Et ce sera comme ça dorénavant ! ).

Mots-clés
Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom