L’avortement était nécessaire pour sauver Valentina. Mais le personnel hospitalier se déclara objecteur de conscience. Aucun médecin ne pouvant la faire avorter, la jeune femme décède, souffrant des horribles douleurs dues à son infection, face à ses proches. De fait divers, cette nouvelle est rapidement devenue le triste symbole de la multiplication des clauses de consciences brandies par les gynécologues en Italie, empêchant alors le recours à une interruption volontaire de grossesse (IVG).
La théorie d’une loi modèle
Pourtant, depuis l’adoption de la loi 194 en 1978, la République italienne autorise l’accès à l’avortement. Cette loi est le fruit d’une longue bataille politique et d’un référendum voulu et perdu par les mouvements ultracatholiques. En effet, en 1981, 67,9% des votants italiens ont refusé l’abrogation de ladite loi. Dès lors, il convient d’étudier cette dernière, portant sur les règles pour la tutelle sociale de la maternité et sur l’interruption volontaire de grossesse. Son article 4 dispose que « concernant l’interruption volontaire de grossesse, celle-ci est possible du premier au quatre-vingt-dixième jour de gestation, si la femme démontre que celle-ci, en raison de circonstances particulières, comporterait un danger sérieux pour sa santé physique ou psychique, en raison de son état de santé, ou, en raison de ses conditions économiques, sociales et familiales, ou, en raison des circonstances dans lesquelles la conception est arrivée, ou, en prévision d’anomalies ou malformations du fœtus » (traduction libre). Cet article pose un principe légal modèle, puisque les possibilités d’avorter sont larges, allant des risques médicaux, aux pressions sociales, etc. Concernant l’avortement au-delà de quatre-vingt-dix jours, celui-ci peut avoir lieu selon le seul motif thérapeutique. Néanmoins, cette exemplarité est contrebalancée par la présence d’une clause de conscience. Celle-ci est expliquée à l’article 9 de la loi 194, disposant que « le personnel hospitalier n’est pas tenu de prendre part aux procédures mentionnées aux articles 5 et 7 portant sur les interventions d’interruption volontaire de grossesse en soulevant une clause d’objection de conscience par une déclaration préventive » (traduction libre). C’est ainsi que ce simple extrait d’article, parmi les vingt-et-un autres, amène à ce que la pratique de l’IVG au sein de la botte italienne soit contradictoire à la théorie.
La pratique de l’IVG remise en cause
Et justement, la pratique de l’avortement est bien différente de la loi, comme déconnectée. En 2018, 70% des médecins se déclarent objecteurs de conscience, ne pouvant plus pratiquer d’avortements. Ce pourcentage atteint 90% dans le Mezzogiorno (au sens strict) et 80,7% des gynécologues du Latium. Ces chiffres ne cessent d’augmenter. A contrario, seule la région du Val d’Aoste semble moins subir ce phénomène, concernant 15,4% des professionnels. Mais alors pourquoi l’Italie connait-elle un tel recours aux clauses de consciences alors même que d’autres États l’autorisent sans la subir ? En effet, d’autres législation, comme celle de la France, autorisent la clause de conscience, permettant de refuser une intervention d’interruption volontaire de grossesse. Malgré cela, sans chiffres officiels, le nombre de professionnels usant de cette objection est minoritaire. En définitif, ce qui semble porter atteinte au droit d’avorter n’est pas ladite clause mais l’exploitation de cette disposition. Si en Italie, le débat public sur la loi 194 s’est atténué, les milieux ultra-conservateurs, en particulier catholiques, continuent de militer. Elisabetta Canitano, gynécologue romaine et présidente de l’association Vita di Donna, explique que les militants anti-avortement ouvrent désormais des hôpitaux privés qui imposent ces clauses de conscience aux médecins et concluent des conventions avec les régions italiennes, obtenant ainsi des subventions de plus en plus importantes, au détriment des structures laïques. Dans un article de Libération, publié le 04 mars 2018, Eric Jozsef a recueilli le témoignage d’une jeune femme qui à 19 ans s’est retrouvée enceinte. Elle s’est rendue au dispensaire près de chez elle, mais le personnel a alors essayé de l’en dissuader. Elle continue, affirmant que, face à un autre gynécologue « “Même chose. Le médecin et l’infirmière ne pensaient qu’à me dire que je portais un enfant, une vie, que j’étais jeune et qu’il fallait que je réfléchisse. Surtout, ils ne m’ont pas donné de date pour avorter. J’ai perdu trois semaines et ai dû aller dans un autre hôpital à l’extérieur de Rome.” »
Enfin, une des raisons de la démocratisation de l’objection de conscience serait intrinsèque à la loi 194, à sa philosophie, puisqu’elle établit un arbitrage entre le droit à avorter de la femme et entre le droit des fournisseurs de ce service de penser que le droit à la vie du potentiel enfant doit être protégé. Le débat n’est alors plus médical, mais interpersonnel. D’ailleurs, cet abaissement du dialogue profite à certains politiques italiens, notamment de gauche. Arturo Scotto, président du groupe parlementaire à la chambre basse Gauche italienne – Gauche écologie liberté, représente cet embarra. Il affirme que « c’est extrêmement difficile de pénaliser les objecteurs de conscience car on touche, là, à l’éthique et aux convictions personnelles profondes. Ce qu’il faut, c’est que l’État prenne les choses en main et protège les médecins qui appliquent la loi. Il faut dire clairement à notre pays que l’avortement est garanti et qu’il n’est pas seulement limité à une partie de notre population. » Alors certes, la clause de conscience ne doit pas être interdite, puisqu’elle est le mode d’exercice de la liberté de conscience du personnel médical, différente de la désobéissance civile, et qui « autorise ceux-ci à ne pas pratiquer d’actes qui pourraient être de nature à heurter leurs convictions morales, éthiques et surtout religieuses » [1] Néanmoins, cette pratique mène à des conséquences graves, dangereuses.
Violation du droit européen, tourisme abortif, avortement clandestin…
Parmi les conséquences de ce phénomène, Elisabetta Canitano dénonce une inégalité entre les Italiennes s’agissant de leur droit à l’avortement, puisque nombres d’entre-elles doivent aller dans d’autres régions de la péninsule afin d’interrompre leur grossesse. Cette conséquence porte ainsi atteinte au principe européen d’égalité des Citoyens devant la loi, résultant de l’article 20 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. D’après un rapport de 2013, le Ministère de la santé italien reconnaît lui-même ce phénomène d’immigration inter-régional, mais il semble quelque peu minimiser le tourisme abortif international. La raison : il n’existe pas de statistiques officielles à ce sujet. À ce propos, auditionné en 2016 devant le Comité des droits économiques, sociaux et culturels du Conseil de l’Europe, l’association Mouvement Italien pour la Vie affirme que, d’une part, « il n’est pas prouvé que les femmes soient obligées de voyager pour avorter », et que, d’autre part, « le lien causal entre l’objection de conscience et ces voyages ne l’était pas non plus. » Selon cette dernière, les femmes se rendraient à l’étranger simplement car la procédure est plus simple. Ce propos est d’autant plus humiliant pour les femmes avortées, que ce genre de « voyage » est couteux, fermant les portes de l’interruption volontaire de grossesse aux plus modestes. Celles-ci sont alors contraintes à ce qu’il y a de plus dangereux : l’avortement clandestin. Imaginer qu’en Europe, au sein de l’Union européenne, des femmes interrompent leurs grossesses dans de telles conditions est malheureux. D’après le même rapport susmentionné, le nombre d’avortements illégaux officiellement recensés serait de 12 000 en Italie. Mais, pour nombre d’associations sur le terrain, celui-ci avoisinerait les 50 000 par an, voire 73 000 pour l’Association Italienne pour l’Éducation Démographique. Les conséquences sont dramatiques, puisque les femmes avortées sont menacées par des risques sanitaires et psychologiques.
Face à ce triste état de l’avortement de l’Italie, des solutions sont possibles mais il apparaît clairement un manque de volonté politique. Malgré des condamnations internationales émanant du Comité des droits économiques, sociaux et culturels du Conseil de l’Europe en 2013 puis en 2016, et, du Comité des Droits de l’Homme de l’ONU en 2017, les propositions de loi visant à améliorer le cadre législatif restent au point mort et trop nombreuses sont les femmes qui en souffrent.
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