Interview de Karine Gloanec Maurin : « Pour l’Europe des Régions ! »

, par Mathieu Moreau

Interview de Karine Gloanec Maurin : « Pour l'Europe des Régions ! »

Vice-Présidente du Conseil régional du Centre et du Laboratoire des idées, Karine Gloanec-Maurin est seconde sur la liste PS-PRG de la circonscription ’Massif Central-Centre’ aux prochaines élections européennes. Elle nous livre ici sa vision d’une Europe sociale et progressiste, et évoque ses combats politiques européens : gouvernance de la zone euro, politiques culturelles, sociales, ’Europe des Régions’…

L’intégration européenne passe-t-elle pour vous par un idéal fédéraliste ? Si oui, cet idéal suffira-t-il à éviter que l’Europe soit spectatrice de l’Histoire qui s’écrit à ses portes, en ce moment même, en Ukraine ?

La dernière contribution du Laboratoire des idées à la Convention Europe du Parti Socialiste faisait référence à Jürgen Habermas, pour qui « Renoncer à l’intégration européenne serait prendre congé de l’Histoire du monde ». J’apprécie cette citation pour sa double signification : d’abord, en soutenant l’intégration européenne, Habermas plaide pour une Histoire commune qui rapproche toujours plus les peuples européens. Mais il veut également souligner l’importance de ne pas stopper notre dynamique d’intégration, sous peine de se priver d’une voix forte sur la scène internationale ! Ces deux dimensions résument bien mon engagement européen : nous devons nous en inspirer pour repenser la gouvernance européenne, pour qu’elle soit plus proche des citoyens et plus réactive au contexte mondial !

Concernant la situation en Ukraine, je pense qu’il est nécessaire de laisser ce pays autonome dans ses décisions, vis-à-vis de la Russie. Mais il faut aussi que les ukrainiens sentent que l’UE est prête à les soutenir et à conclure avec eux des accords économiques ! L’Europe doit être plus efficace dans les moments où elle doit prendre des décisions importantes. On l’a vu à plusieurs reprises, notamment lors de l’intervention française au Mali : la France aurait pu ne pas être seule à intervenir dans ce pays ! En somme, le fédéralisme peut être vu comme un objectif de long terme, mais certaines étapes doivent d’abord être franchies pour faire avancer l’Europe. Par exemple, j’aime porter l’idée d’une ’gouvernance resserrée’ de la zone euro pour avancer plus loin dans l’intégration de notre continent.

Quel équilibre voyez-vous entre cette ’gouvernance resserrée’ de la zone euro et celle d’une Union politique à 28 États-membres ?

Une gouvernance resserrée permettrait de répondre de façon plus réactive aux défis rencontrés par nos économies. Cela ne veut pas dire qu’il faut négliger les pays n’en faisant pas parti : au contraire, cela permettra d’avoir un meilleur dialogue entre tous les États. La rapidité avec laquelle nous avons intégré de nouveaux membres au sein de l’UE était une décision politique qui répondait à des impératifs géopolitiques absolument nécessaires au bon développement du projet européen. Mais aujourd’hui, on sent bien qu’il y a des intégrations à plusieurs niveaux, peut-être à cause de la rapidité du processus que nous avons connu. Nous devons donc prendre le temps, avec les pays récemment rentrés dans l’UE, de transmettre l’idée d’une Union plus protectrice et progressiste ! C’est une étape importante à franchir avant de passer à une dimension plus fédérale de notre projet européen.

Quelles seraient vos propositions pour que l’Europe aille plus loin en termes de politiques culturelles ?

Je suis très impliquée dans les politiques culturelles : c’est un domaine dans lequel j’ai beaucoup travaillé, et qui a longtemps été mon métier. L’Europe fait beaucoup pour la culture, mais pourrait aller plus loin dans certains cas. Par exemple, il serait intéressant d’avoir une politique communautaire ambitieuse pour l’industrie du cinéma, en créant un CNC européen - à l’image du CNC français. C’est une idée à creuser, car le cinéma européen ne vivrait pas sans aides publiques !

L’Europe pourrait aussi avoir une action plus forte envers la protection du patrimoine bâti, littéraire ou paysager, en appui du travail mené par l’Unesco. Le sujet est évoqué dans le nouveau programme Europe créative, et pourrait donc être développé de manière plus approfondie dans les prochaines années ! Nous pourrions également donner une nouvelle dimension à l’économie créative numérique, en renforçant les dispositions concernant le droit d’auteur, la copie privée et le droit d’accès aux œuvres en ligne. Je crois qu’il serait bon d’avoir une structure européenne d’éducation au numérique, car ces enjeux dépassent nos frontières ! L’Europe est l’échelle pertinente pour avoir une bonne visibilité sur le sujet : les solutions devront être européennes, surtout si on veut peser face aux États-Unis !

Pour vous l’exclusion de l’exception culturelle du mandat de négociation du traité transatlantique (TTIP) est une victoire définitive, ou reste-t-il encore des risques ? Je dois dire que mes collègues socialistes - particulièrement Henri Weber et Aurélie Filippetti- ont mené un beau combat pour protéger la culture française et européenne. Mais des risques subsistent, la vigilance s’impose : rien n’est encore acté ! Il est évident qu’un jour ou l’autre ce dossier reviendra dans le débat. Toutefois, il faudrait passer à une autre étape que celle de l’exception culturelle et trouver un juste équilibre : le secteur culturel n’est pas forcément un secteur à exclure de la sphère économique ! Un récent rapport du Ministère de la Culture et de Bercy a montré que le secteur culturel contribue énormément à la création de richesse dans notre pays !

C’est un secteur particulier à prendre dans toute sa dimension humaniste, mais il faut lui trouver un statut particulier qui ne l’exclue pas totalement de l’économie… J’ai la chance d’avoir une spécialisation sur les politiques culturelles, sur lesquelles je travaille encore beaucoup : je préside la Commission Culture à l’Assemblée des Régions de France. Au sein du Conseil régional du Centre, je suis en charge de l’Europe et des Affaires Internationales : cette double spécialisation élargit vraiment mon champ de compétence. Aujourd’hui candidate aux élections européennes, mon expérience me permet de m’exprimer concrètement sur l’avenir de l’Europe et sur ses politiques culturelles. Si je suis élue au Parlement européen, je défendrai les aides publiques à la culture, et je me pencherai sur la défense du secteur culturel face aux menaces -TTIP en tête- qui pourraient survenir…

En tant que Vice-Présidente de la Région Centre, pensez-vous que l’échelon régional est pertinent pour ’donner chair’ à l’idée européenne ?

Oui, l’échelle régionale est pertinente pour mobiliser l’attention des citoyens, et pour que l’Europe devienne un peu plus charnelle ! D’ailleurs, ce thème sera très présent dans la campagne de notre liste menée par Jean-Paul Denanot : il est Président du Conseil régional du Limousin, moi-même Vice-présidente du Conseil régional du Centre, et Jean Mallot – en 3ème position - Conseiller régional d’Auvergne ! Nous nous battrons pour soutenir l’Europe des régions ! Pendant la campagne de terrain que nous mènerons pour ces élections, nous montrerons concrètement à quoi sert l’Europe et ce qu’elle apporte aux régions, en termes d’infrastructures et de développement économique. L’Europe n’est pas un État, mais un projet qui nous permet de faire levier sur des politiques extrêmement importantes comme la sécurité alimentaire -avec la PAC- ou bien la protection sociale, même s’il faut aller plus loin en la matière…

Quel bilan tirez-vous de la Commission Barroso ?

Au-delà de la posture ultra-libérale de Barroso, la Commission européenne n’a pas su répondre aux attentes des citoyens pendant la crise que nous avons traversée. De plus, Barroso n’a pas eu l’oreille assez fine envers le Parlement européen : il est resté prisonnier du jeu des États-membres. Heureusement que le Traité de Lisbonne modifie le mode de désignation du président de la Commission, en renforçant le poids du Parlement européen ! Les chefs d’Etat et de gouvernement devront maintenant proposer au Parlement européen un candidat à la présidence de la Commission qui tienne compte du résultat des élections. Ensuite, ce candidat devra être approuvé par le Parlement européen : cette nouvelle donne m’enthousiasme ! C’est une raison supplémentaire de mobiliser l’électorat !

Martin Schultz, candidat du Parti Socialiste Européen (PSE) au poste de Président de la Commission européenne, souhaite « changer l’Europe » : quel est votre regard sur le programme du PSE ?

Je suis fier que le PSE ait été le premier parti politique européen à désigner son candidat à la Présidence de la Commission européenne. Notre Manifeste (lien manifeste du PSE : http://www.parti-socialiste.fr/articles/decouvrez-le-manifeste-du-pse-adopte-rome-pour-une-nouvelle-europe) adopté à Rome le 1er Mars 2014 par les socialistes européens est un texte ambitieux, avec des propositions fortes sur l’emploi et la protection sociale. Il vise notamment la mise en place de règles strictes améliorant la protection des travailleurs détachés à l’étranger, dans l’esprit de l’accord historique récemment obtenu. Cet accord remet au cœur du débat une des valeurs fondamentales de l’Union Européenne : la mobilité des travailleurs a en effet présidé à la création du Fond Social Européen, ne l’oublions pas ! Ce sujet est l’exemple parfait de ce que l’Europe peut faire pour lutter contre le dumping fiscal, contrairement à ce que voudraient nous faire croire les partis nationalistes et eurosceptiques !

Vos commentaires
  • Le 30 mars 2014 à 05:19, par Xavier C. En réponse à : Interview de Karine Gloanec Maurin : « Pour l’Europe des Régions ! »

    Quelle bucolique vision de l’Europe des régions... purement clientéliste dans le cadre d’une Europe fédérale centralisée avec une protection sociale unique par exemple.

    « le cinéma européen ne vivrait pas sans aides publiques ! » Donc... le public européen ne veut pas payer pour un cinéma européen, alors piquons son pognon de force pour le subventionner ! Wahou ! Brillant, y’a pas à dire. Si le public boude ces productions subventionnées, va-t-on nous lâcher avec ces lubies ???

    À l’heure où les budgets des États sont dans le rouge, avec une dette au-delà de l’inquiétant, pensons à financer notre cinéma, c’est vraiment très urgent.

    « Si je suis élue au Parlement européen, je défendrai les aides publiques à la culture, et je me pencherai sur la défense du secteur culturel » Mais pourquoi ne pas le faire avec votre argent ? Le vôtre, pas celui du contribuable européen qui n’a manifestement pas les mêmes goûts que vous ?

    Et en plus sur sa photo elle ne sourit pas....

    N’a-t-on donc pas de projets sérieux ET solides à opposer au FN ???

  • Le 31 mars 2014 à 14:55, par Ferghane Azihari En réponse à : Interview de Karine Gloanec Maurin : « Pour l’Europe des Régions ! »

    En fait, deux visions de la culture s’opposent.

    La première tend à faire de la culture une activité économique comme une autre devant relever des lois du marché quitte à ce qu’elle disparaisse si jamais elle ne satisfait pas suffisamment de clients.

    La seconde insiste sur le caractère particulier du secteur culturel et ne considère pas qu’elle doit-être soumise à la cause marchande, ce qui légitime son éventuelle non-rentabilité et son recours aux aides publiques bien qu’il semble qu’en France, la culture rapporte plus que ce qu’elle ne coûte...

    D’après ce que je comprends les Européens sont majoritairement pour la seconde approche. C’est un choix de société qui relève de considérations exclusivement idéologiques. Les deux se valent. Aux européens de plébisciter la vision qu’ils préfèrent.

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