Incendie du camp de Moria : et maintenant ?

, par Julia Bernard, Traduit par Muriel de Munck

Incendie du camp de Moria : et maintenant ?
Aussi importante que soit la recherche de solutions européennes, elle mène encore et toujours à la même chose : immobilisme, inaction et regard détourné. Le camp de Moria ne pouvait donc que s’enflammer. Photo : Flickr / Fotomovimiento / CC BY-NC-ND 2.0

Le plus grand camp de migrants de l’Union européenne est parti en fumée. Il incombe maintenant à l’UE et à sa politique migratoire défaillante de se regarder dans le miroir. La prochaine réforme du régime d’asile de l’Union européenne approche : cette remise en question est donc plus que jamais l’un des plus grands défis de la présidence allemande du Conseil. Un commentaire.

Les photos et nouvelles des camps de réfugiés surpeuplés à la frontière gréco-turque ne sont pas une nouveauté. Cette fois cependant, les choses sont différentes : « le camp de Moria est en flammes », c’est ainsi que commencent les premiers tweets de la nuit de mardi à mercredi. Le plus grand camp de réfugiés d’Europe, situé sur l’île grecque de Lesbos, également surnommé la jungle, a été réduit en cendres.

Le désespoir profond dans le camp de Moria

Un grand nombre de photos et de vidéos sur le net donnent à voir des gens qui crient et des feux d’un mètre de haut. 12 600 personnes ont perdu en moins de quelques heures leur logement déjà bien précaire. La nuit suivante, le camp brûle à nouveau dans la même proportion. Cette fois c’est certain, le camp est définitivement détruit.

La situation s’était aggravée dans le camp de Moria depuis le constat des premiers cas de coronavirus. Toutefois, les causes exactes des incendies demeurent encore inexpliquées. Le gouvernement grec table sur le fait qu’il s’agit d’un incendie criminel et, selon les spéculations, ces incendies auraient même été provoqués par des résidents du camp. Certaines personnes indiquent que les occupants du camp auraient empêché le travail des pompiers.

Il y a toujours eu des petits incendies, des soulèvements et des conflits dans le camp de Moria. Au sein du service psychosocial du camp, le psychiatre italien Alessandro Barberio s’occupe des réfugiés qui souffrent de problèmes et de maladies psychiques. Il nous fait part du taux de suicide élevé parmi les réfugiés, « ce que l’on voit dans les yeux des gens, c’est le profond désespoir. », nous dit-il. Le psychiatre parle d’abus sexuels, de bagarres, de vols. Ce qui est particulièrement frappant, c’est le taux élevé de suicides chez les enfants. Une médecin qui fait partie de Médecins sans frontières parle dans le journal « Handelblatt » d’un patient de sept ans qui a tenté de se suicider à plusieurs reprises.

Avec les tensions qui se sont encore exacerbées à cause de la propagation du coronavirus, la situation est devenue encore plus explosive ; aux souffrances déjà existantes est venu s’ajouter un virus mortel. Outre la peur d’une propagation incontrôlée du virus, il y a également la crainte de voir s’interrompre l’aide humanitaire. Cette dernière avait déjà été réduite depuis quelques mois, en raison notamment des attaques de la droite à l’encontre des ONG et des journalistes, jusqu’à qu’elle devienne finalement presque impossible.

Chronique d’un échec ?

De nombreuses organisations caritatives, des politiciens et des habitants de Lesbos se sentent confortés dans leur certitude. Depuis des mois, ils alertaient sur une catastrophe à venir. On sait depuis des années que la situation dans le camp situé sur cette île grecque était inhumaine. Un exemple pour illustrer la congestion du lieu : le camp était à l’origine un ancien site d’accueil, qui a dans un premier temps été transformé en un camp destiné à accueillir près de 2 800 personnes. Mais c’est finalement quelque 12 600 réfugiés qu’il a finalement accueillis. Cela laisse entrevoir les conditions précaires auxquelles étaient confrontés ces gens.

Avec le hashtag #WirHabenPlatz (#NousAvonsDeLaPlace), les manifestants exigent l’évacuation du camp de Moria et l’accueil des réfugiés en Allemagne. Photo : mise à disposition par Julia Bernard

Bien avant que le coronavirus ne se propage en Europe, les conditions étaient déjà dramatiques dans le camp de Moria. Avant la pandémie, il y avait déjà des demandes d’évacuations, qui eurent bien lieu, mais en petit nombre. Cependant, lorsqu’au printemps dernier, les États de l’Union européenne ont été confrontés au virus – ce qui a entraîné la fermeture des frontières et l’imposition de couvre-feu –, des voix se sont fait entendre de plus en plus fort : les réfugiés aux portes de l’Europe ne devaient pas être oubliés. Le gouvernement grec a, certes, publié un catalogue des bons comportements à adopter en matière de coronavirus à destination des réfugiés, mais aucun plan d’évacuation concret, aucun test Covid ni aucun concept de distanciation sociale n’ont été mis en œuvre. Ce n’était plus qu’une question de temps avant que la pandémie n’atteigne le camp de Moria.

La première infection confirmée a été révélée la semaine dernière. La quarantaine imposée a déclenché la panique. Le mardi, il y avait 35 personnes infectées dans le camp de Moria. Ils furent alors nombreux à avoir voulu partir du camp. Toutefois, presque personne n’a pu le quitter : une clôture et une forte présence policière ont rendu cela presque impossible. Sans eau courante et contraints de vivre dans un espace restreint, personne n’était aussi mal préparé pour lutter contre la pandémie que les habitants du camp.

La difficulté des solutions européennes

Ce qui se passe dans le camp de Moria concerne de façon urgente les Européens. Non seulement, parce que laisser vivre des gens dans une telle misère va à l’encontre des fondements de la Communauté européenne, mais aussi parce ces incendies sont révélateurs de la totale inadéquation à bien des égards de la politique d’asile de l’Union européenne.

« Le camp de Moria, situé sur l’île grecque de Lesbos, n’était pas un camp quelconque. Ici, l’Union européenne voulait réinventer sa politique en matière de réfugiés », écrivait le Spiegel. Moria était le lieu de mise en œuvre de « l’accord sur les réfugiés » conclu entre l’Union européenne et la Turquie. Les gens ne devaient y vivre que très peu de temps, avant d’introduire leur demande d’asile par la voie rapide. Le camp de Moria devait mettre fin à la misère qui a marqué la crise des réfugiés en Europe en 2015 et 2016. Cependant, en lieu et place d’une solution humaine, les camps sont aujourd’hui devenus des prisons dont les habitants ne peuvent plus sortir, ni pour retourner en Turquie ni pour continuer leur voyage vers le nord de l’Europe. Clara Föller, du Comité fédéral de direction des jeunes européens fédéralistes, l’explique comme suit :

#Moria est en feu. L’incapacité des États membres de l’UE à trouver une politique d’asile humaine menace désormais directement la vie de celles et ceux qui cherchent une protection. Ce n’est pas une surprise – la situation est insupportable depuis des années. Nous demandons une action immédiate (1/2)

Erik Marquardt, membre du Parlement européen rattaché au groupe les Verts / ALE, écrit : « L’Europe a échoué, mais l’Allemagne aussi a échoué ». Comme dans le cas de tant d’autres blocages au niveau de l’Union européenne, il est toujours question de la nécessité d’une solution européenne. Il faut que tout le monde soit d’accord, sinon on ne peut rien faire. L’Allemagne, tout particulièrement, ne cesse de dire qu’elle veut éviter une nouvelle fois de faire cavalier seul. Aussi importante que soit la recherche de solutions européennes, elle mène encore et toujours à la même chose : immobilisme, inaction et regard détourné. Le camp de Moria ne pouvait donc que s’enflammer.

La réforme du régime d’asile européen est impérative

Il est absolument nécessaire d’exiger à présent une évacuation et un relogement. Le jeune élu local fribourgeois Simon Sumbert s’est expliqué clairement à ce sujet lors du rassemblement public du mouvement « Seebrücke » à Fribourg :

Comment aimerais-tu que l’UE réagisse ? - En tous les cas, un premier pas serait d’évacuer immédiatement tout campement situé aux abords des frontières européennes, tout campement où les normes et droits humains fondamentaux ne peuvent être respectés. La deuxième étape serait de décriminaliser les sauvetages dans la méditerranée et d’instaurer un programme officiel de sauvetage européen. Pour pouvoir agir, il est important de savoir ce qui doit être changé, pour qu’à l’avenir de telles escalades ne se reproduisent plus. Des mesures ponctuelles d’accueil sont essentielles et indispensables compte tenu de la situation actuelle dans le camp de Moria. Il faut cependant des solutions de fond.

 Le régime de Dublin est un échec. Le traitement rapide des demandes d’asile sur les îles grecques ou en Italie ne fonctionne pas. Laisser les États aux frontières extérieures de l’Union européenne, seuls face à ce problème, dénote un manque total de solidarité et ne peut conduire qu’à une congestion. Les charges doivent être réparties. L’Europe doit également accueillir des gens, et ce, de manière coordonnée. Le régime d’asile européen, qui doit être réformé au cours de la présidence allemande du Conseil de l’Union européenne, exige des mécanismes de répartition clairs.

 Il faut mettre fin à la confusion entre les diverses compétences. La chancelière allemande Angela Merkel a fait la déclaration suivante jeudi lors d’un débat public : « Nous ne pouvons pas nous satisfaire d’une politique migratoire européenne. À l’heure actuelle, elle n’existe pas en tant que telle. »

Chancelière #Merkel @KASonline : #Moria symbolise en fait à lui seul la problématique de la migration depuis 2015. A la demande de la Grèce, l’Allemagne et la France vont accueillir des réfugiés mineurs. Espérons que d’autres États membres suivent. Il s’agit d’un problème européen.

L’absence d’un cadre de compétences clair fait qu’aujourd’hui il est extrêmement difficile de faire passer des propositions de réformes et, à l’inverse, qu’il est donc très facile de se dégager de ses responsabilités. Ni l’Union européenne ni les États nationaux ne sont seuls compétents en matière de migration et d’asile. À cela s’ajoutent de forts récits nationaux de la part d’États membres « submergés », comme l’Italie ou la Grèce, et de pays « exploités », comme l’Allemagne, qui, en 2015, a accueilli de nombreux réfugiés, mais qui « n’a bénéficié d’aucune solidarité dans la répartition [..], pas même de la France ».

 L’Union européenne manque de voies de migration légales. L’UE s’est engagée à promouvoir un régime d’asile européen commun, qui respecte le droit international des réfugiés. La réalité est toutefois bien différente. La politique en matière de migration et d’asile est devenue une politique de contrôle des frontières. L’UE consacre beaucoup d’argent à la protection de ses frontières extérieures et pas suffisamment aux voies légales et humaines d’immigration. Il est bien trop facile de légitimer les mesures de fermeture par le nombre élevé d’immigrants.

Le Conseil d’experts des fondations allemandes pour l’intégration et la migration (SVR) a également demandé la mise en place de « voies d’immigration régulières ». La présidente du Conseil d’experts, Petra Bendel, a également appelé à consacrer davantage d’argent aux voies légales. « À l’heure actuelle, l’UE consacre deux fois plus d’argent à la sécurisation de ses frontières extérieures et à la diminution de la migration irrégulière que ce qu’elle consacre au Fonds Asile, Migration et Intégration, qui englobe l’asile, la migration légale, les mesures d’intégration à court terme et le retour », a-t-elle déclaré au journal « Süddeutsche Zeitung ». Par ailleurs, en attendant l’établissement d’une politique d’asile européenne concertée, il ne peut être question de criminaliser les sauveteurs en mer ou d’interdire aux gens l’accès aux voies de migration. Cela équivaudrait finalement à leur retirer le droit à l’asile.

Et maintenant ?

Le camp de Moria est en cendres. Dublin est un échec. À présent, la question se pose de savoir comment les États membres de l’Union européenne entendent assumer à l’avenir leur responsabilité en matière d’asile et de migration. La répartition de cette responsabilité est un enjeu important. En revanche, un nouveau blocage sur la question de la répartition des demandeurs de protection serait fatal. Il faut mettre en place un système solidaire et opérationnel pour l’accueil des réfugiés ; il faut mettre en place des mécanismes de répartition et faire preuve de solidarité entre États membres, et tout cela sans qu’il y ait d’attentes aux frontières extérieures de l’Europe. L’exemple du camp de Moria l’a montré : ceux qui traitent de la sorte les demandeurs de protection ne devront pas s’étonner de la prochaine catastrophe.

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