« Depuis les attentats du 13 novembre, la France est sous état d’urgence. Par validation du Parlement, l’état d’urgence a été décrété pour trois mois. Nous appelons aujourd’hui les députés français, non à le prolonger, mais à lever cet état d’urgence pour plusieurs raisons.
Efficacité dissipée, il est temps de revenir à l’Etat de droit
L’état d’urgence dure depuis bientôt trois mois en France dans le cadre de la lutte contre les réseaux terroristes. Cependant, les chiffres communiqués par les services de l’Etat interrogent. Le bilan de l’état d’urgence est celui-ci : les perquisitions administratives (3 189 réalisées au 21 janvier) et les assignations à résidence (392 à la même date) [1]. Plus de 500 recours ont déjà été entamés à l’encontre des perquisitions administratives.
Cependant, seules cinq procédures pour associations de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ont été ouvertes, et une seule personne a été mise en examen [2]. . Il se trouve que l’immense majorité des actions menées ne concernent pas directement la lutte contre le terrorisme.
Nous associons ainsi nos critiques à celles des associations de défense de droits de l’Homme. Seul le parquet, garant des libertés individuelles des citoyens, ce qui n’est pas le cas de la justice administrative, a autorité pour autoriser et contrôler de telles actions. L’état d’urgence, qui n’est efficace que sur un très court terme et qui ne peut durer le temps d’éradiquer toute menace terroriste, doit ainsi être levé pour garantir à tous les citoyens la préservation de leurs droits. Pour renforcer la lutte contre le terrorisme, il convient d’accroître les capacités de la Justice et non de s’y substituer.
Les libertés fondamentales ne peuvent être durablement remises en cause
Par ce communiqué, nous souhaitons également nous associer aux inquiétudes des instances européennes, et en particulier du Conseil de l’Europe, dont le texte fondateur, la Convention européenne des Droits de l’Homme, est au centre de nos engagements, de nos valeurs et de nos principes [3].
Bien que la Convention [4] prévoit des dérogations exceptionnelles dans des cas tels que l’état d’urgence, la France ne peut continuer plus longtemps à enfreindre la Convention européenne des Droits de l’Homme, qui est un rempart pour les citoyens européens aux dérives étatiques en matière de droits de l’Homme. Tout comme le Secrétaire Général de cette institution, Thorbjørn Jagland, qui a adressé une lettre au président François Hollande [5], nous nous inquiétons des prérogatives importantes aux mains de l’exécutif au détriment du pouvoir judiciaire. Il convient de rétablir l’équilibre des pouvoirs en revenant à l’Etat de droit.
La réforme de la constitution en conformité avec nos engagements et nos principes
De plus, il nous semble également inquiétant de constitutionnaliser l’état d’urgence. La Constitution, texte qui définit l’Etat de droit, le fonctionnement et les principes de notre démocratie, ne peut contenir en son sein un état d’exception qui va à l’encontre de principes fondamentaux de notre société, de nos valeurs. Une loi existe déjà, il convient de réformer la loi pour l’adapter aux menaces actuelles. La Constitution, qui garantit les libertés individuelles, sera ainsi toujours légitimement supérieure à ces mesures d’exception provisoires. Rappelons qu’un tel dispositif constitutionnalisé pourrait tomber entre de mauvaises mains, et qu’il ne convient pas de doter quelque gouvernement que ce soit de telles armes contre les libertés de ses citoyens. Nous veillerons à ce que le projet de révision constitutionnelle, que le gouvernement souhaite pourtant mener, soit conforme aux libertés fondamentales et à la démocratie, principes qui sont au cœur de notre engagement en France et en Europe.
Tout comme le Conseil de l’Europe, nous nous opposons à toute révision constitutionnelle qui reviendrait à enfreindre directement ou indirectement les engagements que la France a pris par la signature de conventions internationales, dont la Déclaration universelle des Droits de l’Homme [6]. Ainsi les mesures autour de la déchéance de nationalité ne doivent pas conduire à la création d’apatrides, que ce soit de manière directe ou indirectement, dans le cas où des binationaux risquant d’être déchus de leurs deux nationalités.
Enfin, la France s’est engagée aux côtés de ses partenaires en acceptant le plan européen de répartition des réfugiés qui fuient les théâtres de guerre au Moyen-Orient et en Afrique. Le gouvernement ne peut revenir sur cet engagement, qui relève de son devoir d’accueil, de ses principes républicains et de l’idéal humaniste européen que nous défendons. La crise humanitaire à laquelle fait face l’Europe doit mobiliser tous les Etats membres dans une démarche solidaire, et la France ne peut faire exception.
Nous appelons ainsi les députés français, qui sont amenés à légiférer sur ces sujets, à rejeter la prolongation de l’état d’urgence et à veiller, dans les débats autour de la réforme constitutionnelle, au respect des conventions internationales qui engagent et honorent la France dans son respect et sa défense des droits de l’Homme dans le monde, des règles, des valeurs et des principes de notre République et du projet européen. »
1. Le 16 février 2016 à 13:30, par Valéry En réponse à : Il faut lever l’état d’urgence
Félicitations. Excellent texte.
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