Identité européenne et identité nationale, quelles différences ?

, par Rhiannon Erdal, traduit par Elisa Baert

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Identité européenne et identité nationale, quelles différences ?
Crédits Image : DebatingEurope

Les identités sont, par définition, constituées d’une multitude de couches et de facettes. Est-il alors possible pour les citoyens européens de construire et préserver une identité dualiste qui serait à la fois nationale et européenne ? Qu’est-ce qui différencie et qu’est-ce qui rassemble ces identités ? Voyons comment sont construites les identités nationales et en quoi elles se distinguent de l’identité européenne ou, au contraire, la reflètent.

Identité nationale : seul contre le reste du monde

La création d’une identité nationale est un construit social basé sur l’existence de « points communs » entre ceux qui composent la nation : une histoire, une langue et une culture communes mais également un sentiment d’appartenance à un groupe distinct des autres. De fait, ce sentiment d’appartenance s’ancre dans la distinction d’un groupe externe, constitué de ceux qui n’appartiennent pas à la même nation. Par exemple, en disant « je suis anglais », j’affirme en même temps ne pas être allemand. Il dessine notre identité personnelle par l’assimilation d’éléments de l’identité nationale dans nos systèmes de croyances et de valeurs, qui en retour façonne notre perception de nous-mêmes et notre relation au monde en dehors de la nation à laquelle nous appartenons.

On pourrait dire que l’identité nationale fonctionne à deux niveaux : l’allégeance à la nation, au sens d’entité ethnique ou religieuse (« les Kurdes, par exemple, cultivent ce sentiment d’appartenance à une nation par le biais de leur ethnie, leur langue et leur culture, bien que l’État kurde n’existe pas officiellement ») et l’allégeance à l’État, dans le sens d’entité législative et institutionnelle. Cette dernière enracine nos valeurs et met l’accent sur notre conscience nationale et notre vision de la nation.

Sur le plan historique, ce sentiment d’appartenance a permis de nourrir un sentiment de devoir envers la nation. Une idée récurrente présente dans ce patriotisme est la volonté de défendre (son pays, sa façon de vivre), menant parfois à la guerre et à ses idéaux : empêcher une invasion, mourir en héros, protéger un spectre d’influence. Autrement dit, le patriotisme se définit par la conviction que sa nation l’emporte sur les autres. L’origine de cette croyance vient probablement du fait de la présence de l’identité nationale dans notre identité personnelle et dans notre vision du monde. Dans son discours « Initiative pour l’Europe » en 2018, le président français Emmanuel Macron avait souligné l’importance d’une Europe unie, et citant Robert Schuman : « L’Europe n’a pas été faite, nous avons eu la guerre ».

L’argument pour la création d’une identité européenne

L’identité « paneuropéenne » ne date pas d’hier. Tout comme l’identité nationale, elle n’a cessé de se développer sur la base de certains piliers tels la monnaie, les politiques et valeurs partagées, ou encore à un niveau plus symbolique par le drapeau européen et l’hymne européenne. Toutefois, l’identité paneuropéenne ne se ressent pas autant que l’identité nationale. Pour cause, les États membres de l’Union européenne ne partagent pas, du moins pour le moment, de langue ou de traditions qui sont des caractéristiques essentiels de notre quotidien et que l’on partage sans s’en rendre compte. Mais cela signifie-t-il pour autant dire que ces deux identités sont incompatibles ? Pourquoi devraient-elles l’être ? Peut-être car l’une des plus grandes menaces actuelles à l’intégration européenne et au projet européen est la montée des forces populistes. Cette tendance nationaliste consistant à se tourner vers le protectionnisme afin de maintenir la souveraineté de son pays est compréhensible puisque le sentiment d’allégeance à la nation fait partie intégrante de notre identité personnelle et nous pousse à vouloir préserver son unicité.

Cependant, cultiver une identité européenne est primordiale pour le projet européen et l’intégration européenne. De cette manière, l’UE pourrait agir comme une communauté politico-économique partageant des valeurs et des buts qui se reflèteraient dans ses lois et ses politiques. En outre, cela créerait un plus grand sentiment d’unité parmi les individus et les nations, et aiderait à établir les bases d’une intégration européenne.

Donald Tusk : « Nous formons une communauté culturelle » [1]

Les médias ont également un rôle à jouer dans l’éveil de la conscience d’une identité nationale. Les Monty Python, Shakespeare et les Rolling Stones, par exemple, font référence à l’identité anglaise. À l’échelle européenne, il existe une presse européenne ou encore des médias européens tels que ARTE ou l’Eurovision. Mais ces éléments culturels et médiatiques sont-ils suffisants pour développer une conscience européenne ?

Les différents systèmes éducatifs européens reflètent l’effort mis en place pour cultiver une identité européenne. Dans la majorité des écoles européennes, il est désormais obligatoire d’apprendre une autre langue européenne dès le plus jeune âge. Il s’agit déjà d’une avancée cruciale puisque la langue est un pilier de l’identité nationale, pourvue d’une histoire et de traditions. Certains psychologues comme Steven Pinker considèrent que la langue façonne notre vision du monde. Ainsi, apprendre une autre langue européenne nous aiderait à partager les visions du monde de nos voisins. Cependant, dans certains pays tels que le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Espagne, la Hongrie et la Croatie, cette pratique n’est pas obligatoire. Voilà pourquoi, le Conseil européen s’est engagé à s’assurer que, d’ici 2025, toutes les diplômées et tous les diplômés d’écoles secondaires parlent au moins 2 langues européennes.

Pour préserver l’identité propre de chaque État-nation tout en cultivant la diversité (comme prévu par le traité de Maastricht), il est plus enrichissant d’adopter le multilinguisme plutôt que d’imposer une seule langue. Les identités nationales et l’identité européenne peuvent de ce fait coexister et créer des « familles culturelles », rendant l’Europe unique. Toutefois, l’existence du pluralisme est légèrement problématique du fait des exclusions qui découlent de l’identité nationale (ex : « Je suis anglais, je ne suis pas allemand »). Un individu peut-il alors être pourvu d’une identité dualiste, voir même, multiple ?

Chacun peut bien sûr considérer appartenir à plusieurs nations. Personnellement, j’ai une double nationalité, cinq nationalités ethniques et ai vécu dans deux pays différents. Et je suis loin d’être le seul. Dans un monde où la mondialisation ne cesse d’accroître, de plus en plus de personnes ont plusieurs nationalités ethniques et bureaucratiques. Certains pensent que ce pluralisme identitaire « atténue » l’identité nationale. Au contraire, je pense qu’elle n’en est qu’enrichie. L’appartenance nationale se vit et se ressent de différentes manières à différents niveaux.

L’identité personnelle s’attache généralement à la culture. Et pourtant, l’Union Européenne est une entité politique. Cela étant, l’un n’exclut pas forcément l’autre. Aristote a écrit : « l’homme est un animal politique ». Et, de ce fait, il n’existe pas de frontière entre nos vies culturelles et politiques. En effet, l’Union Européenne s’efforce de consacrer des valeurs et des objectifs à sa politique et, pour ce faire, elle se réfère aux traditions et aux événements historiques qui ont fait de l’Europe ce qu’elle est aujourd’hui. Une histoire façonnée par des nations individuelles qui l’ont vécue et y ont participé, de sorte que l’Union Européenne peut être considérée comme une extension de la nation.

La diversité, l’unité et « l’unité dans la diversité »

Les identités nationales sont renforcées par leur individualité. Elles se caractérisent par une langue, une histoire et une conscience communes cultivées par l’éducation, la culture et la politique. Dans ces conditions, l’identité nationale est-elle vraiment différente de l’identité européenne ? Peut-être dans le sens où l’identité nationale repose sur la distinction entre les nations. Mais à l’échelle européenne, ne peuvent-elles pas coexister ? Il suffirait ainsi d’unifier les identités nationales afin de créer un ensemble distinct des autres blocs politiques tels que la Chine ou les États-Unis qui deviendrait un acteur plus puissant sur la scène international.

Notes

[1[Rapport du Président du Conseil européen Donald Tusk au Parlement européen concernant les réunions du Conseil européen d’octobre et présentation de l’ordre du jour des dirigeants du 24/10/17

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