Une nouvelle idéologie antilibérale, périlleuse pour la démocratie ?
C’est à l’occasion d’un déplacement en Roumanie, devant un public majoritairement composé de Hongrois ethniques [1], que Monsieur Orbán a longuement détaillé ses visions sur l’avenir des valeurs politiques et économiques occidentales en ce début du XXIe siècle. Ce discours riche en analyses ne saurait être synthétisé en quelques lignes, mais quelques points intrigants peuvent cependant être relevés.
Exposant ses vues sur la crise que connaît actuellement l’Europe, le Premier ministre dédie une partie non négligeable de son discours à une critique virulente de l’économie libérale de marché. Ainsi affirme-t-il que la crise financière globale de 2008 a montré les failles et la décadence du capitalisme moderne, modèle qu’il serait désormais indispensable de dépasser. Entre autres considérations, Viktor Orbán ponctue son discours de références élogieuses à la Russie de Vladimir Poutine, ou encore à la Chine ou la Turquie, les citant comme des exemples de « nouveaux Etats illibéraux basés sur des fondations nationales ».
A l’appui de son constat sur la situation actuelle, M. Orbán présente alors un projet politique « novateur » consistant à créer un nouveau type d’Etat, « basé sur le travail » qui succèderait au modèle d’Etat-providence tel que l’Europe l’a connu jusqu’aujourd’hui. Dans ce nouveau modèle, la liberté serait un élément important, mais non caractéristique du nouveau modèle qu’il souhaite instaurer en Hongrie [2]. Ainsi propose-t-il de faire du pays qu’il dirige un « Etat illibéral », expression que les médias hongrois favorables au pouvoir n’ont étrangement pas citée en évoquant le discours du 26 juillet.
Monsieur Orbán entérine-t-il ainsi le passage d’une démocratie libérale vers un Etat autocratique où l’idéologie d’un parti ultraconservateur devient une politique d’Etat ?
De dérive en dérive, un Fidesz surpuissant bien installé à la tête du pays
Au demeurant, bien peu d’éléments nouveaux ont été prononcés le 26 juillet par le Premier ministre, dont le discours s’inscrit dans la ligne directe d’une série de dérives entamées depuis le retour au pouvoir du parti conservateur Fidesz [3], en 2010, après huit ans dans l’opposition.
En quatre ans d’exercice, le gouvernement Fidesz s’est illustré par un nombre croissant de mesures condamnables sur le plan des droits fondamentaux : pressions constantes sur les médias d’opposition et sur les ONG, discriminations à l’égard des Roms et des « non-chrétiens », réforme douteuse du système judiciaire hongrois… Sur le plan économique, la reprise en main des institutions politiques et démocratiques par un pouvoir partisan s’est accompagnée par un très fort nationalisme. La nationalisation brutale et quasi-totale de l’ensemble des caisses de retraite en est un exemple éclatant, alors que certains services publics comme les hôpitaux se trouvent aujourd’hui dans une situation de quasi-décadence. Les méthodes de Monsieur Orbán et du parti qu’il préside commencent à rappeler dangereusement les pratiques du pouvoir en place durant les quarante ans de communisme que le pays a connus depuis 1948.
Le gouvernement bénéficie pour l’instant d’un soutien majoritaire des électeurs hongrois décidés à aller voter. Ces derniers demeurent très attirés par la rhétorique nationaliste anti-Bruxelles de M. Orbán, talonné sur sa droite par le parti ultranationaliste Jobbik. Encore aujourd’hui, le Fidesz dispose au Parlement de la majorité des deux tiers lui permettant de réviser très aisément la Constitution hongroise sans subir de contre-pouvoir sérieux.
Viktor Orbán, ancien parangon de la démocratie et du libéralisme politique ?
L’actuel Premier ministre n’a pourtant pas toujours été la caricature de despote éclairé qu’il représente aujourd’hui selon ses principaux opposants. Ancien vice-président de l’Internationale libérale pendant huit ans, il se présente encore aujourd’hui comme l’une des figures de proue du mouvement ayant conduit à l’indépendance du pays en 1989. A la tête du gouvernement entre 1998 au 2002, Viktor Orbán a assidument préparé l’entrée du pays dans l’Union européenne en adaptant la législation hongroise au droit de l’Union européenne.
Après la défaite surprise du gouvernement en 2002 et le traumatisme conséquent au sein du parti conservateur, M. Orbán aurait juré qu’une fois revenu au pouvoir, il ne perdrait plus jamais une élection. Depuis lors, le Fidesz s’est lentement converti en un parti uniforme dévoué à son président, utilisant des méthodes et argumentaires questionnables pour parvenir à ses fins. Le résultat est sans appel : en 2014, au lendemain des élections, l’OSCE [4] estimait que le gouvernement avait largement contribué à restreindre le pluralisme politique durant la campagne électorale. L’OSCE a également dénoncé une couverture médiatique biaisée des élections et des activités de campagne faisant fi de toute séparation entre le parti politique et l’Etat.
L’Union européenne, définitivement muette ?
Depuis les premières dérives du gouvernement Orbán en 2010, les dirigeants de l’Union européenne ne se sont guère émus de la lente poutinisation du pays. Seule la Commission de Venise – organe consultatif du Conseil de l’Europe – et le Parlement européen ont régulièrement dénoncé les graves abus de l’Etat hongrois. Au demeurant, leurs rapports demeurent peu connus du grand public et ne connaissent qu’une résonnance très modeste. Tant en raison d’intérêts économiques que pour des motifs politiques, aucun Etat européen n’a individuellement condamné fermement l’appauvrissement de la démocratie hongroise. Le Fidesz, membre du Parti populaire européen, peut compter sur de nombreux appuis parmi ses partenaires conservateurs.
Même à l’issue du dernier discours de M. Orbán, la Commission européenne a déclaré n’avoir aucun commentaire à faire concernant cette allocution [5].
Les instruments ne manquent pourtant pas pour sanctionner de tels dérapages : entre autres sanctions, les chefs d’Etat peuvent ultimement ôter le droit de vote d’un Etat membre s’il existe un risque sérieux de violations des droits de l’homme et des libertés fondamentales par un Etat membre. La Commission européenne pourrait réduire une partie de quelque 21 milliards alloués à la Hongrie pour renouveler ses infrastructures pour la période 2014-2020. Certes, ces mesures pourraient alimenter le discours anti-UE de Viktor Orbán. Au final, seuls les médias occidentaux et observateurs indépendants ont cru bon d’élever la voix contre une situation face à laquelle l’Union semble impuissante.
En l’absence d’une opposition unie et dans un climat social lourd de tensions, l’attente sera probablement longue avant que l’Union européenne ne se décide à dénoncer l’inacceptable. Le précédent hongrois va-t-il confirmer que les libertés fondamentales peuvent être violées en toute impunité au cœur même de l’Europe ?
1. Le 28 août 2014 à 16:29, par Robin Langlois En réponse à : Hongrie : Viktor Orbán fait-il un pas de plus hors de l’Europe ?
Merci pour ce très bon article. Une question me taraude cependant. D’origine polonaise, je connais bien l’Europe centrale, et au cours de mes divers voyages à Budapest, je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer le maintien, voire le renouveau, de la rhétorique de la Grande Hongrie chez les Hongrois.
Que cela soit à travers leur stupide autocollant de Grande Hongrie sur leurs voitures à la présence de drapeaux de la Transylvanie ici ou là, de nombreux Hongrois nous rabâchent encore les oreilles avec le fameux traité du Trianon de 1920. Un siècle après, la perte des 2/3 de « leurs » territoires après la Première Guerre mondiale n’est toujours pas dirigé... Si Orban est à mes yeux un autocrate invétéré, les Hongrois le plébiscitent (45% pour le Fidesz en avril 2014 !). Comment l’UE peut dès lors attaquer un PM encensé par ses électeurs ? Dès que Bruxelles fait la moindre menace, Orban passe pour une victime auprès des Hongrois, qui se méfient de l’UE à chacune de ces réprimandes...
2. Le 31 octobre 2014 à 12:24, par Stephane En réponse à : Hongrie : Viktor Orbán fait-il un pas de plus hors de l’Europe ?
Je suis également d’origine polonaise et donc ait aussi une perspective différente sur l’Europe centrale. Je suis bien loin d’admirer Orban et ses tentations autoritaires ainsi que son ouverture sur les modèles russes ou chinois. Mais une chose me gêne lorsque l’on nomme Orban « ultraconservateur » dans la presse française. Suffit-il d’être anti-communiste, eurosceptique et de vouloir défendre les intérêts de son peuple ou nation pour être labelisé ultraconservateur ? Le même procès d’intention avait été fait par la presse européenne aux frères Kaczyński lorsqu’il gouvernaient la Pologne, alors que les Kaczynski étaient nettement moins extrémistes qu’Orban. Je ne connais pas très bien la Hongrie mais je sais qu’il y a une différence fondamentale avec la Pologne. Les hongrois ont collaboré avec les nazis pendant la Guerre et ont dans leur tradition politique une bonne dose d’autoritarisme et de quasi-fascisme, courants qui en Pologne, historiquement ont été soit marginaux soit trés limités dans le temps. Tout cela pour dire que je suis gêné par le manque de nuances des analyses journalistiques de l’ouest sur l’Est. Surtout qu’en France récemment le discour des politiques de droite comme de gauche sur la question des Roms par exemple n’est vraiment pas brillant ni exemplaire. Il serait temps que l’ouest apprenne un peu l’humilité et la tolérance vis à vis de ceux qui ne pense pas pareil et qui ont eut une histoire récente bien plus difficile et dramatique. Si la Pologne ou la Hongrie n’était pas tombé sous le Joug soviétique, le niveau de cléricalisation de ces populations aujourd’hui serait bien plus bas. Le niveau de vie, de la technologie, de l’économie de ces pays aujourd’hui n’aurait sans doute rien à envier à des pays comme l’Autriche, l’Allemagne ou l’Italie. Il est temps d’en finir avec les complexes de supériorité français, Allemand ou anglo-saxon vis à vis de l’Europe centrale, car cela frise parfois la xénophobie la plus crasse.
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