Grande coalition, acte III : c’est (presque) fait

, par Théo Boucart

Grande coalition, acte III : c'est (presque) fait
Olaf Scholz, le Ministre-Président de Hambourg, devrait devenir Ministre des finances et Vice-Chancelier, des postes-clé pour la réforme de la zone euro. CC - Heinrich-Böll-Stiftung

Le bout du tunnel semble de plus en plus proche : la CDU-CSU et le SPD se sont enfin accordés mercredi matin sur un accord de coalition, indispensable pour gouverner une Allemagne plongée dans l’apathie politique depuis septembre dernier. Néanmoins, le document de 177 pages devra être approuvé par la base du SPD.

« Un nouveau départ pour l’Europe. Une nouvelle dynamique pour l’Allemagne. Une nouvelle cohésion pour notre pays ». Le titre du contrat de coalition entre la CDU-CSU et le SPD prend des accents providentiels. C’est que celui-ci s’est fait désirer ! Quatre mois et demi après les élections fédérales, ce Koalitionsvertrag est le document le plus concret que les partis allemands ont pu produire. Il représente en effet l’état des rapports de force entre les parties et fixe le projet de gouvernement pour les quatre ans à venir.

Angela Merkel jouait très gros avant cet accord. Son parti était certes arrivé en tête en septembre dernier, mais son score était nettement inférieur à celui de 2013, altérant sensiblement son leadership. Après une tentative ratée de former une très instable coalition « jamaïcaine » (rassemblant le FDP et les Verts), une nouvelle grande coalition (la troisième depuis 2005) devenait la seule alternative à un gouvernement minoritaire ou à de nouvelles élections, ô combien périlleuses. Le SPD de Martin Schulz avait dans un premier temps refusé catégoriquement de siéger une nouvelle fois au gouvernement. Une cure d’opposition aurait fait le plus grand bien à la social-démocratie allemande, totalement épuisée. La pression politique et médiatique après le départ du FDP des négociations a fait que Martin Schulz a dû accepter la perspective d’une nouvelle « GroKo ».

Un contrat de coalition sensiblement en faveur des conservateurs

Les négociations ont été plus longues que prévu car elles devaient finir dimanche 4 février. Les points de désaccord étaient en effet encore nombreux. Le SPD voulait absolument des hausses d’impôts pour les ménages aisés, l’harmonisation des honoraires des médecins des secteurs privé et public et un moindre recours aux CDD, pilier du modèle allemand flexible mais précaire. Les hausses d’impôts ont très vite disparu des négociations tandis que l’harmonisation des honoraires fera l’objet d’une commission d’enquête. Le SPD a aussi totalement cédé sur la question migratoire, un plafond annuel sera en effet mis en place et le regroupement familial sera lui aussi contrôlé.

Devant la victoire apparente de la CDU-CSU à l’issue des négociations, quelle consolation pour le SPD ? Le parti de Martin Schulz a obtenu six ministères dont trois importants : les finances, le travail et les affaires sociales et les affaires étrangères. Après avoir été pressenti pour devenir ministre des affaires étrangères, Martin Schulz a finalement renoncé à ce poste prestigieux. Il avait en effet annoncé durant la campagne qu’il ne siègerait pas au gouvernement avec Merkel. Le refus de tenir cette promesse aurait selon lui fragilisé l’accord de coalition aux yeux des militants SPD. Les finances reviendraient à Olaf Scholz, Ministre-Président de Hambourg et étoile montante du SPD, allant jusqu’à contester le leadership de Schulz. Le fait que Merkel ait donné les finances au partenaire minoritaire de la coalition a vraiment de quoi surprendre, surtout après que ce poste ait été occupé pendant huit ans par Wolfgang Schäuble, europhile certes, mais intraitable sur la solidarité européenne lors de la crise des dettes souveraines.

La CDU obtient quant à elle l’économie, la défense, la santé, l’éducation et l’agriculture. La CSU bavaroise se voit attribuer un ministère de l’intérieur élargi à un portefeuille « patrie » (Heimatministerium). Ce poste, occupé vraisemblablement par Horst Seehofer, Ministre-Président de Bavière, suscite déjà de vives controverses. Les Verts sont notamment scandalisés par l’orientation que prend le ministère de l’intérieur, comparant la politique qui sera menée à celle de Donald Trump aux États-Unis. Toujours est-il que l’Allemagne semble prendre un virage à droite concernant la politique d’asile.

Les militants du SPD, dernier obstacle au cabinet « Merkel 4 »

Cet accord de coalition, largement critiqué par les autres partis politiques allemands et par les milieux économiques, sera soumis au vote de la base militante du SPD. L’issue du vote est très incertaine : cette même base avait déjà voté à une légère majorité l’autorisation pour Martin Schulz d’ouvrir formellement les négociations avec Angela Merkel. Cette fois-ci, le vote risque d’être encore plus serré en raison du déséquilibre des négociations au détriment des sociaux-démocrates et de l’hostilité affichée des « Jusos » (les jeunes sociaux-démocrates emmenés par Kevin Kühnert) à l’égard d’une nouvelle GroKo.

Il est vrai que quatre nouvelles années au gouvernement risquent d’être le coup de grâce pour le parti de centre-gauche, déjà très affaibli. Martin Schulz n’avait cependant pas d’autre choix que de négocier avec la CDU-CSU pour éviter la crise politique. Il faut vraiment rendre hommage à l’ancien Président du Parlement européen sur ce coup-là. En raison de la délicatesse du vote des militants, le résultat de celui-ci prendra beaucoup de temps à être officialisé, retardant de ce fait l’entrée en fonction du nouveau gouvernement. Cette prise de fonction pourrait ne pas intervenir avant Pâques.

Une réforme ambitieuse de l’UE et de la zone euro à portée de main ?

Emmanuel Macron et d’autres leaders européens n’ont pas caché leur préférence pour une grande coalition avec un SPD à des postes clé. Olaf Scholz aux finances semble être une aubaine à peine croyable pour ceux qui veulent une réforme rapide et profonde de l’Union européenne. Il devra travailler étroitement avec Peter Altmaier, le ministre CDU de l’économie, ainsi que ses homologues européens pour proposer des solutions aux défauts de la zone euro. Martin Schulz devra utiliser son immense expérience des institutions européennes pour replacer l’Allemagne et le couple franco-allemand au cœur de la machine européenne. Angela Merkel devra profiter de son dernier mandat à la tête du gouvernement allemand pour travailler de manière constructive avec le Président français et les autres chefs d’État et de gouvernement européens pour enfin remédier aux défauts structurels de l’UE.

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