Un drapeau symbole de l’ancrage occidental et européen de la Russie
Le drapeau actuel de la Russie est composé de trois bandes horizontales blanc, bleu et rouge. Les couleurs du tricolore sont introduites pour la première fois en Russie par Pierre Ier, dit le Grand. Par sa volonté d’ancrer la Russie comme puissance européenne, le tsar Pierre le Grand, devenu empereur, entreprend de moderniser son Empire. Pour cela, il développe l’administration et la centralisation, transfert la capitale de Moscou à Saint-Pétersbourg, et construit une flotte militaire et marchande digne d’une puissance occidentale. La nouvelle marine a dès lors besoin d’un pavillon. Pour satisfaire sa volonté d’occidentalisation de la Russie, Pierre Ier considère les pavillons néerlandais, première puissance navale de l’époque, et français, première puissance militaire, pour élaborer le pavillon russe. Ce dernier va alors arborer une croix bleue sur un damier blanc et rouge. Imposant ainsi les trois couleurs -blanc, bleu, rouge- pour la première fois.
Dans la continuité de sa volonté de modernisation, qui rime avec européanisation pour l’empereur, Pierre le Grand impose le tricolore blanc-bleu-rouge flanqué d’un aigle bicéphale byzantin comme drapeau de l’Empire russe en 1698.
Le drapeau est très vite concurrencé au XIXème siècle par un autre tricolore, noir-or-blanc, symbolisant davantage la famille impériale que la Russie elle-même. De fait, le pouvoir impérial cherche à confondre les notions d’Empire et d’Empereur. C’est en 1896, lors du couronnement de Nicolas II que la synthèse des deux étendards est faite. Un carré d’or flanqué de l’aigle russe est inséré à l’angle du tricolore de Pierre le Grand. L’européanité de la Russie n’est alors pas contestée, un état de fait qui perdurera jusqu’à la Révolution bolchévique et l’avènement de l’Union soviétique [1].
Le tricolore panslave, la Russie « protectrice des slaves d’Europe »
La Russie impériale, devenue l’un des acteurs les plus influents du jeu diplomatique européen, va opérer un tournant diplomatique dans les années 1840. À cette période, l’Europe connait une révolution politique : le Printemps des Peuples. Ce « Printemps » politique propulse la notion de « nation » et de « nationalité » au cœur des revendications politiques.
Les slaves -notamment polonais, tchèques, slovaques, croates, slovènes, serbes ou bulgares- sont, à l’époque, sous domination autrichienne, allemande (prussienne) et turque, sans réels droits politiques ou civils. La Russie cherche alors à étendre sa sphère d’influence et diplomatique en s’auto-proclamant « protecteur des slaves », en d’autres termes le pouvoir russe applique une politique panslave, cherchant à unir l’ensemble des slaves dans un seul et même État.
Si ce dernier projet est controversé, cela au sein même des palais de Saint-Pétersbourg, les couleurs du tricolore blanc-bleu-rouge inspire de nombreux mouvements nationaux slaves au sein des empires multiculturels allemand, autrichien ou turc. On retrouve d’ailleurs des traces de ce phénomène encore aujourd’hui sur les actuels drapeaux de la Bulgarie, de la Croatie, de la Serbie, de la Slovaquie, de la Slovénie et de la Tchéquie. Ces peuples considèrent ces couleurs comme le symbole de leur émancipation nationale : le blanc pour la pureté et la paix, le bleu pour la force, et le rouge pour le sang versé et le courage.
La guerre de trop (?)
Si la majorité des interprétations s’accorde sur ce symbolisme pictural, d’autres voient les couleurs blanche, bleue et rouge tout autrement. Pour certains, les trois couleurs du tricolore renverraient à l’unité des « trois Russies » : le rouge pour la « Grande Russie » (l’actuelle Russie), le blanc pour la « Russie blanche » ou « Biélorussie » (l’actuel Bélarus) et le bleu pour la « Petite Russie » (l’actuelle Ukraine). Une vision panslaviste certes, mais surtout révélateur d’un impérialisme russe aux travers nationalistes visant à nier et annihiler les identités nationales bélarusse et ukrainienne.
Une rhétorique nationaliste qui n’a jamais dévié, une politique d’anéantissement qui mène la Russie de Vladimir Poutine à envahir l’Ukraine, le 24 février 2022. Une « opération militaire spéciale » qui vise, selon le Président russe, à préserver « l’unité historique et nationale de la Russie ». Des propos historiquement faux et, politiquement et humainement, destructeurs. Multipliant les agressions et les crimes de guerres, la Russie voit son drapeau devenir un symbole de barbarie. Alors que l’Europe se pare des couleurs bleue et jaune de l’Ukraine, la même Europe tient en horreur le tricolore qui, jusque-là, symbolisait l’émancipation et la liberté des peuples slaves.
Si le drapeau russe blanc-bleu-rouge est rejeté par une majorité d’Européens, il en va de même pour certains Russes. Pour montrer leur opposition à la guerre et au régime de Vladimir Poutine, certains opposants russes, principalement exilés, brandissent un tricolore débarrassé du rouge sanguinaire et guerrier. Un drapeau blanc-bleu-blanc. Une symbolique double puisque le drapeau réfère également aux couleurs historiques de Novgorod et de sa république. La République de Novgorod était une république marchande médiévale s’étendant autour de la ville éponyme, à l’Ouest de Moscou. Une république bien plus occidentalisée et intégrée à l’Europe médiévale, notamment par son commerce fluvial qui la reliait aux autres villes hanséatiques d’Europe du Nord, et qui se trouvait être également la principale rivale de la Principauté de Moscou.
Le drapeau russe, tout d’abord conçu pour être un facteur de rapprochement entre la Russie et l’Europe, est aujourd’hui un symbole de la division entre des valeurs libérales et humanistes d’une part, et des valeurs militaristes et autoritaristes d’autre part, entre l’Europe et ce qu’est devenue la Russie.
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