Géorgie : une démocratie en sursis, le Conseil de l’Europe sonne l’alarme

, par Paul Gelabert Y Nuez

Géorgie : une démocratie en sursis, le Conseil de l'Europe sonne l'alarme

Une fois de plus, la démocratie est en péril sur le vieux continent. Depuis 2020, la Géorgie est gouvernée par le parti Rêve Géorgien (KO), dont le gouvernement est accusé d’user de mesures autoritaires pour neutraliser toute opposition politique et museler la société civile. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe avait demandé à la Géorgie d’organiser de nouvelles élections dans un cadre réellement démocratique. Considérant que cette résolution représente une violation de la souveraineté du pays, la cheffe de la délégation géorgienne et membre du Rêve Géorgien, Tea Tsouloukiani, a annoncé le 30 janvier 2025 que Tbilissi ne participerait plus aux travaux de l’APCE.

Le 2 octobre dernier, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) a organisé un débat, suivi du vote d’une résolution, sur cette crise démocratique majeure. Le constat fait par tous les orateurs de la séance est unanime : “La société civile la plus vibrante du Caucase est aujourd’hui condamnée à la survie” affirme Sabina Čudić, Vice-Présidente de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (ALDE). Il incombe donc au Conseil de l’Europe de prendre des mesures afin que la Géorgie respecte ses obligations découlant de son adhésion à cette institution. Si sur le constat aucune voix n’est venue s’opposer, certains avis divergent quant à la réponse à apporter. Faut-il sanctionner sévèrement la Géorgie et en faire un exemple pour tous ceux qui remettent en cause les principes démocratiques nécessaires à un état de droit ?

Le constat quasi unanime du recul de la démocratie

Depuis la session de printemps de l’APCE où la Géorgie occupait déjà une partie importante du calendrier, aucun progrès n’a été observé. C’est même le chemin opposé qu’emprunte le gouvernement géorgien, qui semble s’enfoncer de plus en plus vers l’autoritarisme. La démocratie et les droits de l’Homme ne cessent d’y reculer.

Les parlementaires présents lors de la session plénière d’automne de l’Assemblée (29 septembre - 3 octobre 2025) ont tous rappelé les atteintes à l’Etat de droit de l’actuel gouvernement, dirigé par Irakli Kobakhidzé depuis février 2024. Depuis son élection, il sape le pluralisme politique en emprisonnant ses opposants et étouffe la société civile. La liberté de la presse se voit aussi atteinte. Selon The Messenger Online, entre mars 2024 et mars 2025, 342 violations de droits contre des journalistes d’opposition ont été recensées. La fonction publique subit également ce recul de la démocratie. Depuis novembre 2024, on dénombre entre 700 et 1000 licenciements à caractère politique. Enfin, en mars 2025, Amnesty International alerte sur le fait que les ONG locales voient leurs comptes gelés et leurs activités paralysées si celles-ci ne vont pas dans le sens du pouvoir. Le gouvernement du Rêve Georgien installe progressivement un contrôle sur toutes les sphères de la société et semble glisser dangereusement vers l’autoritarisme.

En vue des élections locales du 4 octobre, boycottées par l’opposition, la principale préoccupation de l’Assemblée était de garantir qu’elles respectent les valeurs démocratiques des institutions et conventions internationales auxquelles la Géorgie a souscrit.

Fermeté, dialogue et idéologie : les divisions de l’APCE face à la Géorgie

Si le constat est unanime, quelques désaccords subsistent quant à la manière dont le Conseil de l’Europe doit répondre face au refus de la Géorgie de se plier aux exigences de qualité démocratique. Une grande majorité des parlementaires souhaite que la représentation géorgienne, qui a décidé de ne plus siéger dans les plénières, revienne afin de rouvrir le dialogue.“Malgré les abus du pouvoir, le peuple géorgien mérite le soutien de l’APCE et l’opportunité de rester intégré dans le système européen” (Christophe Brico, Monaco, PPE/ DC).

Une part importante de l’Assemblée s’accorde en effet sur le fait que le gouvernement géorgien a été élu par les urnes. Il est donc selon eux plus efficace de prôner le retour au dialogue plutôt que de prendre des sanctions plus sévères, telles qu’une exclusion du Conseil de l’Europe. Cela risquerait d’accélérer sa route vers l’autoritarisme en l’isolant davantage.

Cependant, malgré un avis général assez concordant, quelques voix se sont élevées : l’extrême droite pour remettre en question les raisons de l’action de l’APCE, et certains démocrates pour demander une sanction plus sévère envers la Georgie.

La représentation française par la voix du sénateur Claude Kern ( Union des démocrates et indépendants) estime qu’une exclusion du Conseil de l’Europe “serait un signal fort envoyé à la Géorgie en faveur des droits et de la démocratie”.En effet, il est justifiable selon lui de prôner une sanction concrète et sévère contre la Géorgie si le Conseil de l’Europe ne veut pas perdre sa crédibilité sur la scène internationale. D’autres représentations sont intervenus pour mettre en avant un désaccord sur la légitimité même de l’APCE à prendre cette résolution.L’extrême droite espagnole s’est exprimée par la voix de José María Sánchez (VOX/PfE) afin de critiquer de l’action de l’APCE : “Cette initiative comme d’autres qui ont été présentées à cette Assemblée correspond à une idée idéologique. Il ne nous plaît pas et c’est la seule raison. ”.

En réalité, sa prise de position s’inscrit finalement dans la critique perpétuelle faite par l’extrême droite du rôle de l’APCE en matière de sauvegarde de la démocratie. Il sous-entend que le Conseil de l’Europe porte cette résolution uniquement car il n’est idéologiquement pas satisfait du gouvernement en place en Georgie et utilise donc la démocratie comme simple prétexte.

La résolution finalement adoptée

Outre ces quelques voix dissonantes quant à la bonne réponse à apporter, le constat étant globalement partagé par tous les membres de l’APCE, la résolution est finalement adoptée. Elle incombe à la Géorgie de retrouver le chemin de la démocratie et d’un cadre propice à son exercice, et invite les États membres de l’organisation à saisir au titre de l’article 33 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) pour s’assurer que la Géorgie respecte “ pleinement toutes les normes et obligations découlant de son adhésion au Conseil de l’Europe” (Point 13, Résolution 2624, 2025).”

Deux jours après l’adoption de cette résolution, les élections locales georgiennes ont finalement eu lieu et donné un résultat sans appel : le parti de gouvernement obtient 81% des suffrages. Etant données les pratiques antidémocratiques exercées par le pouvoir, il est légitime de douter de la qualité démocratique de ce résultat et de la légitimité des élus d’autant plus que l’opposition a boycotté le scrutin. Malgré la victoire écrasante, les violences envers l’opposition ont continué de se perpétuer après ces élections. Plusieurs personnes ont déjà été arrêtées. A commencer par les organisateurs de la “tentative de renversement du pouvoir”, a déclaré le premier ministre georgien M. Kobakhidzé dimanche aux journalistes. Il qualifie les manifestations de “tentative de coup d’Etat” et assure qu’elles ont été “planifiées par des services de renseignement étrangers”, sans les nommer. Des déclarations qui n’ont jusque-là pas été prouvées et dont la rhétorique semble s’aligner sur le discours que peut avoir le Kremlin face aux voix dissidentes.

La question géorgienne soulève en lumière un défi bien plus global : comment expliquer le recul de la démocratie sur des territoires toujours plus nombreux en Europe ? Et surtout, les institutions internationales ont-elles suffisamment de ressources afin de garantir une démocratie effective ?

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