Les détracteurs de la construction européenne taxent souvent celle-ci de « libérale », « néo-libérale » ou « ultra-libérale » : ces critiques vous paraissent-elles fondées ?
J’ai tendance à dire que oui, ces personnes ont parfaitement raison. Le problème, c’est que les politiques français ont toujours pris Bruxelles comme bouc émissaire pour faire passer des réformes difficiles, qui sont effectivement souvent libérales.
Ce qu’il faudrait dire aux Français, c’est que que s’ils achètent des vêtements pas chers, s’ils peuvent voyager partout en Europe avec Easy Jet pour pas cher, envoyer des Chronoposts rapidement, ils peuvent changer de fournisseur d’électricité, tout ça, c’est grâce à Bruxelles. C’est effectivement libéral et c’est très bien !
Heureusement que le niveau européen est là pour maintenir un certain nombre de principes d’économie libre et de respect des libertés individuelles, ce dernier côté relevant davantage de la Cour Européenne des Droits de l’Homme que de l’Union européenne. Bruxelles condamne souvent la France pour des entorses au marché intérieur, des subventions aux entreprises portant préjudice à l’espace européen avec des ententes, des cartels… Bruxelles joue donc un rôle important pour maintenir ces principes là en France : c’est très bien et très sain.
L’absence d’un projet, le manque de vision sur l’avenir de la construction européenne ne contribuent-ils pas au manque d’intérêt des citoyens pour la matière européenne ?
D’abord, étant donné que les politiques ne se livrent pas à ce travail d’explication, il ne faut malheureusement pas s’étonner si les citoyens ont une perception extrêmement négative de l’Europe et ne votent pas aux élections.
Si l’on revient à l’origine du projet européen, qui est ce grand espace de marché, la vision est là, il faut l’assumer. J’avais de ce point de vue été consterné, lors d’une conférence du Think Tank « Open Europe » à laquelle j’avais assisté à Londres : tous les ministres des Affaires étrangères des pays de l’Est étaient très enthousiastes sur la construction européenne et extrêmement attachés à la défense des libertés du marché intérieur, car ils ont conscience des bénéfices qu’ils en retirent ; arrive Rachida Dati, qui sera n°2 sur les listes UMP en Ile-de-France, et qui se met à tenir un discours encore plus eurosceptique que les Britanniques, en voulant remettre en question les libertés de circulation des travailleurs.
Ces débats autours des « opt-outs » se détachent complètement du projet originel et renforcent l’État-nation ainsi que la défiance des Européens. La liberté de circuler, de commercer, sont des gains évidents pour les nouveaux États-membres et c’est bien là toute la substance de l’Europe... Mais aucun politique français n’a donné le moindre début de commencement à une telle vision.
Le libéralisme que vous prônez rime t-il avec « fédéralisme » au niveau européen ?
En tant que libéral je suis très favorable à une intégration européenne maximum qui fasse un peu disparaître les mammouths étatiques, mais je tiens à préciser que Génération Libre n’a pas encore mené de gros travail sur les questions européennes.
Instinctivement, je suis plutôt fédéraliste dans la mesure où je suis pour un État minimum et je pense que les grandes questions de souveraineté nationale sont largement surannées. Je suis pour une intégration européenne qui aille évidemment dans cette logique d’État minimum. Cela ne me dérange pas du tout que la tuyauterie du budget et des taxes soient faite par les technocrates de Bruxelles. Je trouve cela même souhaitable, pour pouvoir laisser les citoyens s’organiser comme ils le veulent sur les affaires importantes, c’est-à-dire leur propre vie.
Le principe de subsidiarité avec un État central minimum et énormément d’autres niveaux de décisions, notamment régionaux et locaux me semble non seulement positif mais la tendance actuelle. C’est ce qui se passe avec le référendum en Ecosse, avec l’idée d’un État plus petit qui reste membre de l’UE ; Ce mouvement vers la régionalisation qui se dessine est intéressant, avec un Etat fédéral minimum, beaucoup d’organisations ou auto-organisations au niveau local, et entre les deux un État nation qui tendrait à se réduire.
Êtes-vous en faveur d’un budget européen plus fort pour assumer davantage de compétences, ou cela rentre-il en conflit avec votre vision de « l’État minimum » ?
Tout dépend de la nature de ce qu’on nous propose ; si c’est un budget européen avec 60% de dépense publique et des taxes très élevées pour faire énormément de rééquilibrages et de redistribution, c’est clairement non. Si c’est un budget européen rationnel avec la flat tax et une dépense publique bien pensée, là c’est différent.
En l’état actuel, les problèmes de gouvernance sont déjà très importants, on ne sait jamais qui décide et quel est le processus, dans le nombre infernal de « working groups » en tous genres qui existent. De même, une partie de l’argent européen est mal utilisée ou mal gérée, de façon très bureaucratique, comme c’est le cas des fonds structurels, ce qui est un vrai scandale. Dans ce contexte, c’est positivement que j’accueille à priori la baisse du budget européen pour 2014-2020 : pour moi, tout budget public en baisse est une bonne nouvelle.
Je note en outre un certain « populisme » des députés européens qui veulent plafonner les bonus…Or, des statistiques ont montré que le salaire annuel moyen d’un député européen après impôts est supérieur de 5 000 euros au salaire moyen d’un financier, senior, de la City. Il y a donc une certaine ironie à critiquer les profits monstrueux des financiers alors qu’eux-mêmes ne vivent pas trop mal.
Vivant au Royaume-Uni, que pensez-vous de la politique européenne de David Cameron ?
Sur le fond, son discours, même s’il a un aspect que je rejette sur l’immigration, est intéressant car il est assez européen, dans le sens où il appelle l’Europe à revenir à ses principes d’un grand marché intérieur. Dans cette optique, il entend simplifier la réglementation, se recentrer sur les aspects commerciaux et continuer l’intégration dans le domaine des services. Ça, c’est intéressant car il veut aller plus loin que ça n’est accepté par le reste des États-Membres. C’est un bon agenda pour l’Europe.
La méthode est en revanche horrible, sur les histoires de référendum et d’immigration, mais elle vient de contraintes intérieures que l’on connait tous, avec la frange eurosceptique de son parti. Ce jeu politique n’est clairement ni souhaitable, ni à suivre.
Si vous deviez vendre une mesure ou un projet pour donner envie d’Europe aux citoyens français…
Je ne pense pas que ça puisse passer par des projets volontaristes du style « grand Institut pour la recherche européenne », ou bien multiplier les programmes Erasmus.
Il faut simplement expliquer aux citoyens qu’une grande partie de leur train de vie, de leurs libertés, ils les doivent à l’Europe. N’est-il pas frappant d’entendre les Français, « enfants gâtés » pour reprendre le titre d’un récent essai, ronchonner sur l’Europe, alors qu’en Ukraine des gens meurent pour l’Europe ? Les drapeaux européens qui flottent sur les barricades à Kiev devraient nous faire réfléchir.
Au niveau institutionnel, l’Europe devrait être davantage unie sur les Affaires étrangères et avoir un poids propre par rapport aux chancelleries nationales. La gouvernance doit être simplifiée, avec un président de l’Europe qui l’incarne. L’image actuelle de l’Union européenne avec ses têtes multiples à la « Laurel et Hardy » me paraît très préjudiciable sur la scène internationale.
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