« Gardarem la terra » (Nous garderons la terre)

Article paru à l’origine dans les numéros 121 et 186 de « Fédéchoses »

, par Fédéchoses, Robert Lafont

« Gardarem la terra » (Nous garderons la terre)
Drapeau fédéraliste. Domaine public

Robert Lafont (1923-2009) sociolinguiste, écrivain et universitaire occitan, auteur d’essais politiques fondamentaux (La Révolution régionaliste, Sur la France...) et théoricien de la notion de « colonialisme intérieur » à la fin des années 1960 et au début des années 1970 concernant des régions comme l’Occitanie (historique et linguistique) ou la Bretagne. Il a également publié nombre de textes dans Fédéchoses et de prose ou de poèmes à Fédérop [1]. Il a créé le mouvement occitaniste et altermondialiste « Gardarem la terra » en 2003 et rédigé son Manifeste, estimant que « l’objectif politique du Peuple de la terre ne peut être que la gouvernance universelle », autrement dit un système fédéral démocratique mondial.

Il y a trente ans, les agriculteurs du Larzac menaient une lutte, qui devait se terminer par une victoire contre la dépossession de leurs terres par l’État militariste. Elle attira l’attention du monde, suscita la convergence des luttes sociales, réunit sur le plateau toute une jeunesse européenne, vit passer des pacifistes venus de l’autre face de la terre. Maîtrisée dans tout son développement par les paysans eux-mêmes, elle reste exemplaire : elle a prouvé que des hommes et des femmes résolus agissant pour une juste cause peuvent gripper des décisions de la machine étatique ; par sa dimension planétaire elle annonçait le mouvement actuel passé par Seattle, Davos, Gênes, Porto Alegre ; riche de contenus dégagés tout au long du pacifique combat, elle donnait une espérance aux peuples de la terre soumis aux impérialismes.

Trente ans plus tard, le devoir des hommes libres est de rendre hommage aux paysans du Larzac, et en conséquence d’affirmer leur solidarité avec celui qui porte, avec ses camarades paysans, les formes nouvelles de leur combat, l’(ex)emprisonné José Bové.

Trente ans plus tard, les impérialismes sont rassemblés dans le pouvoir d’une oligarchie mondiale politico-financière maîtresse de la Planète à travers un système économique global et un État hégémonique possesseur d’une puissance absolue de mort. L’expérience vient d’en être faite en Afghanistan et en Iraq. Pour mettre la main sur les ressources et les relations stratégiques principales de l’économie du pétrole, une guerre a été déclenchée au mépris de toutes les conventions internationales, avec les moyens les plus terrifiants, en faisant servir l’hypocrisie et le mensonge les plus éhontés que l’histoire ait connus. On sait maintenant que les motifs invoqués étaient des faux, et l’on attend la suite de ce qui, au nom d’une lutte contre le terrorisme, a été déclaré une guerre permanente. Mais les résultats en apparaissent déjà piteux. Il y a une résistance des peuples contre laquelle l’inintelligence surarmée ne peut rien, que tuer, toujours tuer.

Trente ans plus tard, les périls que faisaient courir à la vie sur notre planète une course effrénée à la croissance économique pilotée par les logiques de profits et de puissance en sont arrivés à la phase d’urgence.

Les responsables en sont le même système économique, le même État hégémonique, qui refuse de se soumettre aux premières régulations préconisées à l’échelle internationale, le même groupe de personnes, pilleurs et tueurs de la terre. Pendant qu’ils renforcent leur pouvoir et vassalisent un à un les États quémandeurs terrorisés, une grande partie de l’humanité meurt de faim, de misère, de maladie non soignées. Les déserts avancent et les peuples meurent. Mais le sursaut de Larzac est devenu universel. Nous avons assisté en cette année 2003, dans les rues des cités du globe tout entier à la mobilisation contre la guerre, pour la vie, de ce qu’il faut bien appeler le « peuple de la terre ».

Pour les trente ans du Larzac, c’est à ce peuple que nous faisons appel, et lui proposons les trois objectifs de survie et peut-être d’épanouissement qui sont nés ici. Ce sont les trois principes qui ont la valeur d’une déclaration universelle des droits :

1/ Le « peuple de la terre » a droit à la vie, quel que soit son lieu d’habitat et son degré de développement matériel et social. Jusqu’à ce jour il s’est fié et confié à des organisations partielles et rivales, qui ont eu en leur dernier parcours la forme de l’État. Il en est résulté des guerres perpétuelles, une soumission des faibles aux forts, des injustices effroyables et une humanité saignée à blanc. Aujourd’hui la plupart des États est devenue des organisations désuètes, incapables, devant la globalisation qu’elles soutiennent, d’assurer la décision économique en leur cadre, et l’État hégémonique universel en gestation illimite leurs inconvénients et leurs crimes. En dernière instance, l’Organisation des nations unies a été bafouée par les États-Unis d’Amérique et frappée d’inanité. En conséquence, l’objectif politique du « peuple de la terre » ne peut être que la gouvernance universelle (un système fédéral démocratique mondial) à substituer aux États et au désordre de l’impérialisme capitaliste.

2/ Les peuples et les pays ont droit à la vie, c’est-à-dire au plein développement en leurs lieux et selon l’irisation de la variété culturelle. Le droit au pays a été proclamé il y a trente ans sur le Larzac. Il l’a été en occitan (Gardarem lo Larzac) dans une langue que l’État français avait longuement maintenu dans ses geôles culturelles… Le temps est venu de dessiner les instances de la vie mondiale (et pour nous d’abord européenne) selon une organisation à étages, depuis la cellule de base de la vie sociale (appelée généralement le pays) jusqu’à l’interrégionalité la plus vaste, en passant par la région telle que la dessinent sa culture historique et ses relations naturelles. Il est grand temps d’instaurer la démocratie mondiale contre le tribalisme étatique, c’est-à-dire l’autonomie universelle.

3/ La vie a le droit à la vie. Devant les risques qu’elle court présentement du fait d’une exploitation sauvage pour le profit des maîtres du jeu capitaliste, une régulation est nécessaire. Seule une autorité du « peuple de la terre » dont l’organisation contraindrait les rivalités et effacerait l’hégémonie est capable de l’imposer ; ce que nous proposons, ce n’est pas une régression vers les formes de vie idyllique d’un pseudo âge d’or, ce n’est pas un rêve de paradis écologique, ce sont des choix démocratiques fondés sur un calcul sévère des inconvénients et des avantages de l’innovation et de l’exploitation techniques. Aucun progrès matériel n’est condamnable en soi (la vie sur la terre est une évolution, que l’homme relaie). Ce qui l’est, c’est sa retombée destructrice et son utilisation perverse par des pouvoirs sans scrupules. Si nous lançons aujourd’hui cet appel à un avenir que certains diront utopique, ce n’est pas que nous méprisons les analyses et des programmes.

C’est parce que nous croyons que le mouvement large et profond, qui a commencé à faire apparaître un « peuple de la terre », capable déjà de bouleverser l’histoire des sociétés humaines, inventera, dans l’avance et le combat, les formes d’organisation qui lui seront nécessaires. Nous serons avec lui pour cela avec dérision et réalisme. Nous ne nous substituons pas à lui.

Sur la Larzac, le 9 août 2003, nous prenons le risque de dire cette espérance, à la mesure du danger.

[1] : Éditeur de littérature notamment occitane, catalane ou traduite d’autres langues peu diffusées. Les éditions Fédérop sont nées à Lyon en 1975. Nées des rêves et de l’obstination de Bernard Lesfargues (1924-2018), entouré d’amis qui avaient tous en commun d’être partisans d’un fédéralisme européen – d’où le nom de « Fédérop ».

Article paru initialement dans le numéro 186 de « Fédéchoses », la revue de débat et de culture fédéraliste fondée en 1973. Avec tous les remerciements de la rédaction.

Retranscription du texte par Théo Boucart

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