France et Turquie : tensions de plus en plus vives entre alliées de l’OTAN

, par Volkan Ozkanal

France et Turquie : tensions de plus en plus vives entre alliées de l'OTAN
Entre Recep Tayyip Erdoğan (à gauche) et Emmanuel Macron, rien ne va plus sur fond de crise libyenne entre les deux alliés de l’OTAN. Image : www.kremlin.ru.

La Turquie, un pays historique et clé dans le dispositif de l’OTAN

Lorsque l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, plus communément appelé OTAN, a vu le jour en 1949, la Guerre Froide débutait et le bloc de l’Ouest, à travers les Etats-Unis, avait pour objectif de protéger ses alliés et ses intérêts en Europe. Face à la menace que représentait l’URSS et le bloc communiste, les occidents voulurent se doter de toute la panoplie défensive nécessaire. Dès lors, dès 1952, un pays a été admis dans le cercle des initiés pour conjurer et protéger la façade européenne est. Ce pays, la Turquie, fut donc intégré au sein de l’OTAN avec pour objectif d’empêcher son basculement dans le giron soviétique et de servir de zone-tampon dans la partie Europe-Asie. D’ailleurs, comme un symbole, pour les 50 ans de l’Alliance en 1999, le président turc de l’époque, Süleyman Demirel, avait même prononcé, en sa qualité de doyen, le discours célébrant le cinquantenaire de l’Organisation.

L’un des autres symboles de cette alliance fut notamment la construction de la base d’Incirlik (proche de la ville d’Adana, dans le sud du pays) qui permettra à de nombreuses reprises de mener des opérations militaires. Dans cette optique, le pays d’Atatürk a toujours eu le privilège d’avoir une position centrale lui permettant d’être parfaitement intégrée militairement parlant en Occident, contrairement aux négociations avec l’Union européenne qui ont toujours été au point mort et font l’objet de nombreux blocages tant au niveau politique que militaire (avec notamment le dossier chypriote) depuis de nombreuses années.

C’est bien ce double contraste qui fait débat aujourd’hui à travers l’attitude de la Turquie et la réponse cinglante de la France. Si les deux pays ont toujours eu des intérêts communs et des points d’achoppements, la nouvelle crise qui a eu lieu le mois dernier démontre fortement qu’entre alliés supposés, les relations peuvent s’envenimer. Le dossier libyen est le meilleur exemple de cette recrudescence de la tension sur fond de querelles et de contentieux latents.

La Libye, une nouvelle lutte de pouvoir entre la France-Turquie

 

Le mois dernier, un bateau marchand battant pavillon tanzanien, le « Çirkin » (mot signifiant « laid » en turc) a fait l’objet d’une confrontation entre la marine turque et française.

Escorté par des frégates de la marine turque au large de la zone maritime libyenne, le « Çirkin » fut accusé de transporter, sous l’œil complice de la Turquie, armes et munitions supposément destinées aux hommes du Gouvernement d’Union Nationale (GNA) de Fayez el-Sarraj et soutenu par la Turquie face au Maréchel Haftar, soutenu lui par la France. L’intervention d’une frégate française sera même ciblée par un navire turc opérant à côté du « Çirkin » et sera « illuminée » par un signal de tir. Ce qui démontre que la tension est brusquement mais sûrement montée d’un cran. De ce fait, dans cette lutte entre les factions libyennes apparaissent en filigrane les divisions et les antagonismes entre les présidents des deux pays, Erdoğan et Macron. Sur fond de lutte d’influence concernant la Turquie qui a deux objectifs dans la zone méditerranéenne. D’une part, promouvoir et affermir le pouvoir du GNA en considérant Haftar comme un putschiste illégitime qui doit être mis en minorité, ce qui permettra à Ankara de pouvoir exploiter les nombreuses ressources naturelles de la Libye en devenant un partenaire de Tripoli. D’un autre côté, il faut voir l’action de la Turquie dans un champ plus vaste et qui part de la Libye vers Chypre. Depuis 1974, la Turquie occupe militairement le nord du pays à travers le « KKTC », la République turque de Chypre du nord. Dans cette optique, la découverte de gisements d’hydrocarbures et de gaz au large de l’île permettra à la Turquie de pouvoir exploiter de nouvelles données d’énergie et d’étendre davantage son influence au sein de la Méditerranée.

Paris soutient, pour sa part, la Maréchal Haftar et ne veut surtout pas voir des éléments islamistes prendre le pouvoir dans un pays aussi instable que la Libye. Ce qui explique le courroux d’Emmanuel Macron qui a accusé Recep Tayyip Erdoğan de jouer avec le feu et à « un jeu dangereux » (Jeune Afrique, NDLR) dans la région en tentant de mettre en œuvre son rêve de grandeur ottomane. Un ton inhabituel sur la scène diplomatique et qui démontre que désormais, les deux présidents se rendront coup pour coup. Pour le président français, il s’agit également de prendre le leadership européen face à l’expansionnisme turc et les velléités d’hégémonie d’Ankara. Mais sera-t-il entendu ? C’est la question que l’on peut se poser eu égard aux réactions des membres de l’OTAN et de l’Union européenne.

La France, isolée sur la scène atlantique et européenne ?

De ce fait, la position ferme et définitive française semble avoir tétanisé l’Alliance et par ricochet, l’Union européenne. Le faible soutien du Secrétaire Général de l’OTAN, le Norvégien Jens Stoltenberg, au président français et la liste des pays ayant pris fait et cause pour la France démontre qu’Emmanuel Macron avance sur un dossier délicat. D’un côté, une situation de crise aussi grande est assez rare puisque deux pays supposés alliés ont failli en venir aux armes. Les mécanismes de l’OTAN ne prévoyant par ailleurs aucune sanction, la situation est abordée prudemment par les autres membres qui ne veulent surtout pas raviver le courroux du président turc. Quant aux Etats-Unis, là encore, la prudence est de mise dans les réactions officielles et les réponses diplomatiques pour un cas de figure hors norme entre deux pays membres.

Cependant, à un tout autre niveau, un facteur peut expliquer le faible écho reçu par la France dans sa gestion de la crise : le dossier des migrants et l’aide apportée à la Turquie pour garder à ses frontières les migrants contre six milliards d’euros suite à l’accord signé entre la Turquie et l’UE en 2016. La grande peur des pays occidentaux et d’Europe centrale est qu’Erdoğan ne mette en exécution ses menaces de laisser les réfugiés déferler aux frontières européennes.

Une menace qui semble bloquer toute tentative de réponse commune et semble laisser le président français en première ligne sur la question sécuritaire libyenne et la lutte de pouvoir entre les deux factions opposées dans ce pays.

Il y a quelques mois, la tension avait été vive entre les deux pays sur le terrain du football sur fond d’attaque militaire turque au nord de la Syrie. Emmanuel Macron avait, quant à lui, déclaré que l’OTAN était en état de « mort cérébrale », ce qui avait attiré les foudres du président turc en des termes peu diplomatiques. Le dossier libyen semble être la suite d’une longue litanie de querelles entre les deux pays et les deux hommes. Mais jusqu’à quand et quel point entre la Turquie de Recep Tayyip Erdoğan qui multiplie les provocations (l’ouverture de Sainte-Sophie en mosquée, 84 ans après sa transformation en musée) et rêve de grandeur passée ; et celle de la France qui désire, sous l’égide d’Emmanuel Macron, prendre le leadership européen et dire ses quatre vérités au président turc sans s’embarrasser de la diplomatie ? Un bras de fer assez flagrant s’est engagé entre les deux pays. L’OTAN fut créé pour permettre aux pays membres de se porter assistance et aide contre les agressions extérieures. Force est de constater qu’aucun mécanisme ne fut mis en place pour les agressions « internes » entre ses propres membres. Un changement d’époque dans lequel chaque pays lutte désormais pour son pré-carré sans se soucier des autres. La France et la Turquie en sont les exemples les plus éloquents.

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