France - Allemagne : 15 ans d’une amitié qui ne va pas de soi

Le Taurillon fête ses 15 ans ! Retour sur une décennie et demie de politique européenne

, par Sarah Chopin

France - Allemagne : 15 ans d'une amitié qui ne va pas de soi
Image : Sebastian Zwez / www.securityconference.de

Ces quinze dernières années, les relations franco-allemandes ont surtout été marquées par des dissensions sur les plans diplomatiques et économiques. Ce qui n’empêche pas le “tandem” franco-allemand de rester le principal moteur de l’UE.

Considéré par beaucoup comme le véritable moteur de l’Union européenne, l’amitié franco-allemande, scellée en 1963 par le traité de l’Élysée, n’a pas brillé par son intensité ces quinze dernières années. Après des années 1990 marquées par le couple Mitterrand-Kohl, les années 2000 ont mis en lumière les nombreuses divergences entre les deux pays. Le “non” de la France au projet de Constitution européenne en 2005, projet défendu par l’Allemagne, est en cela un exemple frappant.

Ce “non” est un coup de frein à la construction européenne, qui avait pourtant abouti à la monnaie unique quelques années plus tôt. À l’époque, les liens qui unissent le président français Jacques Chirac au chancelier allemand Gerhard Schröder ne sont pas aussi étroits qu’avaient pu l’être ceux de leurs prédécesseurs. En 2002, ils finissent par se mettre d’accord sur l’avenir de la politique agricole commune (PAC), mais seulement à l’issue de plusieurs mois de mésentente.

En 2005, l’arrivée d’une nouvelle chancelière, Angela Merkel, ne change pas vraiment la donne : il faut attendre l’élection de Nicolas Sarkozy en 2007 pour voir se former à nouveau un véritable binôme franco-allemand. Même si leurs partis sont idéologiquement très proches, il ne formeront un vrai tandem qu’à partir de la crise de 2008. Sans aller jusqu’à l’idylle, le “couple Merkozy” reste le plus complémentaire de ces quinze dernières années, en particulier dans sa gestion efficace et pragmatique de la crise économique.

Mais en 2012, Nicolas Sarkozy n’est pas reconduit par les Français et c’est un candidat socialiste qui prend sa place. Une élection vue d’un oeil méfiant par le gouvernement allemand, d’autant plus que François Hollande a fait campagne, entre autres, sur la renégociation du pacte budgétaire ; ce à quoi l’Allemagne est farouchement opposée. Finalement, le président français échouera à réaliser cette promesse, mais aussi celle de l’élaboration d’un nouveau traité franco-allemand, cinquante ans après le premier. La crise économique de la Grèce, étouffée par une rigueur budgétaire imposée, en partie, par l’Allemagne, ne vient pas arranger une relation déjà difficile.

Les deux chefs d’État montrent tout de même leur capacité à s’entendre. En 2014, ils font front contre la Russie sur le dossier ukrainien. L’année suivante, cette entente aboutit aux accords de Minsk. Cette même année verra Angela Merkel défiler aux côtés du président français, à la suite des attentats de Paris. Image rare mais marquante : celle de la chancelière posant son visage contre l’épaule du président.

En 2017, nouveau venu sur la scène politique française arrive avec une grande ambition pour l’Europe. Emmanuel Macron, qui avait rencontré la chancelière allemande pendant sa campagne pour la présidentielle, annonce la couleur : il veut réformer l’Europe et il veut le faire main dans la main avec l’Allemagne. Son discours à la Sorbonne, en septembre 2017, ne soulèvera, de fait, que très peu d’enthousiasme de la part des personnalités politiques outre-Rhin.

Remettre de l’huile dans le moteur

Il faut dire que cette année-là, la chancelière a la tête ailleurs. Son parti, la CDU (chrétien- démocrate) a perdu nombre de voix lors des élections du Bundestag. Réélue à une petite majorité, Angela Merkel met des mois à former un nouveau gouvernement. Des mois pendants lesquels l’Allemagne semble presque absente de la scène internationale, encore plus sur la scène européenne. Le pouvoir d’Angela Merkel est remis en cause jusque dans son propre parti et sa gestion de la crise économique, trop rigoriste, est critiquée partout en Europe.

Mais face à la montée des nationalismes sur tout le continent, les deux chefs d’État s’entendent au moins sur une chose : le tandem franco-allemand doit être le moteur de la relance européenne. L’Allemagne, qui s’était montrée si ferme pendant les années Hollande, commence tout doucement à lâcher du leste. Lors de la rencontre franco-allemande de Meserberg, en juin 2018, Angela Merkel consent finalement à la création d’un budget commun pour la zone euro. En revanche, la proposition d’Emmanuel Macron, de créer un poste de ministre des Finances pour cette même zone euro, reçoit une fin de non recevoir.

Le 22 janvier 2019, Emmanuel Macron réussit tout de même là où son prédécesseur avait échoué : signer un nouveau traité de coopération franco-allemand. Le traité dit d’Aix-la-Chapelle, jugé assez peu ambitieux dans les faits, doit être “un traité de convergence” selon les mots d’Emmanuel Macron. Si sur certains points les avancées sont dérisoires - notamment dans le domaine de la défense - le nouveau traité a au moins le mérite de mettre l’accent sur la coopération transfrontalière à l’échelle des régions et des communes.

Nouvel élan solidaire

Plus que les relations entre chefs d’État, c’est surtout la coopération transfrontalière locale qui a été dynamique ces quinze dernières années. Cette coopération est active dans de nombreux domaines de l’emploi à l’éducation en passant par l’aménagement du territoire. Un des exemples les plus symboliques est l’inauguration d’un tronçon de tramway transfrontalier entre Strasbourg et Kehl en avril 2017.

Du côté de l’emploi, vivre dans une région frontalière permet à 46 000 Français de travailler dans le pays voisin, quant environ 4000 allemands font le chemin inverse quotidiennement (chiffres de l’Insee et du Commissariat général à l’égalité des territoires). Quelques obstacles restent encore à soulever, comme la ligne ferroviaire Colmar-Fribourg. Mais le traité d’Aix-la-Chapelle pourrait relancer ce projet mis à l’arrêt de longue date.

Les échanges culturels sont parmi les plus dynamiques entre la France et l’Allemagne. Les programmes d’échange Brigitte Sauzay et Voltaire, soutenus par l’Office franco-allemand pour la jeunesse (Ofaj) permettent, par exemple, à des jeunes français et allemands de passer quelques semaines, voire quelques mois dans un établissement scolaire de l’autre pays. Dans ce domaine également, les régions et autorités locales ont un rôle primordial à jouer. À titre d’exemple, l’Eurodistrict Strasbourg-ortenau finance depuis 2007 un fonds scolaire pour la promotion du bilinguisme à hauteur de 30 000€ par mois.

Qu’en est-il en 2020 ? Les deux pays, comme le reste de l’Europe, font face à une crise sanitaire et économique, qui pourrait être pire qu’en 2008. Le Brexit de ce début d’année et la crise sanitaire actuelle ont renforcé la nécessité d’une solidarité plus accrue entre l’Allemagne et la France, mais aussi à l’échelle de l’UE. Si l’égoïsme national a d’abord été de mise - l’Allemagne a fermé sa frontière avec la France à la mi-mars - la crise sanitaire a aussi laissé la place à l’expression d’une certaine solidarité. Ainsi l’Allemagne a-t-elle accepté d’accueillir plus d’une centaine de malades français et d’autres pays de l’Union. Encore une fois, cette solidarité s’est faite à l’initiative de décideurs régionaux et locaux plus que des chefs d’État et de gouvernement.

En mai 2020, ceci dit, l’Allemagne a finalement consenti à un fonds de relance européen doté de 500 milliards d’euros, alors qu’elle le refusait depuis des mois. La crise a donc ouvert la voie à un nouvel élan solidaire, entre la France et l’Allemagne, mais aussi plus largement entre les différents pays de l’Union européenne. La question est désormais de savoir si les deux pays moteurs de l’Europe sauront conserver cette capacité de tendre la main à l’autre dans les années à venir. Mais il leur faudra surtout composer avec une Europe à 27, au sein de laquelle les dissensions sont un énorme frein et où la montée des nationalismes met en danger le projet européen.

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